Dans le Maroc des années 1930, se rendre au souk était un moment privilégié pour tous. Si l’approvisionnement alimentaire était le principal objet, la population marocaine en profitait pour bien d’autres choses : une fois par semaine, il s’agissait de socialiser dans ce qui s’apparentait à une forme d’organisation sociale à vocation économique. Et pour cause, l’on assistait également à des performances culturelles et artistiques qui voyaient défiler poètes, conteurs ou humoristes. Mais ce n’est pas tout… l’on y allait aussi pour se soigner…

Ce lieu de négoces et de rencontres ne se limitait pas simplement aux approvisionnements nécessaires aux habitants. C’était aussi une occasion de se faire beau… et parfois se soigner. Le hajjam (traduisez, barbier et saigneur) était cet homme de confiance à qui l’on a pendant longtemps confié le soin de circoncire nos petits ou encore de nous débarrasser du mauvais sang, une fois adulte. Céphalées ou autres douleurs, rien qu’un rasoir, une pipette et un seau ne peuvent guérir. Car la saignée est communément réputée d’antan pour être «miraculeuse».

À mesure que le Maroc se modernise, chaque quartier possède son go-to guy. À Casablanca, par exemple, il était fréquent de retrouver des barbiers qui pratiquent la hijama (traduisez, saignée). Ils se faisaient nombreux dans le quartier des Habous, pas très loin du Palais royal. Mais la pratique est tombée en désuétude. Seule une poignée d’adeptes subsiste : évidemment parmi les personnes âgées, qui ont pris l’habitude de la pratiquer depuis leur jeune âge, mais aussi parmi celles que le circuit médical n’a pas réussi à guérir.

La saignée, de pratique ancestrale à tendance actuelle

Si au Maroc, à l’image des communautés musulmanes, cet acte a de tout temps été pratiqué, c’est qu’il puise ses fondements dans la prescription religieuse. La médecine prophétique a, en effet, répandu ce procédé thérapeutique, au point d’en devenir le soin vedette. Le prophète Mohammed (paix et bénédiction soient sur lui), qui lui-même y recourait, en a recommandé l’utilisation dans plusieurs hadiths.

D’après Abou Hurayra (que Dieu l’agrée), le Prophète (PBSL) a dit : «Djibril m’a informé que la hijama est la thérapeutique la plus bénéfique» (Sahih Ejjama’ Essaghir, 218)

D’après Anas ibn Malik (que Dieu l’agrée), le Prophète (PBSL) a dit : «Si le sang de quelqu’un devient excessif, qu’il pratique la hijama, car l’excès de sang provoque une congestion mortelle ». (Sahih Sounan Ibn Maja Lil Albani 2747)

Abou Naïm a mentionné dans son œuvre – La médecine prophétique – un hadith : «Hâtez-vous à appliquer la hijama sur la noix de la nuque, cela guérit de cinq maladies » et dans un autre hadith «Elle guérit de soixante-douze maladies.»

Mais la hijama (succion ou cupping therapy en anglais) existait déjà dans la péninsule arabique avant l’avènement de l’islam. Si l’Histoire parle d’archéologues qui ont trouvé des preuves dès 3.000 ans avant l’avènement du calendrier grégorien, les premières traces d’utilisation de cette thérapie ancestrale remontent à 1.500 ans avant J.C. en Égypte. Les anthropologues ont également trouvé en Chine des preuves remontant à 1.000 ans avant J.C.

Durant la période de l’Antiquité, elle est largement utilisée par Hippocrate, père de la médecine, qui s’en sert pour traiter les maladies rhumatismales et les encombrements bronchiques. Plus tard, au 10ᵉ siècle, la hijama connaît un nouvel essor sous l’impulsion d’Ibn Sina (Avicenne), à travers son fameux ouvrage «Le canon de la médecine». Les universités de médecine andalouses enseigneront cette technique telle qu’elle a été émise par le Prophète, ce qui contribuera à sa transmission aux Européens. Elle devient populaire en France aux alentours du 17ᵉ siècle, vantée par le célèbre chirurgien français Ambroise Paré.

