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Cette semaine, trois événements ont focalisé l’attention des acteurs du secteur de l’Éducation et des citoyens soucieux de l’avenir de l’école marocaine. Il s’agit des Assises nationales du développement humain tenues à Skhirat, du Sommet de l’ONU sur la transformation de l’Éducation organisé à New York en marge de l’Assemblée générale des Nations Unies et de la reprise du mouvement de protestation des enseignants contractuels. Ces derniers ont pris part à des assemblées organisées par la « Coordination nationale des enseignants contractuels » pour discuter de l’issue à donner à leur « bataille » dans les mois à venir. Des sit-in sont ainsi prévus ainsi qu’une nouvelle grève nationale lundi.
La méthode Benmoussa
Alors qu’il avait promis de régler le problème des contractuels en juillet dernier, Chakib Benmoussa, ministre de l’Éducation nationale, du Préscolaire et des Sports, s’est éclipsé juste après la rentrée scolaire. Ce dernier avait promis au mois de février que la revendication majeure des enseignants cadres des Académies régionales de l’éducation et de la formation (AREF), celle de basculer du statut de contractuels à celui de personnel soumis au régime de la fonction publique, ne sera plus posée à compter du mois de juillet dernier. Lors d’une conférence de presse, organisée mardi 6 septembre 2022, le ministre avait annoncé le recrutement de 20.000 nouveaux enseignants et cadres administratifs, portant ainsi à 139.000 le nombre d’enseignants-cadres des AREF qui opèrent dans les quatre coins du Royaume, dont 6.000 cadres administratifs. Or, le nouveau statut fondamental unifié du personnel de l’Éducation nationale n’a toujours pas vu le jour.
Absent des assises de Skhirat, puisqu’il a accompagné le chef du gouvernement à New York, Benmoussa a tout de même tenu à faire une intervention vidéo, assurant que son département a mis en place une feuille de route pour un développement éducatif qui détermine les priorités de la période 2022-2026. Ce énième plan d’action vise à orienter les efforts vers des mesures qui impactent directement l’apprenant. Il a aussi évoqué le renforcement des capacités et des aptitudes cognitives chez les élèves du primaire. Selon le responsable gouvernemental, l’école de qualité passe inéluctablement par la généralisation de l’enseignement préscolaire et le renforcement des capacités essentielles, notamment la lecture, l’écriture, la programmation et le calcul.
Pour sa part, le ministre délégué auprès du ministre de l’Économie et des Finances, chargé du budget, Faouzi Lekjaa, a fait observer que les ressources financières allouées au ministère de l’Éducation nationale ont considérablement évolué lors des deux dernières décennies, notant qu’en dépit des efforts consentis dans ce cadre, les résultats demeurent en deçà des ambitions. «Le ministre du Budget l’a clairement démontré, on dépense 5% du PIB ou 20% du budget général de l’État soit 62 milliards de DH (MMDH) pour si peu de résultats. La redevabilité est l’essentiel du message du ministre et j’espère que ça va créer une petite révolution au sein du gouvernement sur l’usage qu’on fait de ces budgets pour pouvoir dépenser de façon plus opportune l’argent du contribuable», estime Abderrahmane Lahlou, expert en éducation et formation.
Le satisfecit d’Akhannouch
Intervenant lundi à New York devant la réunion de haut niveau du Sommet de l’ONU sur la transformation de l’éducation, le chef du gouvernement, Aziz Akhannouch, n’a pas tari d’éloges sur les efforts accomplis par le Maroc en termes d’amélioration du système éducatif. «(…) le Maroc a réalisé un grand progrès dans le processus de réforme et d’amélioration du système éducatif dans la perspective d’opérer une véritable renaissance éducative, en droite ligne des ambitions de l’agenda de l’ONU 2030 pour le développement durable et des objectifs stratégiques du nouveau modèle de développement», a souligné Akhannouch.
Accompagné du ministre de l’Éducation nationale, le chef de l’exécutif a remâché les mêmes expressions en soulignant les trois axes principaux de la nouvelle feuille de route 2022-2026, à savoir : permettre à l’étudiant de se doter des compétences de base, améliorer le rendement de l’enseignant et ses capacités à assurer la transformation de l’éducation, et hisser le niveau de l’école par la création d’institutions éducatives modernes et ouvertes.
