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Deux semaines après le séisme qui a frappé de plein fouet le Sud-Ouest marocain, et dont le bilan définitif des pertes humaines et des dégâts matériels n’a pas encore été établi, les discussions autour du programme de reconstruction ont d’ores et déjà commencé.
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Car le séisme d’Al Haouz a laissé derrière lui des douars entièrement rasés, des villages endeuillés, plusieurs monuments historiques lourdement endommagés. Des centaines de milliers de sinistrés se retrouvent aujourd’hui sans toit, dans une région où le froid et la neige sévissent pendant l’hiver.
Le Roi prend les devants pour le programme de reconstruction
En 10 jours, trois séances de travail ont été tenues sous la présidence du roi Mohammed VI, s’inscrivant dans le prolongement des hautes directives données par le Souverain.
La première, en date du 9 septembre, lendemain du séisme, a été consacrée à l’examen de la situation. Au terme de cette réunion, le Roi a donné ses directives en vue d’accélérer les opérations de secours sur le terrain. Il a également ordonné la mise en place immédiate d’une commission interministérielle chargée du déploiement d’un programme d’urgence visant la prise en charge des personnes en détresse.
La seconde, tenue le 14 septembre, s’est soldée par l’activation du programme d’urgence pour le relogement des sinistrés et la prise en charge des catégories les plus affectées par la catastrophe. Ce programme prévoit une aide d’urgence de 30.000 DH pour les ménages touchés, à raison de 2.500 DH par mois pendant un an. De plus, une aide financière directe de 140.000 DH sera octroyée à chaque famille dont le logement a été totalement détruit et de 80.000 DH pour la réhabilitation des habitations partiellement détruites.
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Enfin, la séance du 20 septembre a été dédiée au programme de reconstruction et de mise à niveau des six provinces et préfecture affectées par le tremblement de terre (Marrakech, Al Haouz, Taroudant, Chichaoua, Azilal et Ouarzazate), ciblant une population de 4,2 millions d’habitants. Dans sa première version, le programme intégré et multi-sectoriel nécessitera un budget prévisionnel global estimé à 120 milliards de DH (MMDH), sur une période de cinq ans, soit environ 8% du Produit intérieur brut (PIB) du pays.
Ces trois réunions ont, ainsi, posé «les jalons d’un programme réfléchi, intégré et ambitieux destiné à apporter une réponse forte, cohérente, rapide et volontariste», indique le Cabinet royal.
Parallèlement, la Commission interministérielle a également tenu trois réunions présidées par le chef du gouvernement, Aziz Akhannouch, en vue de mener une «réflexion et une action permanentes autour des mécanismes à même d’assurer le bon déroulement de l’opération de reconstruction». À l’image des séismes d’Agadir (reconstruction en trois étapes majeures dont la première a duré 12 ans) et d’Al Hoceima (vaste programme de reconstruction et de valorisation de la zone pendant plus de 11 ans), cette étape devrait prendre un certain temps. Il faudra procéder aux études nécessaires sur le terrain pour définir les différentes dispositions à prendre et mobiliser les moyens financiers.
Globalement, le Cabinet royal fait état d’environ 50.000 logements totalement ou partiellement effondrés au niveau des cinq provinces touchées. À Marrakech, les dégâts sont importants, mais la majeure partie de la ville demeure debout. L’estimation préalable concerne donc la construction de ces 50.000 bâtiments sinistrés, y compris les infrastructures et les équipements.
Toutes les familles sinistrées seront relogées dans l’attente de déployer dans les plus brefs délais les mesures de réhabilitation et de reconstruction. Un programme de grande envergure qui nécessite d’abord de recenser les habitants des bâtisses endommagées, d’établir un diagnostic des bâtiments affectés, d’évaluer les pertes et d’élaborer des rapports pour chaque construction.
Constater l’ampleur des dégâts du séisme
L’opération de recensement des logements totalement ou partiellement détruits a débuté le lundi 18 septembre dans les trois provinces les plus impactées par le tremblement de terre, à savoir Taroudant, Al Haouz, et Chichaoua. En effet, le processus priorise les communes et localités gravement affectées et prévoit de couvrir ultérieurement les autres zones.
