Malgré certaines augmentations de prix, des milliers de produits demeurent inchangés… Inchangés dites-vous ? Pas vraiment. Leur volume, lui, a bel et bien diminué. Quant à la qualité ? Cela reste à l’appréciation de chacun. Qu’il s’agisse de lait, de boissons, de pain… la faim frappera certainement aux portes des consommateurs marocains, contraints d’acheter plus, augmentant ainsi le budget de leur ménage. Et voilà comment l’inflation passe comme une lettre à la poste…

En prenant en main votre boisson favorite, votre biscuit ou encore votre lait, vous avez peut-être remarqué… une perte de poids. Eh bien, ce n’est pas qu’une impression : vos produits ne sont pas au régime, mais presque. Ce que vous avez entre les mains, c’est de la réduflation, ou shrinkflation dirait les plus connaisseurs anglophones. Il s’agit d’une tendance de plus en plus utilisée par les fabricants, consistant à réduire la quantité du produit tout en maintenant le même prix.

Dans les grandes surfaces, l’activité préférée des consommateurs marocains est de partir à la pêche aux bonnes affaires. Face à ce comportement d’achat, les producteurs et transformateurs favorisent la réduflation plutôt que l’augmentation des prix. «Aujourd’hui, les consommateurs se préoccupent principalement du prix, ce qui les rend vulnérables à ces pratiques», déclare Bouazza Kherrati, président de la Fédération marocaine des droits du consommateur. Une augmentation de prix que la plupart pourraient justifier par l’augmentation des coûts des ingrédients, les perturbations des chaînes d’approvisionnement, les impacts des changements climatiques, la pénurie de main-d’œuvre… Vous connaissez la chanson ! Toutefois, selon Bouazza Kherrati, cette situation a de quoi ravir les industriels qui profitent de l’inflation, et qu’ils prolongent pour le coup.

Afin d’éviter d’augmenter les prix, les fabricants optent donc souvent pour la réduflation. Cette pratique, dont le nom est dérivé de l’anglais shrinkflation, est préféré par les industriels pour leur éviter d’affronter la réaction négative des consommateurs face à des hausses de prix directes.

Attention toutefois aux mots. La réduflation n’est pas la skimpflation. Petites définitions avant de poursuivre : «La shrinkflation consiste à réduire le poids du produit sans en modifier le prix, souvent sans que le consommateur ne s’en aperçoive immédiatement. Par exemple, un café qui pesait 250 grammes passe à 200 grammes, sans que cela ne soit clairement indiqué sur l’emballage. La skimpflation consiste à remplacer des ingrédients coûteux par des moins chers, sans réduire le poids ni informer le consommateur, comme le fait remplacer des amandes par des pois chiches.» explique Bouazza Kherrati.

Réduflation est un mot-valise résultant de la fusion des mots rédu(ction) et (in)flation, à l’image de shrinkflation, issu de shrink et de (in)flation.

La baisse de volume ou de poids est tellement discrète que de nombreux produits peuvent avoir droit à ce régime fitness, sans craindre aucun recours en justice. Les consommateurs doivent ouvrir l’œil, et le bon, pour détecter les failles du système. Lorsqu’il s’agit de produits alimentaires, les plus touchés sont les céréales, snacks, barres chocolatées, boissons, produits laitiers et produits en conserve. Du côté des produits ménagers, pas de repos non plus pour le papier toilette, les détergents et les produits de nettoyage. Les produits de soin personnel sont aussi largement touchés au niveau des shampoings, crèmes et dentifrices. Autant dire toutes vos courses !

Lait frais : quand la crème ne monte plus

Réduflation: Vous en aurez MOINS pour votre argent

Ancien lait frais Entier

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Lait frais Demi-écrémé

Le lait frais est un produit essentiel, largement consommé par les Marocains. Lui aussi a subi le régime drastique de la réduflation. Des marques populaires ont discrètement changé le type de lait frais. De lait entier, il est devenu demi-écrémé, et ce, sans aucune communication pour l’annoncer. LeBrief a soumis les deux étiquettes, de l’ancienne et la nouvelle version du lait frais, au Docteur Valérie Alighieri, médecin généraliste, nutritionniste et gériatre. Cette dernière confirme qu’il s’agit bien d’un lait demi-écrémé que nous buvons actuellement. «Le nombre de calories est de 45, l’autre est d’environ 60. En principe, le lait entier est à 60 calories. 45, c’est plutôt du demi-écrémé. En général, autour de 30-33, c’est du 0%. Le taux de graisse passe de 1,5g au lieu de 3g. C’est la moitié», explique le Dr Alighieri.

La couleur de l’emballage demeure la même, ce qui est trompeur pour les consommateurs. «Nous avons noté un changement de goût dans le lait de certaines marques que nous achetons régulièrement», explique un consommateur de Rabat. Cette pratique permet aux producteurs de lait de compenser l’augmentation des coûts de production, notamment ceux des matières premières. Au lieu de ne vendre qu’un seul demi-litre pour moins de 4 dirhams, ils pourront en fournir deux pour le prix d’un seul, soit un généreux bénéfice.

https://www.lebrief.ma/ramadan-1445-quoi-quil-en-coute-120733/

Boissons gazeuses : moins de bulles, même prix

Les boissons gazeuses sont toujours de la fête sur les tables marocaines. Omniprésentes lors des rassemblements familiaux, elles n’échappent pas non plus à cette tendance amincissante, si on ose dire… Certaines marques, sans les citer, ont réduit la quantité de boisson dans leurs bouteilles, et ce… sans en changer l’apparence extérieure ! Une bouteille qui semblait contenir 2 litres de boisson peut maintenant en contenir 1,7 litre. Cette stratégie de réduflation est particulièrement efficace, car la différence de volume est souvent masquée par la taille de l’emballage. Même si le 1,7 L est écrit sur la bouteille, en ne modifiant pas de packaging, le consommateur ne constate pas forcément le changement. Il s’agit d’une induction en erreur.

