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TRIBUNE
Médecin-chirurgien et journaliste
« Tazizawt », le deuxième massacre !
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«Tazizawt» en langue Amazigh, signifie la verte, et évoque la nature, les cèdres de l’Atlas centenaires, le calme des lieux et la sérénité. La montagne a cela de merveilleux, elle permetà l’homme de s’élever à la recherche du divin.
Pour accéder à la vallée verte (Tazizawt), on passe par le petit village de « Tazra », qui signifie hart, ou corde du pendu. La légende dit qu’ un esclave ayant échappé à ses poursuivants aurait sauté du haut du rocher surplombantle village, dénommé « Admer N’ussmakh ». Il aurait survécu à ce saut salutaire et suicidaire, et aurait laissé sur place son cheval mort et la hart, « Tazra ».
D’autres événements beaucoup moins heureux ont eu pour théâtre cette contrée. D’abord rapportés par des poétesses et autres « Imadyazens », des troubadours qui sillonnent les souks avoisinants pour chanter et rappeler les événements d’antan, Cette histoire aurait survécu, d’abord, grâce à l’oralité, et a ensuite connu un regain d’intérêt depuis les années 80 grâce aux travaux de chercheurs et d’anthropologues, à qui il faut rendre hommage. Sans eux les pleurs et les sacrifices de la génération « Tazizawt » seraient oubliés, et n’auront pour issue que de remonter « L’Aqqa N-Widammen», vers les lacs « N’isly » et « Tislyt » pour ajouter leurs larmes à celles des fiancés malheureux d’antan. Mais l’histoire et la réalité sont têtues, et il a fallu qu’on déterre cette histoire, comme les os des squelettes qui réapparaissent aux pieds des cèdres centenaires et dans les ravins creusés par les crues de ces dernières années. Pour ne pas oublier !
La cédraie de « Tazizawt » a été une terre d’asile pour certaines populations amazighes qui ont refusé de se soumettre aux troupes colonisatrices appuyées par des « imqunsen », des traitres avant l’heure, alléchés par le gain facile, et la compagnie des puissants. On raconte que les membres d’une tribu habitant le piémont d’une « Zaouia », un havre de paix et de méditation, où l’eau coule à flots, et où les hommes cultivent des fruits et légumes saisonniers, sous l’œil bienveillant d’un saint homme, ont dû quitter hâtivement, maisons et biens, devant l’arrivée des colons en juin 1913 dans « Azaghar », ou plaine du Tadla.
Le nouveau dominateur qui aurait profité d’une crise économique pour « protéger » le Maroc, ne tolère ni contestation, ni opposition. Ces femmes et hommes n’ont d’autre choix que l’exil. Il faut remonter plus haut, vers plus de divinité en espérant qu’un miracle viendra. Et surtout pour profiter de la topographie et la difficulté du terrain, faisant de la haute montagne une alliée. Arrivés à « Tassent » et ensuite à « Sidi Ameur Ouhalli », ils ont appris que la victoire sur les troupes coloniales (« Iroumins ») , se fera grâce à une balle sacrée, Un héritage que Sidi El Mekki utilisera en temps voulu. Nouvelle à laquelle on croit bien volontiers en ces temps difficiles. Aujourd’hui on utilise plutôt de « sacrées bombes » pour décimer des populations. La guerre civilisatrice est un leurre derrière lequel se cache la quête de la richesse et de la puissance.
Les événements de « Tazizawt », constituent un symbole de défiance, de courage et d’un sacrifice désespérés, pour défendre une dignité et un territoire. Pour atteindre la vallée de « Tazizawt », il faut remonter « L’Akka N’ouchlou », après avoir traversé les guets sur les rivières de « Zebzat » dit « Akka n-widammen », littéralement : « la rivière de sang », en référence au sang versé lors du massacre.perpétré contre les combattants, « imjuhad » et leurs familles. Parmi ces groupuscules humains, meurtris par la faim et le froid se trouve une femme enceinte. Voyant qu’elle risquerait de retarder les siens elle leur a ordonné de la devancer. Sur le chemin vers la délivrance et la paix, survint une autre délivrance au pied d’un chêne, un garçon est né. A l’aide d’une pierre elle coupe le cordon qui la lie à cet enfant qui a choisi un drôle de moment et d’endroit pour venir au monde! Un désir prématuré de liberté peut-être ? « Rabha »,c’était son jour de chance, doit rejoindre les autres membres du clan avant la tombée de la nuit, et voudrait présenter le nouveau né à sa sœur déjà en haut. Les tribus réunies oublient leurs querelles, et s’organisent dans un ordre imposé par ce lieu insolite et la coutume.
« Tadâ » fait sceller d’autres accords et engagements sous la bienveillance du saint homme de tazizawt. Mais le miracle n’a pas eu lieu, les tirs à l’arme lourde (Nfad) , et les bombes larguées par les avions ont eu raison du moral des gens qui commencent à creuser des « I3afran), une sorte de fosses creusées sous de gros rochers, pour s’y terrer et s’y réfugier. Cependant les hommes, les enfants et les bêtes ont été tués ou mutilés par les éclats des bombes, la sœur du nouveau venu aussi !