Pour qu’il y ait catastrophe, il faut qu’il y ait un danger fort : le séisme, et de fortes vulnérabilités : des bâtiments et des maisons fragilesRobin Lacassin, chercheur spécialiste des tremblements de terre à l’Institut de Physique du Globe de Paris
Selon les premières estimations, plus de 11.000 personnes sont concernées dans la province d’Al Haouz. On recense 754 douars et environ 50.000 familles dans la province de Chichaoua. Enfin, il y aurait 35 communes affectées, 522 douars, ainsi que 5.497 familles et 24.805 personnes sinistrées dans la province de Taroundant.
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Les premières conclusions des experts considèrent que les dommages ont été considérables, causés principalement par des glissements de terrain et des chutes de pierres. Si la magnitude élevée du séisme a sans aucun doute contribué à l’ampleur de cette catastrophe, d’autres facteurs ont conduit à la désolation. «Pour qu’il y ait catastrophe, il faut qu’il y ait un danger fort : le séisme, et de fortes vulnérabilités : des bâtiments et des maisons fragiles», fait observer Robin Lacassin, chercheur spécialiste des tremblements de terre à l’Institut de Physique du Globe de Paris, cité par National Geographic.
En effet, le mouvement du sol provoqué par le séisme se propage aux fondations des constructions, qui se mettent à vibrer à leur tour. Or, si les bâtiments sont généralement conçus pour bien résister aux effets de la gravité, sous l’effet de l’inertie, les déformations de la structure génèrent des forces importantes dans les éléments de construction (murs, planchers, poteaux, poutres, …) pouvant déstabiliser la structure et dépasser la résistance des éléments porteurs.
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Certains types de sols sont, eux, très sensibles aux effets dynamiques et peuvent perdre leurs propriétés, entrainant alors l’enfoncement ou le basculement des structures qui reposent dessus. L’effet d’une onde sismique peut être amplifié sous l’influence du site ou encore par l’interaction entre le sol et la structure construite sur ce sol. Et, en règle générale, plus un sol est instable et mou, plus les secousses sont fortes et les dégâts considérables en cas de séisme.
Outre l’effondrement, des fissures apparaissent systématiquement lorsque la construction est incapable d’absorber efficacement les mouvements de sol. On parle de «fissures superficielles», lorsque celles-ci ne menacent pas l’intégrité structurelle d’une construction, et de «fissures structurelles», lorsque leur épaisseur dépasse les 2 mm. Ces dernières, si elles traversent les éléments porteurs tels que les murs porteurs, les piliers, les poteaux, sont particulièrement inquiétantes.
Dans un document élaboré en annexe du décret n° 2-12-666 du 18 mai 2013 approuvant le règlement parasismique pour les constructions en terre, le gouvernement a décrit le principal des dommages sismiques observés dans les constructions en terre lors des séismes destructeurs. Les études menées établissent les éléments de la construction tels que les ouvertures, les angles et la base des murs, et les liaisons entre les éléments porteurs comme des zones critiques.
La région n’était pas considérée jusqu’alors comme à gros risques, les gens n’avaient pas construit en conséquenceAndreas Krewett, ingénieur en génie civil, spécialiste de la terre crue
Matériau ancien vs. construction précaire
Dans ces régions, les structures, notamment des maisons en terre crue, en pierre ou en brique d’adobe et des édifices non armés, n’avaient aucune chance de résister au séisme, s’accordent à dire plusieurs spécialistes. «La maçonnerie non armée, en brique et mortier, est connue pour céder lors des tremblements de terre», fait observer Wendy Bohon, géologue spécialiste des tremblements de terre et vulgarisatrice scientifique.
Les maisons en pisé seraient-elles le talon d’Achille du Royaume ?
«Face à un séisme d’une telle ampleur, peu d’édifices ont résisté près de l’épicentre. Surtout, la région n’était pas considérée jusqu’alors comme à gros risques, les gens n’avaient pas construit en conséquence», explique Andreas Krewett, ingénieur en génie civil, spécialiste de la terre crue, qui a longtemps vécu au Maroc. Un avis partagé par Oussama Moukmir, architecte marocain en écoconstruction, et Daniel Turquin, qui bâtit des maisons écolos depuis quarante-cinq ans, notamment au Maghreb.
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En ce sens, la carte sismique du pays, qui n’a pas été revue depuis 2011, sera actualisée. «Suite au séisme du 8 septembre, les données sismologiques nationales seront actualisées à la lumière des nouvelles technologies disponibles telles que les GPS. Il y a énormément de choses à revoir. Beaucoup de travail attend la communauté scientifique. Les premières conclusions seront dévoilées dans les prochains mois tandis que les travaux s’étaleront sur plusieurs années.», a confié à Médias 24 Nacer Jabour, directeur de l’Institut national de géophysique (ING).