Pour vivre heureux, vivons cachés

Le mot d’ordre des entreprises est DISCRÉTION. Les entreprises utilisent diverses stratégies pour réduire la taille ou le poids des produits sans que cela soit trop évident pour les consommateurs. L’une des méthodes les plus courantes est de maintenir la taille et la forme de l’emballage tout en diminuant le contenu. Cela crée une illusion de continuité et empêche les consommateurs de remarquer immédiatement la réduction. Quelle déception à l’ouverture de ce paquet de chips XXL, rempli d’air ! Une autre technique consiste à modifier légèrement la forme ou la texture du produit pour réduire le poids ou le volume sans que cela soit facilement perceptible.

Ils utilisent aussi de gros couvercles pour donner l’illusion de grandeur, ou des pots à fond épais. Les moules en plastique à l’intérieur des paquets de biscuits sont également repensés pour contenir moins de produits. Mais s’il y a une chose qui devrait alarmer le consommateur, c’est bien la promotion et l’échantillon gratuit.

Pour un paquet acheté, un offert.

Le second offert est rarement de la même taille que le premier. Quant à l’échantillon gratuit, il est accompagné d’un produit de base qui est déjà tronqué. On ne vous offre donc que ce que vous payez. Il n’y a aucun cadeau dans cette affaire.

Quelle protection pour le consommateur ?

Pour éviter d’être piégé par la réduflation, il est crucial de vérifier le prix au poids ou au volume des produits. C’est le prix écrit en tout petit en dessous du prix du produit. En comparant ces données, les consommateurs peuvent mieux évaluer la véritable valeur des produits.

Choisir des produits en vrac est une autre solution efficace, car ces produits échappent souvent à la réduflation. Les marques génériques peuvent également être moins sujettes à ces pratiques. Aussi, pour échapper à la réduflation cachée de certains produits comme le lait, il faut rester vigilant : «Je dis toujours à mes patients de lire les étiquettes. Le seul moyen d’être sûr, c’est de lire les étiquettes. Même quand vous voyez le mot Light, il faut toujours lire l’étiquette et comparer le produit d’origine avec le produit qui est censé être soit léger, soit demi-écrémé», déclare Dr Valérie Alighieri.

Bien que cela demande de la discipline et une organisation accrue, ces efforts peuvent significativement aider à contourner les effets de la réduflation, garantissant ainsi que les consommateurs en ont pour leur argent.

Facteurs économiques : pourquoi la réduflation ?

Plusieurs facteurs économiques conduisent les entreprises à opter pour la réduflation. L’augmentation des coûts de production, due à la hausse des prix des matières premières, de l’énergie et des coûts de main-d’œuvre, est l’un des principaux moteurs de cette pratique. Les entreprises font face à une pression concurrentielle intense et cherchent à maintenir des prix compétitifs tout en préservant leurs marges bénéficiaires. L’inflation joue également un rôle crucial, poussant les entreprises à trouver des moyens de gérer les coûts sans répercuter directement la hausse des prix sur les consommateurs.

Toutefois, la réduflation a plusieurs conséquences économiques pour le marché et les consommateurs. À court terme, elle permet aux entreprises de gérer les coûts sans augmenter les prix, mais à long terme, elle n’est pas viable pour les consommateurs. En termes d’imposition, aussi, l’effet est visible. «La situation actuelle porte atteinte aux droits économiques des consommateurs et cause un manque à gagner pour l’État en termes d’impôts. La fraude sur la qualité ou la quantité des produits n’est pas suffisamment contrôlée. Bien que la loi 13-83 relative à la protection des consommateurs existe, l’instance de contrôle n’existe plus. Les moyens de mesure, comme les balances, doivent être étalonnés régulièrement, ce qui n’est pas toujours fait», déclare Bouazza Kherrati.

En France, à partir du 1ᵉʳ juillet 2024, il sera obligatoire de mentionner toute réduction de poids sur les produits, mais au Maroc, le contrôle est déficient. La disparition des services de répression des fraudes depuis 2011 a laissé les consommateurs sans protection, permettant aux industriels d’avoir recourt à ces méthodes.

«Il y a un manque de personnel pour effectuer les contrôles nécessaires. Le ministère des Finances limite les postes pour ces organismes, qui sont essentiels pour l’économie du pays. La dispersion des responsabilités entre différentes administrations complique la situation. Une structure unifiée de protection des consommateurs, comme une agence ou un ministère, serait nécessaire pour résoudre ce problème», poursuit Kherrati.

De plus, la question de la réduflation à long terme pour les entreprises reste débattue. Bien qu’elle puisse être une solution temporaire pour atténuer les pressions économiques, elle présente des risques importants. Les consommateurs deviennent de plus en plus conscients de ces pratiques grâce à l’essor des réseaux sociaux et de la transparence. Une fois détectées, ces pratiques peuvent entraîner une réaction négative du public. Cela peut engendrer une perte de confiance des consommateurs, qui peuvent se sentir trompés lorsqu’ils réalisent qu’ils paient le même prix pour une quantité moindre. Cette perte de confiance entraîne une diminution de la demande pour les produits affectés, ce qui peut avoir des répercussions sur les ventes et la fidélité des clients. Il y a aussi une limite physique à la réduction des produits. À un certain point, les produits peuvent devenir inutilisables ou inacceptables pour les consommateurs, ce qui peut forcer les entreprises à repenser leurs stratégies.

https://www.lebrief.ma/leducation-ce-nouveau-luxe-146031/

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