Quelle qu’elle soit, elle est ancestrale. En Occident, nous dirons plutôt qu’elle a été découverte en Asie, car cela sonne mieux… Toutefois, la théorie de l’Égypte ancienne est également crédible. Je pense que toutes les civilisations ont utilisé l’effet de succion pour soigner. Que ce soit Chinoise, Égyptienne, subsaharienne, Aztèques ou Indiennes.

Certains soutiennent que la thérapie médicale a été inventée en Afrique. Appelée «Kaho» en haoussa, c’est l’art d’éliminer le sang toxique du corps. Les barbiers “haoussa” (originaires d’Afrique de l’Ouest, principalement du Niger et du Nigeria, mais aussi du Cameroun, du Soudan, du Tchad, du Bénin, du Ghana et du Togo), utilisent alors une corne pour extraire le sang stagnant à la surface.

Article 19 explique, citant Africa Archive, qu’un trou est découpé dans le côté d’une gourde séchée et un morceau de coton est placé à l’intérieur. Le coton est ensuite incendié et la gourde est placée sur la zone à mettre en coupe. La flamme à l’intérieur de la gourde utilise l’oxygène, créant un vide partiel suffisant pour assurer l’aspiration. Le corps est traité et l’air est aspiré, créant un vide partiel à l’intérieur. Le sommet de la corne est ensuite coiffé d’un petit morceau de tendon, glissé en place par la langue du barbier pendant qu’il aspire l’air. La corne reste sur la peau jusqu’à ce qu’elle soulève une trépointe, moment auquel elle est retirée. La trépointe est ensuite lavée à l’eau et une série de coupes sont effectuées avec le rasoir dans le cercle délimité par la corne, généralement trois rangées de cinq coupes verticales chacune.

La hijama traverse les siècles jusqu’au milieu du 20ᵉ et connaît un déclin surtout dans les pays développés. En effet, l’arrivée de la médecine allopathique et des laboratoires pharmaceutiques changent les habitudes de traitement des maladies. Mais cette pratique n’a pas dit son dernier mot. Au début du 21ᵉ siècle, les médecines alternatives renaissent de leurs cendres et reviennent en force. Elle a été reconnue en 2004 par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) comme thérapie guérissant certaines maladies dont l’asthme, le diabète et l’acné. Selon l’OMS, cette thérapie non conventionnelle normalise donc tous les excès, épure le sang et permet de pallier certains manques de l’organisme.

La thérapie par les ventouses revient sur le devant de la scène et connait ses heures de gloire, grâce au mythique nageur américain Michael Phelps, qui est filmé avec ses traces de ventouses lors des Jeux olympiques de 2016.

Hijama

Ces traces sur le haut du corps de Michael Phelps résultent d’un procédé de récupération. (Reuters)

C’est alors le début d’une fulgurante explosion de cette pratique grâce aux réseaux sociaux. Toutes les stars mondiales dans de nombreux sports (footballeurs, rugbymen, artistes martiaux, tennismen…) n’hésitent plus à poster leurs séances. En 2022, alors attaquant du Real Madrid, Karim Benzema, poste régulièrement des photos de ses marques rondes sur les réseaux sociaux, et n’hésite pas à vanter les mérites de ces massages hors du commun lors de ses interviews.

Et dans cette tendance, le Royaume ne fait pas l’exception. Si le métier de hajam a perdu de son aura en raison de la modernisation, les blouses blanches ont, elles, pris le relai. Les instruments utilisés sont plus sophistiqués. Plusieurs médecins généralistes pratiquent désormais la hijama dans les grandes villes et elle est aussi enseignée dans des centres spécialisés. Il y a encore quelques années, certains opéraient encore en toute discrétion, leurs noms se transmettant uniquement par le bouche-à-oreille pour ne pas subir les foudres d’une profession qui rejette tout ce qui sort de l’orthodoxie médicale.

Aujourd’hui, c’est une tout autre histoire. Il suffit de taper «hijama maroc» sur le moteur de recherche pour dénicher au moins une dizaine d’adresses à Casablanca seulement.

Saigner pour soigner, c’est quoi au juste ?