Depuis le séisme d’Agadir de 1960 qui fit 12.500 morts, le pays a, en effet, développé une stratégie en matière de construction parasismique, d’abord seulement localisée au niveau de cette ville. Puis, en 2000, a été élaborée une loi de construction parasismique devenue contraignante dans tout le pays. À la suite du séisme d’Al Hoceïma, en 2004, ce règlement a été mis à jour en 2013. «Il y a par ailleurs des cartes d’aptitude à l’urbanisation qui tiennent compte des séismes, des inondations et des glissements de terrain. Ces cartes indiquent où l’on peut construire, et comment», explique le sismologue Lahsen Aït Brahim, sur les colonnes de Jeune Afrique.
«Il n’y a pas de mauvais matériaux, mais il y a de mauvaises façons de les employer»
Pour l’expert, la règlementation parasismique (RPS) étant relativement récente, bon nombre de communes ne l’exigent pas et «ferment les yeux». «Mais je tiens à rappeler que même si on avait construit avec du parasismique, on aurait eu de gros dégâts, car on prévoyait une magnitude de 6,5 maximum. Pas de 7, comme cela a a été le cas le 8 septembre», souligne-t-il.
Dans les commentaires entendus à la suite du tremblement de terre d’Al Haouz, un lien trop fréquent a été fait entre le matériau de construction des maisons, la terre, et l’importance du bilan humain de la catastrophe. Déjà en 2004, le groupe Terre du réseau ÉcoBâtir alertait sur les conclusions un peu trop hâtives : la terre ne serait pas un bon constituant de la sécurité du bâti en zone sismique et il vaudrait peut-être mieux construire en matériaux industriels…
Ce n’est pas le matériau qui est en cause, mais la structure, l’ancienneté ou les malfaçonsLire aussi : Fonds spécial séisme : des contributions majeures à la hauteur de l’enjeu
Daniel Turquin, bâtisseur de maisons écolos depuis quarante-cinq ans, notamment au Maghreb
Dans leur analyse, les spécialistes écrivent : «Ce qu’il nous est donné à entendre dans les médias, s’organise autour de raisonnements simples :
1) Quand les tremblements de terre se produisent dans des régions à culture encore vivace de construction empirique, avec utilisation de matériaux locaux peu transformés, les dégâts sont dus :
- Aux matériaux premiers et aux procédés vernaculaires.
- À l’inertie, à l’ignorance ou à la résistance des bâtisseurs devant les techniques industrielles.
2) Quand les tremblements de terre ont lieu dans une région bâtie en béton armé ou en techniques industrielles, les dégâts ont deux causes principales :
- La quête du profit, au détriment de la qualité, chez les décideurs des entreprises du bâtiment qui ne mettent pas suffisamment d’armature ou de ciment dans le béton.
- Le faible savoir technique des bâtisseurs de ces régions, si cette catastrophe a lieu dans un pays en voie d’industrialisation. Pour les pays industrialisés comme le Japon et les USA, on ne retient que la première cause.
Les techniques industrielles ne peuvent donc pas être mises en cause, c’est leur application qui est déficiente».
«Je suis catastrophé d’entendre les médias mettre systématiquement en cause le pisé», dit Daniel Turquin à Reporterre. «Ce n’est pas le matériau qui est en cause, mais la structure, l’ancienneté ou les malfaçons», poursuit-il. Pour lui, ce dénigrement constant de la terre provient avant tout d’un lobbying efficace des cimentiers. «Personne ne se fait du pognon avec la terre, alors qu’il y a de gros intérêts financiers derrière le béton», estime-t-il. Et, de se demander : «Quand un bâtiment en béton se casse la figure, on met en cause les hommes et les malfaçons… Pourquoi ce serait différent avec la terre crue, qui existe depuis des millénaires ?»
Comment reconstruire ?
De ce fait, les défenseurs de la terre crue partagent tous la même crainte : que la reconstruction ne se fasse qu’en béton, considéré comme plus solide. «Il ne faudrait pas qu’on rebâtisse tous les villages du Haut Atlas en parpaing», s’inquiète Sylvie Wheeler, artisane terreuse qui travaille avec notamment des Marocains.
