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TRIBUNE
Ancien cadre de Wafa Assurance
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Wafa Assurance : le sombre tableau de Ramsès Arroub (1/6)
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S’il y a une compagnie d’assurances marocaine qui pouvait prétendre avoir tout réussi, c’est bien Wafa Assurance. Pourtant, cette belle «success story» se retrouve aujourd’hui, l’ombre d’elle-même.
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Et s’il y a une équipe dirigeante qui pouvait se targuer d’avoir transformé un petit établissement contrôlant moins de 4% du marché marocain des assurances, à un géant régional (monde arabe) et continental (Afrique), c’est bien le management de cette ancienne maison mère de Wafa Bank. Que s’est-il donc passé pour que cette belle «success story» se retrouve aujourd’hui, l’ombre d’elle-même, tel un lion au crépuscule de sa vie, tétanisé et se voyant siphonner des positions âprement arrachées pendant de longues années ? Tout cela, sous le regard quasi figé et immobile d’un actionnaire donnant l’impression que les évènements échappent totalement à son contrôle.
Dans cette série de six articles, j’analyserai, de la manière la plus objective et factuelle qui soit, la trajectoire et le bilan de Wafa Assurance durant les deux phases de présidence de M. Arroub (2008 à 2014 et 2018 à aujourd’hui). J’exposerai les chiffres et les faits qui montrent l’ampleur du gâchis auquel elle est en train de tourner. C’est en tant qu’ancien cadre dirigeant de la compagnie, ayant modestement contribué à son succès pendant son âge d’or, et attristé par sa léthargie actuelle, que j’ai pris ma plume et décidé de rédiger cette tribune pour tirer la sonnette d’alarme, et sauver ce qui peut encore l’être.
Une compagnie au destin singulier
À la nomination de M. Arroub à sa tête, en décembre 2007, Wafa Assurance avait presque tout réussi :
- Première compagnie à lancer la bancassurance.
- Première compagnie à travailler sur un projet de carte santé.
- Première compagnie à s’introduire en bourse.
- Première compagnie à utiliser un logiciel intégré de gestion (ERP).
- Première compagnie à révolutionner l’assurance automobile, en intégrant dans un seul package, assistance, réparation, véhicule de remplacement et constateur.
- Première compagnie à lancer un projet de couverture maladie des indépendants.
- Première compagnie à lancer un concept uniforme de distribution en agence.
- Première compagnie à certifier ses réserves techniques par un actuaire indépendant.
- Seule compagnie à accéder au leadership du marché sans croissance externe, dépassant des concurrents issus de plusieurs fusions-acquisitions.
D’ailleurs, quand on donna le choix aux agents des compagnies liquidées en 1995, ils choisirent quasi à l’unanimité de faire partie du réseau de Wafa Assurance (qui ne réalisait à l’époque que 6% de part de marché), au détriment de concurrents bien plus anciens et beaucoup plus robustes (les 2 leaders de l’époque affichaient des parts de marché respectivement de 20,4% et 20,1%). C’est dire le charisme qu’avait cette compagnie que d’aucuns lui prédirent un avenir aussi singulier !
En matière de performance financière, à l’arrivée de M. Arroub à la présidence de la compagnie, elle avait clôturé l’année 2007 avec un chiffre d’affaires de 3,5 milliards de dirhams, correspondant à une part de marché de 20%. Un écart d’uniquement 27 millions de dirhams avec le leader du marché. La même année, elle afficha une insolente rentabilité de ses capitaux propres de 55,3%. Elle avait, en outre, sur le bureau de son précédent président un dossier d’expansion dans 3 pays simultanément et avait lancé six mois auparavant un projet ambitieux d’ouverture de 300 agences nouvelle génération.
Début 2008, M. Arroub prit réellement ses fonctions à la tête de Wafa Assurance. La première fois jusqu’à juin 2014, où il quitta à la surprise générale pour des «raisons personnelles». Puis, il en reprit les rênes une deuxième fois en mai 2018, également à la surprise générale, pour cette fois-ci «la ramener» sur la voie de la performance, comme il l’affirma lui-même à l’occasion de sa première conférence de présentation des résultats annuels de la compagnie.
Le sociologue français Jacques Ellul a écrit : «l’histoire se joue d’abord comme un drame et se répète comme une comédie». Nous n’avons pas trouvé meilleure description de la tragédie de Wafa Assurance que cette citation.
Un premier mandat dramatique
Dès sa prise de fonction en 2008, la compagnie entama une chute ininterrompue de ses parts de marché, que ne sauvera que momentanément un apport massif en affaires des filiales d’Al Mada (ex ONA-SNI) en 2011. Depuis cette année, la compagnie périclita lentement, n’arrivant même plus à préserver ce qu’on lui avait servi sur un plateau en argent, à savoir le premier réseau bancaire du pays, un gros portefeuille composé des filiales d’Al Mada et un réseau d’agents généraux et de courtiers parmi les plus denses à l’époque.
À partir de 2011, le management n’a réussi aucune année à juste maintenir la part de marché. En quittant Wafa Assurance la première fois en 2014, la compagnie affichait une part de marché de 21,4% contre 22,1% en 2011 et 20% au moment de sa prise de fonction.
Souvent, quand un dirigeant veut justifier ses mauvaises réalisations commerciales, il sort la carte du profit, l’air de dire «je ne cours pas derrière le chiffre d’affaires, je cherche plutôt la rentabilité». Or sur ce chapitre, les réalisations sont encore plus décevantes.
