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TRIBUNE
Universitaire à Rabat et chercheur en migration
Refonder la politique gouvernementale en direction des Marocains résidant à l’étranger
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À l’occasion de la journée nationale du migrant, professeur Abdelkrim Belguendouz, universitaire et chercheur en migration, revient pour LeBrief.ma sur la politique migratoire du Maroc et ses défaillances. L’expert propose aussi une liste de recommandations pour améliorer cette politique en faveur des Marocains résidant à l’étranger.
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Au Maroc, les migrants et les réfugiés sont célébrés à divers moments de l’année. Il y a d’abord la Journée internationale des migrants célébrée dans le monde entier comme l’a décidé l’ONU chaque année le 18 décembre. Il y a ensuite la Journée internationale des réfugiés chaque 20 juin. À cela, il faut ajouter au Maroc la Journée nationale des Marocains résidant à l’étranger, décidée par le Souverain en 2003 et qui a lieu chaque 10 août de l’année.
Ce rendez-vous estival au Maroc, qui correspond à une forte présence au Maroc de nos compatriotes de l’extérieur, dans le cadre de l’opération « Marhaba », est fait pour mettre à l’honneur les Marocains établis à l’extérieur du pays, communiquer avec eux pour renforcer leurs liens avec la mère patrie, permettre aux autorités marocaines de mettre en avant les actions entreprises en leur direction, écouter et prendre en compte leurs doléances, attentes et aspirations. Mais si au début, la célébration se faisait d’abord à l’échelle centrale avec la participation de plusieurs ministres, voire même du premier ministre (puis du chef du gouvernement) permettant ainsi à l’exécutif de justifier sa politique à l’égard de la communauté marocaine résidant à l’étranger et de prendre des engagements la concernant, cette tradition s’est perdue depuis 2015, le gouvernement refusant le débat public libre et contradictoire. C’est ainsi que depuis cette date, on continue à limiter ces rencontres au niveau régional, sans débat pluriel et de fond.
À cela, il faut ajouter qu’avec l’actuel gouvernement, il y a eu une régression au niveau de son architecture, le dossier « MRE » ayant perdu le département spécifique qu’il avait (avec l’immigration et l’asile), ce qui s’est même traduit par la pauvreté du programme gouvernemental s’agissant des diverses dimensions migratoires. Et même la thématique retenue pour cette année n’a été rendue publique par le ministère des Affaires étrangères, de la Coopération africaine et des Marocains résidant à l’étranger que la veille.
Propositions pour l’action
À l’occasion de ce 10 août 2022 et du débat public pour l’action qui devrait normalement avoir lieu et être encouragée par les médias, aussi bien publics que privés, formulons quelques suggestions et propositions d’action pour améliorer la politique gouvernementale en matière de communauté marocaine à l’étranger, en mettant l’accent sur quelques éléments essentiels, le dossier étant multidimensionnel.
Il y a tout d’abord la nécessité d’établir une réelle stratégie nationale globale, cohérente et intégrée en direction des citoyens marocains établis à l’étranger. Cette stratégie ne peut se limiter à une « stratégie de mobilisation des compétences MRE à l’horizon 2030 », dont la préparation avait été annoncée au Parlement par l’ancienne ministre déléguée chargée des MRE.
Au même moment, il s’agit de tenir compte, dans cette stratégie nationale globale et intégrée, de la nécessité de rechercher la complémentarité et la cohérence des institutions en charge des citoyens MRE, avec la délimitation précise de leurs attributions et compétences, pour éviter les chevauchements et les doubles emplois. Rappelons ici l’interpellation solennelle du gouvernement par le discours du Trône du 30 juillet 2015 qui nous paraît encore valable en été 2022 : «Nous réitérons notre appel pour élaborer une stratégie intégrée fondée sur la synergie entre les institutions nationales ayant compétence en matière de migration pour rendre ces institutions plus efficientes au service des Marocains du monde».
Dans cet esprit, il s’agit de rationaliser et de démocratiser la gestion des institutions marocaines chargées en totalité ou partiellement du dossier MRE, et de les rendre efficientes, en particulier le CCME, la Fondation Hassan II pour les Marocains résidant à l’étranger, le Conseil européen des oulémas marocains basé à Bruxelles, la CNSS (volet international), certains consulats… qui connaissent actuellement une gestion médiocre et une piètre gouvernance, mises en relief notamment par un rapport parlementaire en la matière.
Plus généralement, il importe d’intégrer les citoyens MRE dans leur citoyenneté pleine et entière en opérationnalisant tous leurs droits constitutionnels (articles 16, 17, 18, 163), y compris le droit de vote et de représentation à la Chambre des députés, non pas par le biais de la procuration, mais à partir de circonscriptions électorales législatives de l’étranger, le droit de participer pleinement aux institutions consultatives et de bonne gouvernance et le droit de participer également à l’élaboration et au suivi des politiques publiques au niveau régional et local.
Il s’agit aussi de promouvoir la place de la migration (émigration et immigration) dans le dialogue social en en faisant une question d’intérêt commun, en rapport avec la politique économique et sociale du Maroc, un objet de dialogue social tripartite entre les pouvoirs publics, les syndicats de travailleurs et les organisations d’employeurs.
Il importe également d’instaurer ou de rétablir la confiance des citoyens marocains établis à l’étranger dans les institutions, en assurant notamment par les services de la Conservation foncière et l’institution de la Justice, la sécurité du droit de propriété de leurs biens immobiliers acquis au Maroc, qui sont spoliés et appropriés frauduleusement.
Autres suggestions concrètes
Enfin, en tant que chercheur en migration, deux autres points nous paraissent prioritaires :
* Élaborer et suivre un programme national de la recherche en matière migratoire, fournissant des réponses articulées aux défis et enjeux migratoires propres au Maroc et non pensées par rapport à l’agenda de ses partenaires techniques et financiers étrangers, un programme financé par conséquent de manière interne pour se soustraire aux influences extérieures, principalement celles de l’UE, sous couvert de « renforcement des capacités » ou de « séminaires de formation » à l’étranger et de recours aux « experts ».
* Refonder, renforcer et activer l’Observatoire national des migrations qui dépend actuellement du ministère de l’Intérieur, pour en faire une institution autonome, efficiente concernant les divers volets de la migration internationale pour le Maroc (immigration étrangère et asile au Maroc, émigration du Maroc vers l’étranger) concernant aussi bien les nationaux que les étrangers et communauté marocaine établie à l’étranger. Cet Observatoire doit être sans exclusive ou discrimination, ouvert à toutes les parties concernées, les syndicats, les équipes de recherche sur la migration et les organisations de la société civile.
La refonte de la politique gouvernementale en direction des citoyennes et des citoyens MRE devrait aller de pair avec le renforcement et la dynamisation de la Stratégie nationale d’Immigration et d’asile (SNIA), à l’œuvre depuis fin 2014 dans le cadre de la nouvelle politique migratoire du Maroc, initiée par le Souverain en septembre 2013.
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