Car, après des décennies d’industrialisation et d’urbanisation, les réglementations ont fait du béton, de la brique et du parpaing des éléments constitutifs de la modernité. «Ils vont tout bétonner, il n’y aura plus de village, plus rien, ça va être affreux», assure également Oussama Moukmir.
Sur les réseaux sociaux, une vague de controverse s’est déclenchée entre ceux qui revendiquent une reconstruction à l’ancienne, avançant que ce genre de bâtiments a fait preuve de robustesse pendant des années, et d’autres qui appellent à une reconstruction modernisée, défendant que les habitants méritent un avenir meilleur et une vie pérenne loin de leur village situés en altitude.
Pour Mohammed Benata, ingénieur agronome et Docteur en Géographie, interrogé par Hespress Fr, «une reconstruction à l’ancienne réclamée par certains experts fait défaut et on assiste aujourd’hui à ses conséquences. D’après les vidéos qui circulent sur internet et les réseaux sociaux, certaines maisons construites de façon moderne ont pu résister aux fortes secousses qui ont entièrement démoli celles bâties en pierre, paille, et d’autres ingrédients naturels».
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Reuters souligne que les matériaux en terre, utilisés essentiellement pour répondre aux conditions climatiques et économiques locales, sont particulièrement vulnérables aux tremblements de terre. «Là où les structures parasismiques utilisant des matériaux comme le béton armé ne subissent que des dommages modérés, les structures plus vulnérables – comme les maisons en briques crues typiques du Haut-Atlas – peuvent subir des destructions beaucoup plus graves».
«On a vu que tous les bâtiments en béton armé ont en général bien résisté au séisme alors que beaucoup de bâtiments en terre se sont écroulés. L’enjeu actuel est de restaurer les savoir-faire qui garantissent la solidité et la résistance des constructions en terre. Il sera également nécessaire de trouver les moyens de renforcer les constructions actuelles afin de les rendre parasismiques sans leur ôter les avantages qu’apporte l’utilisation de la terre et des matériaux locaux, notamment en termes de confort thermique», témoigne pour sa part, Bah Thierno Aliou, directeur de la société Sectob basée à Agadir et spécialisée dans le contrôle technique de la construction.
Certains architectes tiennent eux à défendre l’architecture traditionnelle dite vernaculaire. C’est le cas de Salima Naji, architecte et anthropologue : «Le ciment a fait beaucoup de morts dans cette catastrophe. Beaucoup de constructions en béton n’ont pas mieux résisté, car le béton est aussi le matériau du mensonge et de la malfaçon. Ce n’est pas une histoire de matériaux, mais de dispositifs architecturaux».
Respecter les normes de construction
Pour Karim Sbaï, président de l’Ordre national des architectes pour la région Centre, un aspect très important doit être gardé en vue : celui des normes sécuritaires. «Il s’agit, d’abord, de construire sur un terrain en bon état et qui peut recevoir ces nouvelles habitations, réaliser les études de sol nécessaires avant de construire en respectant les normes parasismiques», détaille-t-il. Et, dans ces zones, il ne s’agit pas de reconstruire comme ce fut le cas d’Agadir. «Il faut reconstruire en respectant les normes, mais il ne faut pas défigurer le paysage architectural. Nous veillerons à ce que la reconstruction se fasse en alliant les aspects normatifs, réglementaires et architecturaux», insiste le président de l’Ordre.
Évoquant le règlement parasismique relatif aux constructions en terre dans lequel figurent les détails de construction à respecter, l’architecte Jamal Eddine Ghorafi estime que «la connaissance approfondie des techniques de construction en pisé, en adobe et en blocs de terre compressé est requise». Toutefois, selon lui, pour assurer une stabilité suffisante des bâtisses, «il convient de prévoir des structures mixtes béton armé, bois, ou métallique, suivant les cas de figures dont il faut prendre en considération la nature du sol, l’orientation, la hauteur des constructions etc…».
«Le jour où la reconstruction sera engagée, elle ne se fera plus qu’avec des matériaux locaux. Il est donc important d’intégrer des structures en béton armé pour sécuriser les édifices. Ces normes de construction, nous allons les proposer aux autorités dès que nous serons engagés dans les études. Encore faut-il que le coût soit compétitif et à la portée de la population dont la majorité est défavorisée. Et ce même si l’État devrait subventionner ces opérations, comme cela a été fait à Al Hoceïma», explique, pour sa part Chakib Benabdellah, président du Conseil national de l’ordre des architectes (CNOA).
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