Tout d’abord, il existe plusieurs types de hijama : sèche (à sec) quand l’opération est réalisée sans incision, humide (saignante), glissante et la hijama à infusion.

nous pouvons comparer une séance de hijama à une visite chez le garagiste, pour faire la vidange du moteur de sa voiture
Un thérapeute spécialisé dans la hijama exerçant à Genève.

La hijama humide consiste à effectuer de petites incisions superficielles faites à des endroits bien précis et en fonction de la pathologie à traiter. À l’instar de la médecine traditionnelle chinoise, les zones concernent des points d’acupuncture, le long des méridiens, essentiellement sur le dos et la nuque.

Des ventouses sont ensuite appliquées au niveau de ces zones pour éliminer la stase sanguine (sang stagnant ou congestionné), de couleur noirâtre. Le traitement vient, en effet, aspirer les déchets toxiques acides qui ralentissent ou bloquent les vaisseaux sanguins (capillaires) et réduisent l’apport de sang oxygéné et riche en nutriments et l’élimination du dioxyde de carbone et des déchets métaboliques de nos cellules corporelles.

«Pour faire simple, nous pouvons comparer une séance de hijama à une visite chez le garagiste, pour faire la vidange du moteur de sa voiture. Vidanger sa mauvaise huile (mauvais sang) pour que notre moteur (circulation sanguine) fonctionne en parfait état le plus longtemps possible. Notre corps retrouve une vascularisation optimale et l’on se sent boosté. Comme pour notre véhicule, il est donc important de faire notre vidange au minimum une fois par an», explique un thérapeute spécialisé dans la hijama exerçant à Genève.

La pratique consiste donc, grâce à l’effet de succion des ventouses et de micro-incisions, d’extraire principalement des substances nocives, toxiques, accumulées. La première action sera donc épuratrice, mais pas seulement, car elle aura un effet sur la stimulation hormonale ; le renforcement du système immunitaire ; la stimulation de la circulation sanguine ; le soulagement des douleurs ; la purification du sang et la détoxification du corps.

Toutefois, il est nécessaire de bien comprendre que la hijama «ne guérit pas le corps en soi et n’a pas d’effet direct sur les problèmes médicaux». Il s’agit plutôt d’une «méthode de prévention des maladies physiques et métaphysiques». «La hijama nettoie le système cardiovasculaire du corps afin que la maladie n’ait jamais la possibilité de se développer. Là où la maladie existe déjà, les ventouses nettoient le système pour aider le système à mieux combattre et récupérer de la maladie», peut-on lire sur le site web d’un osthéopathe holistique de la place. «Les ventouses ont vocation à entretenir et à avoir un effet préventif sur votre corps. En bref, la hijama permet à votre corps de mieux se guérir».

Ainsi, elle a des effets stimulants et fortifiants sur les 15 pathologies suivantes : constipation et diarrhée ; maux de tête ; mal au dos ; arthrite ; douleur menstruelle ; blessures ; asthme ; cellulite ; fatigue ; anémie ; dépression ; problèmes émotionnels ; atrophie ; sciatique ; rhume et grippe et problèmes de peau.

Mais dans le milieu médical, cette technique thérapeutique continue de diviser les praticiens. Si un grand nombre ne lui reconnaît aucune efficacité, pour d’autres, sa reconnaissance par l’OMS en tant que thérapie reconnue pour certaines maladies lui octroie sa crédibilité. «Ce qu’il faut en revanche faire, c’est en encadrer l’exercice afin de barrer la route aux charlatans. Car aujourd’hui, c’est de là que vient le risque car ils n’ont aucune connaissance en médecine et peuvent commettre des erreurs et mettre la vie des patients en danger», témoignait en 2018 un médecin auprès de nos confrères de La Vie Eco.

Si sa pratique de par le monde lui vaut un attrait tout particulier au Maroc, il est impératif d’en cerner les modalités et les limites. La hijama ne peut, par exemple, être effectuée sur certains patients, notamment les femmes enceintes, les jeunes enfants de moins de trois ans, les personnes âgées et affaiblies, les personnes sous traitement anticoagulant (cardegique, aspirine…), les patients atteints d’une infection aiguë, les diabétiques type II, les personnes atteintes de maladie chronique grave (cardiaque, par exemple), ou encore toute personne ayant subi récemment une intervention médicale.

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