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TRIBUNE
Expert en relations internationales
USA : une élection ordinaire avec des records extraordinaires
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Hafid Boutaleb revient dans cette tribune sur le palpitant feuilleton de l’élection présidentielle américaine. L’expert en relations internationales retrace les records réalisés tant par le Parti démocrate que par son rival républicain. Si le parti au logo d’âne est quasiment systématiquement premier au vote populaire, le «Grand Old Party» lui, ne peut compter principalement que sur le vote des grands électeurs. Décryptage.
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L’élection américaine de 2020 aura été par plusieurs points l’élection de tous les records. L’âge des candidats d’abord, mais aussi le nombre d’électeurs, les voix d’écart, le score réalisé par les deux partis, même l’âge de la First Lady, 69 ans, première dame la plus âgée à entrer à la Maison-Blanche. Sans oublier Kamala Harris, qui en elle-même incarne deux symboles forts : première femme et première personne issue des minorités à être portée à la vice-présidence des États-Unis d’Amérique.
Et avec 81 millions de voix, le revenant Joe Biden, et son parti au logo d’âne, obtiennent le score le plus important remporté par un candidat à l’élection présidentielle de l’Histoire des États-Unis d’Amérique.
De leur côté aussi, les conservateurs du Parti républicain n’ont jamais autant obtenu de voix. Presque 12 millions de voix de plus que le meilleur score jamais réalisé par le parti. C’était en 2004, avec la victoire de George W. Bush, l’emportant avec 62 millions de voix pour un second mandat face à John Kerry. Trump avait déjà dépassé ce record en 2016 en obtenant 63 millions de voix, mais en novembre dernier il a pulvérisé ce record, en obtenant 74 millions de suffrages recueillis, en dépit d’une crise sanitaire sans précédent et d’une très forte récession économique.
Un scrutin inédit
Cette performance est d’autant plus importante qu’elle a eu lieu en pleine épidémie de Covid-19, et qu’un demi-million de morts a été recensé rien qu’aux États-Unis, soit 20% du total des décès dans le monde. Sur cet aspect, les démocrates ont eu la présence d’esprit « civique » de battre campagne tout en restant attentifs au virus, et en respectant scrupuleusement la distanciation. Les consignes de vote à distance, pour éviter que les files d’électeurs ne deviennent des clusters d’infection, auront d’ailleurs, une fois ces bulletins à distance dépouillés, réservé la pire des surprises au président sortant. L’électorat démocrate ce sera beaucoup plus mobilisé à distance, que les républicains qui n’auront respecté que très peu de consignes sanitaires lors de leur campagne. Un déni qui leur aura coûté cher.
Le parti démocrate s’inscrit dans une suite de victoires au « vote populaire », entamée depuis la fin de la guerre froide
Mais au-delà de cette élection, le parti démocrate s’inscrit dans une suite de victoires au « vote populaire » (nombre total de voix exprimées), entamée depuis la fin de la guerre froide. En effet sur 8 élections depuis 1992, date de la fin de la guerre froide, le parti démocrate aura gagné 7 élections au « vote populaire », contre une seule pour George W. Bush, sur fond de guerre contre le terrorisme après la tragédie du 11 septembre 2001.
Ainsi de 1947 à 1992, les républicains auront gouverné 28 ans, contre 17 pour les démocrates. Celui qu’on surnomme le «Grand Old Party» s’enorgueillit souvent d’Abraham Lincoln, le républicain qui aura gagné la guerre civile et réconcilié l’Amérique avec elle-même. Sans oublier que le parti a réalisé la prouesse d’avoir terrassé les Soviétiques de Gorbatchev.
Le Parti républicain lui ne peut plus compter que sur le vote des grands électeurs
Mais dès la fin de cette guerre froide, le parti n’en récolte pas les fruits, mais une tendance de fond inverse s’installe dans le paysage politique américain.
En effet, comme le montre le schéma, le Parti démocrate est quasiment systématiquement premier au vote populaire. Le Parti républicain lui ne peut plus compter que sur le vote des grands électeurs, qui, s’ils restent légitimes au vu de l’ADN nationale des États-Unis, posent un sérieux problème quant à l’idée de souveraineté populaire censée être à la base de la démocratie américaine. La constitution de 1776 est la conjugaison de la souveraineté du peuple et du gouvernement représentatif grâce au fédéralisme notamment. Mais la démocratie américaine, nous dit Tocqueville, est d’abord fondée sur l’absoluité de la souveraineté populaire. Or sur les trois dernières décennies, les républicains ont déjà utilisé deux fois le vote des grands électeurs, en contournant le vote populaire, sans compter ce dernier scrutin que Trump estime avoir gagné, en ignorant allègrement que Biden le devance de plus de sept millions de voix d’écart. À noter également que tout au long du XXe siècle les résultats des grands électeurs se sont toujours alignés au vote populaire. Ainsi, le fait que le parti républicain tente par trois fois en trois décennies de contourner le vote populaire constitue une tendance nouvelle plus qu’inquiétante pour la démocratie américaine.
