PLF 2021 : un premier pas timide vers le pari de la justice fiscale

La solidarité par la fiscalité, voilà une notion qui est plus que nécessaire en ces temps de crise. Le PLF 2021 est un premier pas vers une future réhabilitation du partage de la richesse et un timide premier pas vers la transition sociale tant attendue, estime Abdelghani Youmni.

Temps de lecture
Publié le 22/10/2020 à 12:42

Tribune

Abdelghani Youmni

économiste et consultant

S’il est vrai que l’épidémie progresse, que la vigilance devient de plus en plus notre pare-crise collective et que le masque est notre ultime outil social de confinement, cela nous amène à dire que face à la convergence des risques sociaux, psychologiques et sanitaires le confinement n’est pas l’arbitrage du juste meilleur. Mais, l’arbitrage le plus juste serait de concilier entre combat pour la vie et combat pour l’économie, c’est tout le débat. Dans ce sens, l’action du gouvernement et de l’exécutif marocains devra jouer un rôle clé pour freiner la casse sociale et limiter les faillites en cascades.



Mais s’il est vrai, que rien aujourd’hui ne permet d’exclure un rebond de l’épidémie et que rien ne permet d’exclure des confinements partiels par territoires ici et là ou des restrictions sur la mobilité de certaines catégories de citoyens, et qu’évidement la croissance économique ne repartira au Maroc ni en V ni en L, mais en U pour cause d’incertitudes des ménages, de reprise au ralenti de la production et des échanges commerciaux avec les principaux partenaires européens et africains, le retour de la croissance économique ne sera pas là avant 2022. Ce n’est pas une illusion, mais une quasi-certitude, cette reprise dépendra aussi de la pluviométrie. Au Maroc, l’ensemble des dépenses de l’État montent pendant que les recettes régressent, le déficit budgétaire est de 6,5% conjugué à une récession de 7,5%. Ce constat n’est pas seulement local ou régional, mais il est mondial.



Dans ce Projet de loi de finances, je retiens que la nouvelle contribution sociale de solidarité ressemble à bien des égards à la contribution sociale généralisée «CSG» instaurée par Michel Rocard en France dans les années 1990.



Pour ce qui est du PLF 2021, doit-on acclamer « le vive l’impôt » ? Moi, je dirai prudemment vive la justice fiscale, que seules des réformes bâtiront le corpus d’une justice sociale à naître. Notons qu’il est indéniable que le PLF 2021 fait un pas vers la solidarité par la fiscalité. Cette quête du bien-vivre de la société entière serait un nécessaire bien commun dans le Maroc post-Covid. Dans ce projet de loi de finances, je retiens que la nouvelle contribution sociale de solidarité ressemble à bien des égards à la contribution sociale généralisée «CSG» instaurée par Michel Rocard en France dans les années 1990. Une mesure fiscale que ce grand social-démocrate avait couplée d’une vraie mesure sociale qui n’est que le Revenu minimum d’insertion devenu RSA sous Sarkozy, mais toujours versé aux personnes fragiles pour lutter contre la précarité et contre la pauvreté monétaire.  



Concrètement, la nouvelle contribution sociale de solidarité s’appliquera aux revenus dépassant les 120.000 dirhams annuels privés et publics, agricoles et fonciers des personnes physiques à hauteur de 1,5%. Elle est également élargie aussi aux entreprises pour prélever 5% sur les bénéfices des sociétés actives dans les secteurs des hydrocarbures, des télécommunications et de ciments, entités à fortes valeurs ajoutées, importants profits et peu d’emplois. Une mesure efficiente, courageuse et salutaire. Quant aux autres sociétés, elles ne seront prélevées que de 2,5% en plus de l’impôt sur les sociétés. Cette mesure renflouera les caisses de l’État de plus de cinq milliards de dirhams, mais ne suffira malheureusement pas à moyen et long termes à financer la couverture sociale généralisée et le projet de transferts sociaux d’allocations familiales visant les ménages les plus vulnérables dans le cadre du RSU «Registre social unifié».



Admettons que ce PLF 2021 est un premier pas vers une future réhabilitation du partage de la richesse et un timide premier pas vers la transition sociale tant attendue.



