Accueil / Monde

Meurtre de Thomas : en France, l’immigration et la religion pointées du doigt

Temps de lecture

Une marche blanche en hommage à Thomas, mort à 16 ans. © Olivier Chassignole / AFP

C’est l’histoire d’un meurtre qui fait le tour des médias de l’Hexagone : un Français de 16 ans tué le 18 novembre dernier. Sont mis en cause, deux jeunes dont un d’origine maghrébine. Si l’enquête n’a pour l’heure pas encore révélé les tenants et aboutissants de l’affaire, le motif «raciste» est avancé par certains politiques. Pour ceux qui y adhèrent, l’État français n’assume plus son rôle de justicier. Ils préfèrent alors prendre l’initiative de «venger» la mort d’un des leurs. Une haine éclate en attendant la vérité.

Dans la nuit du 18 au 19 novembre derniers, un jeune Français âgé de 16 ans a été poignardé lors d’un bal à Crépol, un village de la Drôme, dans le sud-est de la France. 17 autres personnes ont été blessées. L’adolescent, Thomas P., ne survivra pas à ses blessures et meurt pendant son transfert en ambulance à l’hôpital de Lyon. Le village est sous le choc.

Dimanche 26 novembre, devant l’ampleur des réactions politiques médiatiques et des manifestations violentes en réaction à ce drame, le procureur de la République a tenu à préciser que, «à ce stade de l’enquête, les éléments de preuve recueillis ne sont ni suffisants ni déterminants juridiquement pour retenir que les faits ont été commis en raison de l’appartenance ou de la non-appartenance, vraie ou supposée, à une prétendue race, une ethnie, une nation ou une religion déterminée».

Lire aussi : Drame de Nanterre : après une sixième nuit de violence, bientôt l’accalmie ?

Mais plus de deux semaines après la mort du jeune, l’enquête progresse lentement. Les circonstances du drame restent encore floues et certains témoignages se contredisent. Et si depuis, les groupes d’extrême droite accusent les jeunes des banlieues d’avoir organisé «délibérément le meurtre sur fond de racisme anti-français», plusieurs mosquées de la région, ont reçu des menaces, et des groupes se sont organisés pour «se venger» entraînant le dépôt de plusieurs plaintes suite à des «agressions visant spécifiquement des membres de la communauté musulmane, en particulier des femmes».

La mosquée « Masjid Sounnah » à Romans-sur-Isère, village où s’est produit le drame, a publié un communiqué de presse appelant les musulmans de la région à la vigilance lors de leurs déplacements.

Meurtre dans la nuit

Les premières informations relayées par les médias français font état d’une bagarre qui aurait éclaté à l’intérieur même de la salle abritant le bal de l’hiver où 300 à 400 personnes étaient présentes, lorsqu’une chanson de Jul intitulée Tchikita y a été diffusée. D’après le procureur de la République, celle-ci aurait éclaté pour «un motif futile», «une remarque sur une coupe de cheveux» : Ilyès, 22 ans, aux cheveux longs, se les a fait alors tirer par un autre. À environ 2h du matin, la soirée terminée, les deux personnes sortent de la salle avec l’intention de se battre.

Des témoins rencontrés par France Bleu décrivent ensuite l’arrivée de deux voitures, avec à leur bord, des individus «extérieurs à Crépol». Au total, une quinzaine de jeunes arrivés à bord de trois à cinq voitures, certains armés de couteaux d’après des témoins. Une très violente altercation a alors éclaté, entraînant la mort du jeune Thomas.

Neuf suspects ont été mis en examen dans cette affaire, mais seuls deux ont été désignés par au moins un témoin chacun comme étant l’auteur du coup mortel : le jeune d’origine maghrébine Ilyès et un autre individu au prénom à consonance française que les médias français refusent de divulguer, étant mineur.

Propos racistes

Lors d’une audition, Ilyès affirme qu’un rugbyman, appelé Thomas L., lui aurait tiré les cheveux et l’aurait comparé à une fille. «Il m’attrape les cheveux et me dit que j’ai les cheveux longs comme Nikita», raconte le suspect. Celui-ci aurait alors demandé au rugbyman de «dégager» en l’insultant. Thomas L. l’aurait ainsi sommé de le rejoindre à l’extérieur.

Les deux hommes sortent alors s’expliquer dehors. Une amie de Thomas L. assure par ailleurs l’avoir entendu pendant la soirée dire qu’il avait «envie de taper des bougnoules».

À l’inverse, d’autres témoins allèguent avoir entendu dans la soirée des «propos hostiles aux blancs». Neuf témoignages sur plus d’une centaine en attestent. Raison pour laquelle le procureur de la République n’avait pas retenu le motif raciste de l’agression de Crépol.

Meurtre de Thomas : en France, l’immigration et la religion pointées du doigt

Caricature de Kak

La «fachosphère» répond

Plusieurs personnalités politiques, notamment à l’extrême-droite, se sont saisies de la mort de Thomas pour en faire un symbole du «racisme anti-blanc», pointant du doigt l’origine de ses agresseurs présumés et établissant un lien entre le drame et l’immigration.

