Professeur Nabil Adel, directeur du Groupe de recherche en géopolitique et géoéconomie à l’ESCA
Pour commenter ces développements, nous avons interviewé le Pr Nabil Adel, enseignant-chercheur en économie, qui a partagé ses réflexions sur les implications de ces mesures.
Dans cette discussion, notre intervenant a exploré les impacts potentiels des décisions de BAM sur la stabilité des prix, l’économie souterraine et la compétitivité internationale du Maroc. L’expert a également souligné les défis et les opportunités que ces politiques pourraient représenter pour l’avenir économique du Royaume. Et d’insister sur la nécessité de réformes plus profondes pour véritablement améliorer la croissance et la résilience de l’économie marocaine.
LeBrief : Que pensez-vous de la récente décision de Bank Al- Maghrib de réduire le taux directeur de 25 points de base, passant de 3% à 2,75%, et comment évaluez-vous l’impact de cette réduction sur la stabilité des prix, en particulier compte tenu des progrès réalisés en matière de contrôle de l’inflation ?
Nabil Adel : L’inflation commence à enregistrer un niveau bas en ligne avec la tendance historique observée depuis le Programme d’ajustement structurel (moins de 3%). Maintenant, établir un lien direct entre les deux hausses du taux directeur et la baisse de l’inflation, c’est aller un peu vite en besogne et confondre corrélation (les deux phénomènes ont effectivement eu lieu concomitamment) et causalité (la hausse des taux a limité l’inflation). D’autant plus qu’aucune étude, à notre connaissance, n’a été réalisée pour observer la vitesse et l’effectivité de la diffusion de cette mesure au canal bancaire, puis à la demande en volume, et ensuite aux prix. Mais cette dernière décision de réduction du taux directeur pose la question plus globale de l’effet des politiques monétaires sur les agrégats macroéconomiques, notamment le niveau de production. Et là, aussi bien les modèles théoriques que l’observation empirique, ne dégagent aucun consensus sur le lien de causalité. En effet, la politique monétaire a pu avoir un certain impact sur le niveau de production dans les pays développés, surtout après la Seconde Guerre mondiale, en raison de la particularité du contexte de l’époque. Plusieurs raisons expliquent cette transmission réussie des politiques économiques à l’économie réelle, mais la plus importante à notre humble avis est la prédictibilité de l’environnement de l’après-guerre. Celui-ci est marqué par l’explosion démographique et son impact sur la demande, des économies relativement protectionnistes et l’impact des efforts de reconstruction sur les niveaux de production.
Aujourd’hui, l’environnement a tellement évolué qu’il serait bien frivole de penser qu’une simple variation du taux directeur puisse agir sur le niveau de production ou régler les problèmes structurels de développement. Si cette limite de la politique monétaire concerne les pays développés, que dire des pays en développement ? Ces derniers n’ont même pas atteint le stade de maturité qui permet aux politiques économiques qu’ils mènent d’exercer un quelconque impact sur leur croissance. Dans le cas du Maroc, la prédominance du secteur public, l’insuffisante inclusion financière, le manque de diversification et de complexité de notre offre et la faiblesse du cadre institutionnel sont les véritables leviers sur lesquels il faut agir. La politique monétaire laxiste que commence à mener BAM n’a aucune chance de produire des effets positifs dans ce contexte. Tout ce qu’elle fera, c’est encourager la consommation et donc l’import et détruire l’épargne.
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LeBrief : Quelle est votre position sur l’idée que la réduction de l’utilisation du cash pourrait aider à lutter contre l’économie souterraine et améliorer la traçabilité des transactions ? Et dans un contexte où de nombreux pays encouragent les paiements électroniques pour des raisons de sécurité et d’efficacité, comment pensez-vous que le Maroc pourrait équilibrer la liberté individuelle et la modernisation des systèmes de paiement ?
Nabil Adel : Dans un contexte où de nombreux pays encouragent les paiements électroniques pour des raisons de sécurité et d’efficacité, comment pensez-vous que le Maroc pourrait équilibrer la liberté individuelle et la modernisation des systèmes de paiement ? C’est une idée à ajouter au catalogue des fausses bonnes idées qui nous détournent des vraies réformes à mener, en vue de sauver l’économie marocaine du tunnel de faible croissance dans lequel elle s’engouffre à grande vitesse. Car au nom de quoi des politiques vont-ils décider de la forme que doit prendre la richesse créée par les agents économiques ? Au nom de quoi va-t-on transformer des actifs réels durement acquis et constitués sur des générations, en comptes virtuels, pouvant être réduits à néant par une simple panne électrique, un virus informatique, une erreur bancaire (et Dieu sait qu’il y en a de plus en plus) ou une juste décision administrative ? La circulation du cash n’est ni bonne ni mauvaise pour une économie, car la monnaie n’est pas la richesse, c’est une expression de celle-ci.
En revanche, la monnaie fiduciaire, c’est la confiance, la liberté et l’accélération des transactions. Avant de penser à la forme que doit prendre la richesse, commençons par la créer. Nous avons des problèmes sérieux et nous avons besoin de responsables sérieux pour s’en occuper. Importer tout, y compris les priorités économiques, devient ridicule et ne sert en rien la cause de développement qui est la nôtre. La modernisation des moyens de paiement consiste à offrir une large palette de possibilités et à laisser les gens choisir librement le moyen qui convient le mieux à leurs besoins. Sinon, on s’achemine vers un totalitarisme soft.
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LeBrief : Comment voyez-vous les avantages à long terme d’une plus grande flexibilité du dirham pour l’économie marocaine, et comment évaluez-vous l’importance de préparer et d’encadrer les TPME avant d’envisager cette transition, comme le suggère Jouahri ?
Nabil Adel : La question à se poser est de quelle manière cette flexibilité a-t-elle contribué à améliorer la compétitivité et l’attractivité de l’économie marocaine, comme cela nous a été promis au moment où nous avons commencé à en parler, il y a à peu près dix ans ? Je pense que tout le monde connaît la réponse maintenant.
L’amélioration de la compétitivité et de l’attractivité internationale de notre économie nécessite des mesures plus profondes que de simples «bricolages» monétaires. Depuis l’entrée en vigueur des mesures de flexibilité du dirham, notre économie n’a pas amélioré d’un iota sa part dans les échanges extérieurs. Si on exclut l’embellie des cours du phosphate, sur laquelle nous n’avons que peu de mérite, nous aurions même régressé. C’est à cette aune que nous devons évaluer la pertinence des politiques publiques et non sur la base des recommandations des experts du FMI. Maintenant, si l’objectif est de préserver la valeur du dirham en cas de crise de changes, il faut savoir que cela signifie que la variable d’ajustement ne sera plus nos réserves qui agissent comme un coussin amortisseur, mais ce seront les prix. Autrement dit, la dépréciation du dirham sera directement jusqu’à due concurrence répercutée sur les prix. Est-ce là ce que nous voulons ? À bon entendeur !
LeBrief : Quels sont les impacts attendus de l’octroi des premiers agréments de financement collaboratif (crowdfunding) au Maroc ?
Nabil Adel : C’est une excellente décision que de diversifier les sources de financement à la disposition des entrepreneurs. Les montants levés dépendront de la qualité des projets présentés et de l’effort de communication et de sensibilisation qui accompagnent ce nouveau dispositif.
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