Admettons que ce PLF 2021 est un premier pas vers une future réhabilitation du partage de la richesse et un timide premier pas vers la transition sociale tant attendue. Puis, reconnaissons aussi, et sans réserve, que ce projet de loi met le doigt sur un des dilemmes de notre époque : «l’enrichissement pour certains ou le bien-vivre pour tous ?».



Et pour finir, nous attendons avec impatience l’aube du vrai grand saut vers l’adoption par l’exécutif des requêtes émanant du plaidoyer populaire au Maroc, qui oppose inégalités et justice sociale et qui milite pour une réforme fiscale élargie beaucoup plus structurelle et dans le temps que les simples mesures conjoncturelles dictées par les lois de finances. Cette refonte fiscale devra inclure l’impôt sur les successions et l’impôt sur la fortune, elle représenterait un vrai big-bang pour le continent et pour le monde arabe, car elle dresserait les jalons d’une société de démocratie plurielle qui se nourrit de l’impôt progressif et s’irrigue de la productivité du travail dans le public et dans le privé, société qui laminera la rente et les velléités de l’assistanat.    


Dernier articles
Les articles les plus lu
Publié le 13/09

Les médinas : la révolution piétonne que les villes modernes ont oubliée

À une époque où les grandes villes modernes comme New York et Tokyo se métamorphosent en labyrinthes de gratte-ciel et en réseaux sophistiqués de transports motorisés, les médinas du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord se dressent comme des témoins d’une approche urbaine profondément différente. Ces anciens quartiers, avec leurs dédales de ruelles étroites, nous offrent un modèle saisissant de bipédisation urbaine où la marche n’est pas simplement une nécessité, mais une philosophie de vie. Contrairement aux métropoles contemporaines, où l’urbanisme…

Par, Mohammed Hakim Belkadi , Consultant architecte des écosystèmes urbains prédictifs et des milieux interconnectés expert judiciaire
Publié le 05/09

La mise à niveau du parc hôtelier marocain en marche

Depuis un moment, les analystes n’ont de cesse de préfigurer le format que prendra le tissu infrastructurel marocain avec l’avènement de grands événements sportifs sur le territoire du royaume. Ainsi, en prévision des grands événements sportifs internationaux que le Maroc accueillera, tels que la Coupe d’Afrique des Nations 2025 et la Coupe du Monde 2030, et dans le cadre de la mise en œuvre de la feuille de route du tourisme 2023-2026, les autorités marocaines prennent des initiatives importantes du…

Par, Driss Aissaoui , Analyste politique et économiste
Publié le 05/09

Communication et politique, un duo gagnant

L’importance du coup de jeune : Au-delà d’une image dynamique et moderne, cette initiative a permis également d’engager une population jeune, qui souhaite avoir des représentants à son image, qui parlent le même langage. Nous l’avons observé en France par exemple avec un parti de droite qui a raflé plus de 30 % des voix, un résultat qui prend plus d’ampleur une fois ramené aux choix des 18-34 ans chez lesquels le candidat du parti est arrivé également en tête.…

Par, Mohamed Adnane Abdelghani , Consultant en communication et Relations Publiques
Publié le 03/09

L’impact des mesures législatives sur l’efficacité du recensement au Maroc : analyse minutieuse

Objectifs principaux et procédures de mise en œuvre L’objectif principal de la loi n° 001.71 est d’organiser le recensement de la population et du logement au Royaume du Maroc, en mettant l’accent sur la confidentialité et le bon déroulement de l’opération. Cette opération est exécutée par l’autorité gouvernementale chargée de la planification, en coordination avec le Ministère de l’Intérieur. Les conditions et les dates de réalisation du recensement sont fixées par le chef du gouvernement, sur proposition de ces instances.…

Par, Yassine Kahli , Conseiller juridique et chercheur en sciences juridiques
Publié le 02/09

Législation et contenu numérique : un équilibre nécessaire

La problématique de la prolifération du contenu « néfaste » sur les réseaux sociaux constitue l’un des défis majeurs de l’ère numérique actuelle. Avec l’expansion continue de ces plateformes, cette question touche non seulement aux valeurs et à l’éthique générale, mais également à l’impact de ce contenu sur les individus, les familles et la société dans son ensemble. Dans ce contexte, la proposition de modifier la loi n° 70.17, régissant le secteur du cinéma, pour y inclure la surveillance et la régulation…

Par, Yassine Kahli , Conseiller juridique et chercheur en sciences juridiques
Publié le 15/08

Confidentialité et cybersécurité : qui impose ses règles, la loi ou la technologie?