« Tut i ṭṭeyyara, ṣberx as i laz, rẓan lanfaḍ aqšmir nnig i (tamdyazt) *
Le saint homme a lui même cédé devant la force de frappe de l’ennemi, et a tronqué sa « balle sacrée », contre une reddition sous les cris et les larmes de honte des femmes qui ont perdu enfants et maris valides. Longtemps après on a chanté et loué les vaillants et courageux résistants, comme on a fustigé ceux qui ont essayé de tirer fortune de leur trahison. Mais ni les louanges, ni les critiques ne peuvent arrêter les guerres et les trahisons. La guerre est une abominable invention de l’homme. « L’humanité devra mettre un terme à la guerre, ou la guerre mettra un terme à l’humanité ». J.F Kennedy.
Le cèdre de l’atlas «Cèdrus Atlantica» pousse à partir de 1600m au Moyen et Haut Atlas.
Un beau jour du mois de novembre 1956, la paix est revenue. En temps de paix on fait un bilan, on interroge l’histoire, et on se met à se reconstruire tout ce qui a été détruit . Mais pour la cédraie de « Tazizawt », la paix a été de courte durée.
La région et ses habitants ont été délaissés. C’était le dogme hérité de l’époque coloniale : « Le Maroc non utile ». Alors autant s’attaquer à ce qui est resté debout, la tête haute: le cèdre. Garder sa fierté a un prix, il faut se débrouiller seul, et l’homme « fier » se met à détruire tout ce qui lui rappelle son prestige d’antan. Le complot nécessite de l’aide et une énième trahison, et c’est au tour d’autres personnes d’en profiter. Comme l’écrivait M. Peyron, Plus rien n’est comme auparavant ; « L’impensable se produit. Tazizaout apparaît comme un désastre à nul autre pareil, « les grands sont morts, les tribus décimées, il n’y a plus de Berbère » ; et on peut ajouter : Il n’y aura plus de forêt.
« yakk, a tazizawt, ur žžin i telli mayd ikkan nnig am, ddan imġar, ttuttin isun, ur d iqqim umaziġ » (tamawayt N’Ali Khadaoui) **
Maintenant c’est au tour des arbres de tomber : le deuxième massacre peut commencer et il continue jusqu’à nos jours, les coups de hache assénés aux arbres s ’entendent à un rythme régulier, un autre bruit qui rappelle les coups de fusils de l’ennemi d’antan. Repris en écho ce bruit a quelque chose de douloureux, et d’impitoyable. Il parait que les arbres communiquent entre eux, on dirait qu’ils crient leur haine envers cette autre race de spoliateurs. La cédraie primaire plie son échine, seuls quelques spécimens résistent encore. « Idgl ama^z^zyal », l’arbre mère en haut de la colline aurait repris de son envergure après l’indépendance en 1956, et depuis, il continue à communiquer avec les cèdres d’en bas pour aider la forêt à se régénérer.
Malgré sa classification par l’Unesco, le cèdre de l’Atlas est en péril. Les arbres s’appuient en effet sur un réseau de racines pour communiquer, les leurs, mais aussi celles des nombreux champignons présents en milieu forestier. Une connexion s’établit ainsi entre des arbres éloignés de plusieurs dizaines, voire centaines de mètres, et ceci est particulièrement important en cas de stress.
Les massacres ont toujours étés imputés à l’homme depuis la nuit des temps, et ils se perpétuent encore ! Si pour le premier massacre de « Tazizawt » la page est momentanément tournée, le deuxième massacre nécessiterait une prise de conscience et une intervention urgente de la part de nous tous. Le dérèglement climatique, et l’abattage illégal entraineront sans nul doute la disparition de cet arbre emblème de la forêt du moyen Atlas, et ce malgré le fait que la cédraie du Maroc fait désormais partie du réseau des réserves de biosphère de l’Unesco.
Références :
Poésies anonymes de la tragédie de Tazizawt (Aghbala et Tounfite), 1932: www.culture-islam.fr
* »J’ai été bombardé, résisté à la faim,les obus ont détruit les rochers au dessus de ma tête »
**« Tu es témoin ô Tazizawt ! Aucune bataille ne t’égale Les chefs sont morts, les tribus décimées, il n y a plus d’amazighe ».
Oralité et résistance : dits poétiques et non-poétiques ayant pour thème le siège du Tazizaout (Haut Atlas marocain, 1932)Michael Peyron. Dans Études et Documents Berbères 2007/1-2 (N° 25-26),
- YAKOBI: Poésie féminine de résistance en collaboration avec Moha Moukhlis (collecte, IRCAM, Rabat) Sites de mémoire autour de Tazizawt en collaboration avec Elqadéry Mostapha et Michael Peyron (collecte vidéographique et photographique ). Les trous de mémoire chez les témoins occulaires de Tazizawt (article, Université Al Akhawayen, Ifrane) .
- HILLALI, La grotte à palabres. Éditions Falia. Beni-Mellal
- Wohlleben: La vie secrète des arbres.
Tadâ, un pacte sacré de pondération tribale. LE MATIN 17/9/2004.
Le cèdre de l’Atlas désormais protégé par l’Unesco, Tel Quel société 21/3/2016.
Photographies : Mustapha Merouane
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