Ceci s’explique pour plusieurs raisons. Si lors de la guerre froide, le péril communiste et le risque d’une guerre nucléaire suffisaient à donner crédit au discours ultralibéral et nationaliste des républicains, les choses sont tout autres depuis 1992.
En effet le discours social et libéral des démocrates séduit de plus en plus. Le parti démocrate accorde une importance considérable aux défis environnementaux. Jamais d’ailleurs l’environnement n’aura été autant au cœur d’un programme électoral aux États-Unis, pays où il y a peu, des lobbys puissants niaient toute implication humaine dans l’augmentation incontrôlée des gaz à effet de serre. Un discours qui paie surtout après les terribles incendies de Californie en 2020, et la récurrence de désastres écologiques et autres catastrophes naturelles.
Le civil rights act pour les minorités noires, signé en présence de Martin Luther King à la Maison-Blanche en 1964, ce sont les démocrates
Mais le renversement de tendance depuis 1992 s’explique surtout par l’attention particulière que le parti démocrate réserve depuis longtemps aux minorités religieuses, raciales, ethniques et depuis peu aux minorités sexuelles et de genre. Le civil rights act pour les minorités noires signé en présence de Martin Luther King à la Maison-Blanche en 1964, c’est les démocrates. L’affirmative action de 1995 ayant pour objet l’insertion des minorités au sein de l’administration fédérale américaine, c’est aussi l’administration démocrate de Bill Clinton. L’Histoire retiendra aussi Barack Obama le démocrate, premier noir à être élu à la Maison-Blanche, ainsi que celui qui aura reconnu les droits des minorités sexuelles et de genre. Et aux dernières élections sénatoriales, c’est le travail de fourmi de la puissante militante afro-américaine, Stacey Abrams qui fait basculer la Géorgie, bastion républicain, vers le parti démocrate. Enfin Joe Biden est le deuxième président américain de souche catholique de l’Histoire, après Kennedy. Car sur les 46 présidents élus aux États-Unis, 43 sont des blancs de souche protestante dits WASP-White anglo-saxon Protestant, alors que seuls 33% des Américains correspondent aujourd’hui à ce profil.
Que ce soit sur une lecture raciale en ce qui concerne les noirs, asiatiques et blancs, ou une lecture ethnique pour ce qui est des hispano-américains et même religieuse, notamment pour la minorité juive (67% des juifs américains ont voté Biden) ou musulmane aux États-Unis, ce sont les démocrates qui sont les favoris. Et si la vieille Amérique blanche et protestante revendique aujourd’hui le mérite d’avoir bâti cette Amérique dans laquelle toutes ces minorités s’émancipent, elle ne fait plus le poids électoralement parlant. Économiquement parlant, c’est autre chose.
Et même si de nombreux WASP sont démocrates et ont voté Biden, la majorité reste attachée aux valeurs qu’incarnent les républicains
En effet les WASP conservent un poids économique considérable et leur attrait principalement pour le parti républicain s’appuie principalement sur le fait que ce parti est le seul à même de réduire les taxes et préserver le socle ultralibéral au-delà duquel les États-Unis perdront leur identité. Et même si de nombreux WASP sont démocrates et ont voté Biden, la majorité reste attachée aux valeurs qu’incarnent les républicains.
Le discours paradoxalement anti-establishment du milliardaire Trump s’explique donc par la nécessité de capter des voix nouvelles hors du fief idéologique, tout en restant fidèle aux principes du parti pour ne pas risquer une dislocation du camp conservateur. Et au vu du score inédit réalisé en novembre dernier, en dépit d’une année 2020 catastrophique, la stratégie de Trump aura payé, malgré la défaite. Et tout le défi pour les prochaines années se situe là-dessus. Car tout changement d’ADN au sein du camp conservateur ne peut que menacer la base fidèle, or cette base ne suffit plus, mais sans elle point de victoire. Il semble donc que le discours populiste anti-washingtonien de Trump n’en soit qu’à ses débuts du côté du Grand Old Party.
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