Les preuves « numériques » diffèrent des preuves traditionnelles à plusieurs égards. Elles sont facilement manipulables et effaçables. Celles-ci comprennent les e-mails, les publications, les commentaires et les médias multimédias qui sont partagés sur les plateformes de médias sociaux. Ces preuves « numériques » constituent une source puissante pour attester des crimes informatiques, mais elles soulèvent en même temps de nouveaux défis pour les enquêteurs et les juges. Les défis liés aux preuves numériques : Manipulation et suppression : La facilité avec laquelle les…

Par, Yassine Kahli , Conseiller juridique et chercheur en sciences juridiques
Publié le 09/08

Le projet de loi de finances 2025 : une vision stratégique pour le développement durable du Maroc

La note présente une image claire du parcours de développement que le Royaume a connu au cours des 25 dernières années sous la conduite de Sa Majesté le roi Mohammed VI, que Dieu le protège. Elle souligne l’importance de ce parcours dans la réalisation de la transformation qualitative que l’économie nationale a connue, et dans la mise en place des fondements d’un modèle de développement unique qui allie volonté et réalisme, et qui repose sur trois piliers principaux et interdépendants…

Par, Yassine Kahli , Conseiller juridique et chercheur en sciences juridiques
Publié le 05/08

L’eau, la législation et le développement au Maroc : une nouvelle ère pour la gestion des ressources hydriques

Le Maroc fait face à des défis hydriques croissants dus aux changements climatiques, à la croissance démographique rapide, et à l’expansion urbaine et industrielle. Ces défis ont poussé le pays à adopter des textes législatifs et réglementaires stricts pour protéger cette ressource précieuse. Dans ce contexte, la « Police de l’eau » a été créée dans le cadre des efforts visant à surveiller et à protéger le domaine public hydraulique. La Loi sur l’eau n° 36.15 constitue la pierre angulaire de la…

Par, Yassine Kahli , Conseiller juridique et chercheur en sciences juridiques
Voir plus
Publié le 07/12

Comment stimuler l’épargne salariale ?

C’est un sujet entamé depuis 2007. Les premiers produits qu’on a essayé de lancer pour mobiliser l’épargne publique à ce jour ont des résultats timides. La preuve c’est qu’en termes de statistiques, c’est très pauvre dans le sens où les indicateurs clés de Bank Al-Maghrib ne les citent même pas. Idem si vous faites juste un tour au niveau des banques, le produit n’est pas vendable, il n’est pas présenté à la vente. Il faut vraiment demander pour qu’on puisse avoir quelques réponses timides. Par…

Par, Saïd Amaghdir , Directeur associé chez Finance Value et Président de la commission Financement, Investissement TPE-PME chez le Club des dirigeants
Publié le 02/05

Promouvoir le coaching professionnel au Maroc, un challenge depuis 2 décennies…

La conduite du changement et l’accompagnement des transformations au sein d’environnements étant de plus en plus incertains et dynamiques, nous assistons depuis quelques années à un recours progressif aux métiers de l’accompagnement et plus spécialement au coaching. Cet afflux n’est à ce jour cadré ni au niveau des praticiens du coaching ni au niveau des clients de « cette prestation de service ». A ce stade, il est opportun de souligner l’importance de deux notions fondamentales dans un processus de…

Par, Manal DAHOUNI SEFIANI , Présidente ICF Maroc Chapter et Founder & Managing Partner du Cabinet PPC- Path & Purpose Consulting
Publié le 11/02

Pourquoi consulter un médecin nutritionniste ?