À son arrivée, Wafa Assurance affichait une rentabilité des fonds propres de 55,3%, à son départ en 2014, elle réalisait 19,1%. En 7 ans, M. Arroub avait fait perdre à la compagnie 3.620 points de base de rentabilité par rapport au mandat de son prédécesseur. Sans commentaire !
Un retour comique
Rares sont les retours qui se déroulent bien. Et celui de M. Arroub à la tête de Wafa Assurance en 2018 était le mandat de trop, celui de toutes les absurdités. Car non seulement, la tendance baissière, qui fut ralentie par son départ, était interrompue, mais l’effondrement est devenu plus brutal et quasi irréversible, tant en position sur le marché qu’en résultats financiers.
Sur le registre des parts de marchés (PdM), la compagnie a affiché sur les quatre derniers exercices une perte violente et irrattrapable de plusieurs années de croissance, et ce, dans toutes les branches :
PdM |
PdM |
Perte de PdM |
Perte de PdM |
|
Vie |
26,1% |
21,8% |
-430 |
15 ans |
Non Vie |
16,5% |
15,2% |
-130 |
10 ans |
Automobile |
15,8% |
12,3% |
-350 |
21 ans |
Total |
20,7% |
18,2% |
-250 |
15 ans |
Source : Rapports fédération marocaine des assurances ; perte en nombre d’années = PdM 2021 – dernière année où la compagnie affichait une PdM inférieure ou égale à celle de 2021
La pente baissière, qui a légèrement ralenti pendant le départ de M. Arroub (perte de 80 points de base de PdM), s’est fortement accélérée depuis son retour (perte de 250 points de base). Durant ce deuxième mandat, la compagnie perdit en moyenne 63 points de base annuellement (avec un pic à 120 points de base en 2020), soit un effondrement à 18,2%, réussissant ainsi l’exploit d’effacer plus de 15 ans de croissance.
Quant aux résultats, Wafa Assurance, a non seulement perdu plusieurs points de rentabilité pendant ce deuxième mandat, mais elle a fait nettement moins bien que la moyenne du secteur, comme le montre le graphique suivant :
Alors que la compagnie réalisait encore une rentabilité supérieure à celle du secteur en 2017, celle-ci a littéralement plongé de 685 points de base en 2021 (15,80% – 8,96%), passant en dessous de la moyenne du marché ; ce dernier n’ayant abandonné que 146 points de base sur la même période. Ce qui balaye d’un revers de main l’argument de la régression généralisée des résultats du secteur, pour expliquer les performances financières pauvres de Wafa Assurance.
Pis encore, avec un coût des capitaux propres de 11,30% en 2021 contre une rentabilité réalisée de 8,96%, l’ex-fleuron de l’industrie assurantielle au Maroc est littéralement passé en zone de destruction de la valeur pour ses actionnaires.
En matière d’appréciation de la performance, une compagnie d’assurance ne créé de la valeur pour ses actionnaires que lorsque la rentabilité qu’elle dégage sur ses capitaux propres est supérieure à celle que les actionnaires auraient pu obtenir en investissant dans une entreprise à risque comparable. Cette exigence est mesurée par le coût des capitaux propres, et elle est obtenue par la formule suivante :
Taux sans risque de 4,7%, + (prime de risque moyenne marché actions de 6,47% x béta de la compagnie de 1,02)
Source des données : Attijari Intermédiation et investing.com
Reprenons. À l’arrivée de M. Arroub à la tête de Wafa Assurance, celle-ci contrôlait 20% de part de marché, elle n’en contrôle que 18,2% en 2021. Elle réalisait une rentabilité des capitaux propres de 55,36%, elle affiche désormais une rentabilité de 8,96%. Ces réalisations sont celles d’une compagnie disposant du premier réseau bancaire du royaume, faisant partie de l’un des premiers groupes privés du pays et dotée de tous les fondamentaux pour briller au Maroc et au-delà.
Aujourd’hui, la principale ambition des actionnaires de Wafa Assurance serait juste d’arrêter l’hémorragie. Retrouver le leadership perdu «bêtement» est presque impossible. Ils disposent de très peu de temps pour agir, car la pente baissière est bien entamée et la tâche se compliquera à mesure que le temps passe et que les écarts se creusent. Autrement, la compagnie retrouvera le sort de RMA qui partit de 25% de part de marché, et à la suite d’une succession d’erreurs stratégiques, atterrit à 15,2%.
Or l’équipe dirigeante actuelle de Wafa Assurance est factuellement incapable de relever un tel défi. Albert Einstein ne disait-il pas : «il ne faut pas compter sur ceux qui ont créé le problème pour le résoudre».
Dans les tribunes suivantes, nous analyserons les erreurs stratégiques et opérationnelles qui ont conduit la compagnie à sa sclérose actuelle.
Dans la même série :
Wafa Assurance : le sombre tableau de Ramsès Arroub (1/6)
Wafa Assurance : le virage raté par Ramsès Arroub (2/6)
Wafa Assurance : le grand gâchis de Ramsès Arroub (3/6)
Wafa Assurance : les opportunités manquées par Ramsès Arroub (4/6)
Wafa Assurance : le dommage irréparable de Ramsès Arroub (5/6)
Wafa Assurance : la destruction méthodique de Ramsès Arroub (6/6)