«Des villages ruraux victimes de véritables razzias» (Marine Le Pen), «nos martyrs sont des victimes innocentes de la guerre de civilisation» (Éric Zemmour)… De Reconquête au Rassemblement national, l’extrême droite est particulièrement active ces derniers jours sur les réseaux sociaux pour commenter le drame de Crépol.

Écouter aussi : Violences urbaines en France : l’heure des bilans et des questions

La récupération des faits divers, devenue «systématique» ces derniers mois, ne date pas d’hier, explique à La Dépêche Philippe Moreau-Chevrolet, spécialiste en communication politique. «La pratique a été particulièrement popularisée par Nicolas Sarkozy en 2007», analyse-t-il. «À l’époque, l’idée était de donner l’impression qu’un fait divers entraînait systématiquement une loi, une réaction. Ça donnait l’impression d’être actif».

«Les réseaux, qui par nature sont des autoroutes de l’émotion, et où la négativité l’emporte sur la positivité, facilitent le partage et le commentaire de ces faits divers», poursuit l’enseignant à Sciences Po Paris. «La pratique est d’autant plus avantageuse d’un point de vue politique que les faits divers permettent de désigner un adversaire, un ennemi.»

Et sur TikTok, dans les jours qui ont suivi le 19 novembre, le spectre de la «guerre civile et civilisationnelle» flotte sur le réseau social. Très rapidement, les photos de soi-disant suspects commencent à circuler, accompagnées d’encouragement à les «chasser» ou à «venger» la victime.

Regarder aussi : En France, le gouvernement envisage des restrictions des réseaux sociaux en cas d’émeutes

«Cette mélodie dangereuse qui oppose « la France des racailles » à une France rurale et blanche va cependant connaître un nouveau soubresaut après la nuit du 25 novembre. Ce samedi-là, près de 80 personnes issues de groupuscules d’ultradroite ont organisé une « expédition punitive » sur la ville de Romans-sur-Isère à coups de battes de baseball et de slogan néonazis», écrit le journaliste David-Julien Rahmil.

Tout en condamnant fermement les «actes de violence extrême», la mosquée de Romans-sur-Isère, dans le sud-est de la France, recommande aux musulmans de «partager les déplacements avec les proches, amis et voisins» et conseille de privilégier les lieux publics fréquentés et les horaires de grande affluence.

Dernier articles
Les articles les plus lu

Suisse : Karin Keller-Sutter élue présidente pour 2025

Monde - Karin Keller-Sutter, actuelle ministre des Finances de la Suisse, a été élue présidente de la Confédération helvétique pour l’année 2025.

Rédaction LeBrief - 11 décembre 2024

Syrie : appel du premier ministre aux expatriés pour reconstruire le pays

Monde - Dans une interview, Mohammad El Bachir a invité les Syriens résidant à l’étranger à rentrer en Syrie.

Rédaction LeBrief - 11 décembre 2024

Un épisode La Niña attendu : faible intensité et courte durée selon l’OMM

Monde - L'OMM prévoit le développement d'un épisode La Niña dans les trois prochains mois, mais il devrait être de faible intensité.

Rédaction LeBrief - 11 décembre 2024

Urgence humanitaire : le CERF face à des financements en baisse

Monde - Une conférence internationale dédiée aux contributions au Fonds central d’intervention d’urgence (CERF) s’est tenue mardi au siège des Nations Unies à New York.

Ilyasse Rhamir - 11 décembre 2024

Macron promet un premier ministre sous 48 heures

Monde - Macron a réuni, mardi à l’Élysée, les chefs de partis politiques, sauf ceux du RN et de LFI, pour discuter de la crise politique actuelle.

Rédaction LeBrief - 10 décembre 2024

Transition en Syrie : un chef rebelle à la tête du gouvernement intérimaire

Monde - Les rebelles syriens ont désigné Mohammad El Bachir comme chef du gouvernement transitoire, marquant une étape après le renversement de Bachar El Assad.

Rédaction LeBrief - 10 décembre 2024

France : les médicaments anti-rhume désormais interdits en vente libre

Monde - Cette décision, qui impose la présentation obligatoire d’une ordonnance en pharmacie, concerne huit médicaments.

Rédaction LeBrief - 10 décembre 2024

Moscou : le drapeau de l’opposition syrienne flotte sur l’ambassade

Monde - Le drapeau de l'opposition syrienne flotte désormais sur l’ambassade de Syrie à Moscou, un geste symbolique qui marque un tournant historique dans la crise syrienne.

Rédaction LeBrief - 10 décembre 2024
Voir plus

La CPI et immunités d’État : le cas Netanyahu et les ambiguïtés du droit international. Interview

Monde - La France, le 27 novembre, qui a souligné pour la première fois l’immunité de Benjamin Netanyahu, en raison du statut d’Israël, non partie au Statut de Rome

Farah Nadifi - 28 novembre 2024

Le grand retour des BRICS

Monde - Le Sommet des BRICS est marquée par la guerre en Ukraine, et l’absence de Poutine, sous mandat d’arrêt international.

Rédaction LeBrief - 22 août 2023

50 journalistes tués en 2020

Notre métier peut se révéler dangereux. 50 de nos confrères ont été tués en 2020 à travers le monde dans le cadre de leur profession de journaliste.

J.R.Y - 29 décembre 2020

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée Champs requis marqués avec *

Poster commentaire