Akhannouch s’est même engagé à atteindre certains objectifs chiffrés d’ici quatre ans. Il s’agit de réduire d’un tiers le taux de déperdition scolaire, augmenter de 70% le nombre d’étudiants qui acquièrent des compétences de base en améliorant l’apprentissage et les connaissances, et doubler le nombre d’élèves ayant bénéficié d’activités semi-scolaires et parallèles. Pour y arriver, l’exécutif déploiera des efforts pour mobiliser les financements nécessaires et en nouant des partenariats au niveau bilatéral et multilatéral avec les partenaires internationaux.
«Cela fait 50 ans qu’on s’attèle à améliorer l’école publique et on n’y est toujours pas arrivé», tranche Lahlou. Pour lui, il faut revoir le paradigme et penser au partenariat public-privé pour améliorer le système éducatif. D’autres éléments ont été soulevés par notre expert pour favoriser la centralité de l’élève dont la gestion moderne de l’école, la révision du système d’évaluation, etc.
Et pour finir, cette question intéressante, posée par le ministre délégué chargé du Budget : «Quelle société voulons-nous pour notre pays en 2050 ?». Le responsable gouvernemental a raison en disant que ce sujet d’envergure ne permet pas de passer quelques années de débats politiques sur la langue. Le Maroc traîne toujours de la patte en matière d’enseignement quantitativement et qualitativement. Pire encore, chaque année, le spectre de la déperdition scolaire plane toujours. 331.000 élèves quittent les établissements scolaires. Que faire alors ?
Trois questions à Abderrahmane Lahlou, expert en éducation et formation
LeBrief.ma : Le système éducatif national a un impact négatif sur l’Indice de développement humain (IDH) du Maroc. Pourquoi après de multiples réformes ces dernières années, notre pays n’arrive-t-il pas à redresser la barre et à améliorer les performances de l’enseignement ?
Abderrahmane Lahlou : Il est vrai que les performances de notre système éducatif plombent le développement humain en termes d’indices et donnent des indicateurs de très faible qualité. Que ce soit en partant de l’évaluation nationale à travers le « Programme national d’évaluation des acquis (PNEA) », réalisé par l’Instance nationale d’évaluation qui dépend du Conseil Supérieur de l’Éducation de la Formation et de la Recherche Scientifique (CSEFRS), et qui tous les quatre ans révèle les tares très importantes du non-apprentissage au sein de l’école, ou que ce soit à la lumière des tests internationaux PISA (Programme international pour le suivi des acquis), PIRLS (Programme international de recherche en lecture scolaire) et TIMSS (Trends in mathematics & science study) dans lesquels nous sommes classés véritablement parmi les derniers. Et cela impacte effectivement le développement humain.
Ce qui est le plus inquiétant c’est que l’on se rend compte que ce n’est pas faute de moyens financiers et ce n’est pas faute de moyens humains au sens quantitatif qu’on accuse ces mauvais résultats. D’abord, la raison est managériale. Je pense que le mismanagement est au top de toutes les raisons de cet échec. On pouvait, il y a quelques décennies, mettre des éducateurs et des pédagogues à la tête du système managérial de l’éducation nationale parce que les effectifs n’étaient pas aussi nombreux, les difficultés étaient très surmontables, les enseignements autant que les compétences à acquérir étaient beaucoup plus réduits… Aujourd’hui que le système devient complexe, ce sont de véritables managers formés au management et à ses techniques, comme dans les entreprises et comme dans les grandes institutions, à qui il faut confier le système éducatif. Il me semble que la variable managériale n’est pas encore au top au niveau de notre système éducatif.
L’un des indices qui démontre cela, c’est que nous sommes encore au mode « provision » versus mode « outcome ». C’est une règle anglo-saxonne en termes d’éducation qui consiste à dire qu’il faut différencier entre provision et outcome, à savoir entre les moyens qu’on met en œuvre et les résultats acquis et apprentissages. C’est vrai à l’échelle de l’enseignant qui peut mettre un dispositif d’enseignement tout à fait correct sans qu’il n’y ait d’apprentissage. C’est vrai à l’échelle d’un établissement parce qu’il peut avoir les moyens et les outils qu’il faut sans qu’il n’y ait de vraies acquisitions au niveau de cet établissement. C’est vrai au niveau du ministère aussi. Vous savez que sur le plan des politiques publiques, on résonne trop souvent en termes de moyens à mettre en œuvre. Quand vous entendez les déclarations, elles tournent autour de combien d’enseignants on a recruté, combien d’écoles on a créé, combien de tables on a acheté, combien de cartables on a distribué, combien de curriculums et de programmes on a mis en œuvre, et de l’autre côté en termes d’outputs on en parle très peu souvent, généralement une fois par an à l’occasion des résultats du baccalauréat alors que les apprentissages devraient être évalués régulièrement dans la classe, dans l’école, dans chaque académie… Lorsque l’on commence à résonner en outcome et lorsque l’on commence à rapporter l’outcome à l’input, c’est-à-dire à l’argent dépensé, là, on rend des comptes, et la redevabilité commence à avoir un sens.