Le motif de consultation chez un nutritionniste ne se limite pas à un désir de perte de poids. La nutrition est une science qui étudie le rapport des aliments avec votre santé. Ainsi votre régime alimentaire a un impact sur votre organisme, il peut aussi bien avoir un rôle préventif sur la maladie qu’avoir un impact négatif sur votre santé. Donc le rôle du médecin nutritionniste est de vous prescrire un régime adapté soit en prévention soit pour stabiliser ou traiter la…

Par, Docteur Valérie Alighieri , médecin généraliste, nutritionniste et diabétologue
Publié le 30/04

Réforme de la Moudawana : entre aspirations modernistes et réalités conservatrices

Les propositions de réforme de la Moudawana sont entre les mains de Sa Majesté. Il lui reviendra donc, en tant qu’Amir Al Mouminine et Chef de l’Etat, le dernier mot dans ce grand chantier sociétal. Vingt ans après la dernière réforme, le Maroc se trouve à nouveau à la croisée des chemins entre tradition et modernité. La volonté de moderniser le cadre légal régissant la structure familiale s’inscrit dans un contexte global de transformations sociales et législatives. Les promoteurs de…

Par, Nabil Adel , Enseignant chercheur
Publié le 27/10

Wafa Assurance : la destruction méthodique de Ramsès Arroub (6/6)

L’une des particularités du secteur des assurances, est la diversité des canaux de distribution et leur degré d’(in)dépendance vis-à-vis de la compagnie. Le rôle d’intermédiaire d’assurances a toujours consisté en le rapprochement entre les clients éparpillés d’une compagnie d’assurances et ses services centraux ou régionaux. Contrairement aux banques qui distribuent leurs produits via leurs propres agences et employant leurs propres salariés, les intermédiaires d’assurances sont des tiers pour les assureurs et sont donc rémunérés à la commission. Ainsi, qu’il s’agisse…

Par, Nabil Adel , Ancien cadre de Wafa Assurance
[email protected]
Publié le 22/09

Wafa Assurance : le sombre tableau de Ramsès Arroub (1/6)

Et s’il y a une équipe dirigeante qui pouvait se targuer d’avoir transformé un petit établissement contrôlant moins de 4% du marché marocain des assurances, à un géant régional (monde arabe) et continental (Afrique), c’est bien le management de cette ancienne maison mère de Wafa Bank. Que s’est-il donc passé pour que cette belle «success story» se retrouve aujourd’hui, l’ombre d’elle-même, tel un lion au crépuscule de sa vie, tétanisé et se voyant siphonner des positions âprement arrachées pendant de…

Par, Nabil Adel , Ancien cadre de Wafa Assurance
[email protected]
Publié le 02/08

Une «année blanche» dans le secteur oléicole et des agriculteurs au bord de la faillite

Les agriculteurs des provinces d’Al Haouz et El Kelâa des Sraghna ont constaté le retard de floraison des oliviers sur leurs domaines, mettant en garde contre les répercussions négatives de cette affaire sur la récolte des oliviers, lors de la saison en cours, surtout après la hausse sans précédent des prix de ce produit vital au cours de la saison dernière. Dans le même contexte, l’Association régionale des producteurs d’olives de la région Marrakech-Safi a adressé une lettre à ce…

Par, Mohamed Slim , Président du Centre marocain de l'Information, l'Environnement et des Énergies Vertes
Publié le 18/07

Échange de données financières relatives aux MRE avec les pays d’immigration : le gouvernement va-t-il enfin expliquer et s’expliquer !?

Avec l’inscription du projet de loi numéro 77-19 à l’ordre du jour du 18 juillet 2023 de la Commission des affaires étrangères de la Chambre des représentants, le débat sur les échanges automatiques de renseignements relatifs aux comptes financiers avec les pays de l’OCDE, refait surface au Maroc, suscitant une très vive inquiétude, soulevant à nouveau un vent de panique, voir même instaurant une psychose parmi la communauté des citoyens marocains résidant à l’étranger ( citoyens MRE) ayant des comptes…

Par, Abdelkrim Belguendouz , Universitaire à Rabat, chercheur en migration

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée Champs requis marqués avec *

Poster commentaire