Le pass vaccinal et la cohabitation ardue entre l’ordre public et le vaccino-scepticisme

Depuis la mise en place de l’état d’urgence sanitaire, le débat relatif au dilemme névralgique entre l’État de droit et la raison d’État s’intensifie. De par leur nature et les objectifs qu’elles poursuivent, les mesures gouvernementales destinées à juguler le coronavirus reposent sur la limitation de la libre circulation des personnes. D’où une mise à mal, voire un gel des libertés et des droits garantis par la Constitution.

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Publié le 25/10/2021 à 10:43

Tribune

Hicham Berjaoui

Enseignant-chercheur à l'Université Cadi Ayyad de Marrakech

Si les Marocains s’habituent progressivement aux différentes restrictions édictées par le gouvernement, celle de l’obligation du port du pass vaccinal attise, particulièrement, une colère acerbe dans la mesure où une multitude d’activistes associatifs et politiques s’y opposent d’une façon qualifiable de frontale.



Avant d’étayer les antagonismes irriguant la controverse sécrétée par le pass vaccinal, il est, de prime abord, loisible de rappeler que conformément à ce qui est désormais devenu une tendance planétaire, le Maroc s’est doté d’une légalité d’exception en vue de la maîtrise de la propagation de la Covid-19. Il s’agit du décret-loi n° 2.20.292 du 23 mars 2020 édictant des dispositions spéciales relatives à l’état d’urgence sanitaire et aux procédures de sa déclaration, approuvé par la loi n° 23.20 promulguée par le Dahir n° 1.20.60 du 28 mai 2020.



Par conséquent, les restrictions gouvernementales ont un soubassement constitutionnel solennel, en ce sens que le texte juridique sur lequel elles s’appuient et par lequel elles se justifient, en l’occurrence la loi sur l’état d’urgence sanitaire précitée, a été édicté en conformité avec la charte suprême du pays. C’est, force est de le mentionner, la Constitution qui fonde l’état d’urgence sanitaire et en incarne le support juridique cardinal.



En sus du fondement constitutionnel, l’état d’urgence sanitaire, en tant que variante de la légalité d’exception, émane du droit international des droits de l’Homme. En effet, l’article 4 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques énonce : «(…) Dans le cas où un danger public exceptionnel menace l’existence de la nation et est proclamé officiellement, les États (…) peuvent prendre, dans la stricte mesure où la situation l’exige, des mesures dérogeant aux obligations prévues dans le présent Pacte (…)».  



Les dispositions prévues par l’article 4 susmentionné sont également retrouvables dans l’article 15 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales du Conseil de l’Europe qui, à son tour, autorise les États à restreindre l’exercice des droits et des libertés si la lutte contre un danger public le dicte.



Il en découle que l’ordre juridique dont le but primordial est la garantie des libertés, à savoir le droit international des droits de l’Homme, reconnaît la théorie de la légalité exceptionnelle et habilite, de ce fait, les États à s’en prévaloir face aux dangers susceptibles de mettre en péril le droit tant individuel que collectif à la vie.



Outre le cadre international des droits de l’Homme, la jurisprudence des juridictions administratives et celle des juridictions des droits de l’Homme (dans les ensembles régionaux qui s’en sont dotés comme, en guise d’exemple, l’Union européenne) entérinent la théorie de la légalité d’exception et ont, à l’occasion de la résolution de litiges qui leur ont été déférés, pris des arrêts approuvant des mesures juridiques exceptionnelles mises en œuvre pour faire face à des circonstances imposant la suspension de la légalité normale.



Sur la base de ce qui précède, il est valable de soutenir qu’en tant qu’outil juridique, la théorie de la légalité exceptionnelle, appelée aussi la théorie des circonstances exceptionnelles, n’est contraire ni au droit international des droits de l’Homme ni à la Constitution. Les autorités administratives peuvent rétrécir l’exercice des libertés et des droits dans le cas où la lutte contre un danger public, dûment constatée, le requiert.



Le droit en temps de crise n’est, donc, pas l’œuvre du gouvernement ou la somatisation d’une quelconque volonté nocive des détenteurs du pouvoir politique aspirant à bafouer les droits fondamentaux. Bien au contraire, il provient de l’effort jurisprudentiel et du mouvement de préservation des droits de l’Homme, basés sur un principe consensuel postulant que la garantie des droits et des libertés est certes primordiale mais elle ne peut s’effectuer aux dépens des exigences périlleuses et dirimantes de la continuité des États et des services publics. 



Au demeurant, il est évident que la théorie de la légalité de crise ne constitue pas une sorte de « chèque à blanc » ou de stratagème juridique duquel l’État userait à hue et à dia.



Le recours à la légalité exceptionnelle est scrupuleusement conditionné par l’apparition d’un danger public attentatoire à l’existence de la nation dûment constaté par une loi, le respect minutieux de la proportionnalité entre la mesure restrictive appliquée et le but recherché, à savoir le rétablissement dans les meilleurs délais de la légalité normale et le maintien des contrôles politique mené par le Parlement et juridictionnel incombant notamment au juge administratif.



À s’en tenir à la réalité, l’opposition sociale à l’obligation du port du pass vaccinal ne concerne pas sa légalité, mais plutôt la méthode de son implémentation. La communication régulière, la transparence en matière de contenu et des effets des vaccins et la mise en place d’alternatives adaptées sont, à titre indicatif, des solutions susceptibles de faciliter la cohabitation difficile entre l’ordre public d’une part et le vaccino-scepticisme d’autre part. 


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