LeBrief.ma : Comment aller au plus vite à l’essentiel pour corriger les anomalies et rehausser le niveau de l’école marocaine, au lieu de perdre du temps dans des débats techniques au détriment de l’avenir des générations montantes ?
Abderrahmane Lahlou : Les débats techniques sont nécessaires, on ne peut pas les contourner, mais il faut peut-être agir par des axes privilégiés de réforme. Je crois que le gouvernement est en train de s’y atteler, principalement les enseignants, leurs formations initiale et continue. Après il faut penser aussi à revoir les méthodes d’apprentissage et d’évaluation. Je pense principalement au baccalauréat. On a revu les curricula du primaire puis ceux du collège. Il faudrait maintenant se pencher sur le baccalauréat. Et puis il faut à mon sens changer de paradigme, parce qu’avec celui dans lequel on est, aux yeux de toutes les parties prenantes on ne va pas y arriver.
L’école publique est sacrée, l’école publique a le monopole de l’enseignement, il faut absolument protéger l’école publique… Il faut rompre avec ce discours et faire des sacrifices. Déjà le statut public pose problème. Quand on dit école publique, on ne se soucie pas uniquement du résultat, de l’outcome, de l’apprentissage, mais on se soucie du côté social. C’est-à-dire que chaque élève doit trouver une place de façon indifférenciée dans la même école, l’école de la réussite pour tous. Autre volet social : les enseignants. Il faut qu’ils soient choyés, qu’on prenne soin d’eux, que leurs droits syndicaux soient défendus… On n’a pas l’impression que c’est un corps enseignant prêt aux sacrifices. C’est un corps enseignant plutôt prêt à la revendication et l’État se doit de ménager ce corps, et beaucoup de choses sont accordées au détriment de la qualité.
Le secteur de l’enseignement a recruté le plus grand nombre de fonctionnaires et il est parfois essentiel de maintenir les grands équilibres sécuritaires pour ne pas dire électoraux pour certains gouvernements. Tout ça vient chahuter et perturber ce que l’on recherche tous, ce que l’on appelle de nos vœux, c’est-à-dire la qualité de l’enseignement, de bons apprentissages, un bon niveau de l’élève marocain à l’échelle internationale… Je veux faire la comparaison avec le secteur privé qui ne connaît pas tout ça : il n’a pas de syndicat, il n’a pas de problème sécuritaire, il n’a pas de considérations sociales ou territoriales, il se concentre par conséquent sur les résultats. La différence des résultats des élèves du privé avec ceux du public est notoire. Changer de paradigme, ça serait peut-être encourager davantage, comme beaucoup de pays le font, le partenariat public-privé ou bien donner des bourses ou des chèques éducation aux familles pour qu’elles puissent s’adresser à des écoles privées en partenariat avec l’État parce qu’elles sont gérées de façon plus humaine, plus moderne, moins massive. Il faut donc arrêter de se leurrer en se disant que l’école publique doit rester ce qu’elle est et l’on se doit absolument de trouver le moyen de l’améliorer.
LeBrief.ma : Quelle appréciation faites-vous des derniers changements opérés pour la promotion du système d’éducation et de formation ?
Abderrahmane Lahlou : Je pense qu’avec ce gouvernement, on est en train de toucher certains éléments qui vont probablement améliorer la donne, mais un petit peu à la marge. On réforme le système de recrutement, celui de la formation initiale et celui de la formation continue. On leur alloue un budget conséquent de 4,5 MMDH sur les cinq ans à venir. C’est très intéressant, très bon. On s’intéresse à l’établissement lui-même, après j’espère qu’on s’intéressera aux curricula. Ce sont là des éléments qui sont en faveur d’une amélioration globale, mais tant que l’esprit managérial n’aura pas conquis les académies, les directions régionales, les établissements et le ministère lui-même, on va faire des progrès tellement minimes que la frustration par rapport aux inputs mis dans le système persistera.
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