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Nous sommes à deux jours du Ramadan : le mois de la dévotion et de la simplicité. Mais les habitudes alimentaires sont, elles, loin d’être plus simples durant ce mois. Comme chaque année, les familles vont se retrouver, après une longue journée de jeûne, autour d’une table pour partager un ftour souvent loin d’être modeste. Premier résultat : aisé ou modeste, le ménage voit ses dépenses alimentaires significativement augmenter.
Entre surconsommation et achats compulsifs, le budget familial s’apprécie jusqu’à 50% durant le mois sacré. Les plus modestes iront jusqu’à demander un prêt à la consommation. D’autres, moins fortunés, attendront notamment l’ouverture des «Tables du Miséricordieux».
Et, dans un contexte d’inflation continue, la facture s’annonce déjà salée. En janvier 2024, par exemple, la hausse des prix à la consommation s’est accélérée à 8,9% sur un an, principalement à cause d’une flambée des prix alimentaires de 16,8%.
Tous souffrent du syndrome des poches trouées
C’est connu. Lorsqu’il s’agit de nourriture, les Marocains sont très dépensiers. Avec une gastronomie riche mais variée, les habitudes alimentaires qui comprennent une consommation excessive de viande pèsent rapidement sur les bourses. Cette tendance est exacerbée pendant ce mois sacré.
En témoignent les longues files dans les points de vente (boulangeries, supermarchés…). Le Haut-Commissariat au Plan rapportait en 2021 que le temps consacré aux courses ménagères s’allongeait de 47 minutes durant le Ramadan. Le constat est particulièrement notable dans les villes et chez les femmes.
Cette année-là, les ménages ont dépensé, en moyenne, plus d’un tiers de plus en alimentation (+37%) en comparaison aux autres mois de l’année. Cette augmentation de la dépense alimentaire touche toutes les catégories de la population et s’accroît au fur et à mesure que l’on avance dans l’échelle du niveau de vie (varie de 22,5% à plus de 40% entre les deux classes sociales extrêmes). Les produits qui contribuent le plus à cette dépense supplémentaire sont les fruits (+163%), les viandes (+35%), les céréales (+35%), le lait et les produits laitiers (+47%).
Mais cette surconsommation résulte sur deux phénomènes : le gaspillage alimentaire et un effet néfaste sur la santé. En effet, les achats – le plus clair du temps effectués avec une sensation de faim –, et dépassent souvent le besoin réel des ménages, finissent malheureusement à la poubelle. Le Centre international des hautes études agronomiques méditerranéennes (CIHEAM) a démontré que près de 85% des foyers marocains jettent de la nourriture préparée. 45,1% d’entre eux mettent à la poubelle l’équivalent de 60 à 500 DH. Certains spécialistes vont jusqu’à avancer une perte de plus de 90 DH pour une consommation individuelle moyenne de 500 DH. Et, le reste du temps, ce sont 91 kilogrammes d’aliments jetés à la poubelle. «Chaque Marocain jette annuellement 91 kilogrammes d’aliments à la poubelle», a rapporté l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (FAO).
Si ce constat individuel est alarmant, il est d’autant plus vrai lorsqu’il s’agit des restaurateurs. Entre les menus proposés pour le ftour et les buffets qui titillent les Marocains à jeun, il est facilement imaginable la tonne de nourriture qui sera gaspillée.
Lire aussi : Ramadan : halte au gaspillage !
Dans un second temps, certains apports nutritionnels journaliers augmentent substantiellement pendant le Ramadan. Une étude réalisée, en 2018, par un nombre de chercheurs marocains a démontré que l’apport en énergie durant ce mois béni dépasse de 18% celui recommandé. Il s’agit notamment des apports en glucides (+38%), sucres simples, sodium (+64%) et calcium. D’autres, en revanche, tels que les apports en protides et lipides diminuent. Bien qu’il baisse significativement, l’apport en protides (souvent appelés protéines et issus de la viande, volaille, poisson, œuf, …) reste, lui, supérieur aux recommandations (+30%). Cette tendance favoriserait le développement ou l’aggravation du surpoids et des maladies chroniques.
Les moyennes bourses face à l’inflation
Aux deux conséquences précitées, s’ajoute l’impact significatif sur le niveau des prix pratiqués sur le marché. Comme le précise la loi de l’offre et de la demande : plus la demande pour un produit est accrue, plus son prix augmente. Chiffres à l’appui, le HCP note que la deuxième quinzaine du Ramadan affiche régulièrement une hausse plus accentuée des prix (+0,8% au lieu de 0,4% accusée lors de la première semaine). Les produits les plus touchés sont les poissons frais (+5,6%), les fruits de mer (+5,8%), les œufs (+2,5%) et les agrumes (+2,3%). Les prix des poissons et des fruits de mer subissent, ainsi, une hausse d’environ 5,6% et 5,8%, respectivement, au cours de la première et de la seconde quinzaine du Ramadan. En revanche, les effets du mois sacré sur les prix de la viande rouge, de la volaille et des légumes hors tomate sont peu significatifs.
Au moment où certaines familles s’acharnent à festoyer chaque jour, d’autres, plus démunies, aux moyennes bourses, peinent à satisfaire certains de leurs besoins alimentaires. Et, l’inflation galopante, qui navigue autour de 8% en rythme annuel, affecte le pouvoir d’achat de ménages dont le moral est déjà en berne.
Produit incontournable des tables ramadanesques, les dattes devraient voir leur prix s’apprécier de 10 à 15%, précisait, il y a quelques jours à nos confrères du 360, Moulay Mustapha Derkaoui, secrétaire général de la Fédération interprofessionnelle de phœniciculture (FIP).
Lire aussi : HCP : morosité du moral des ménages marocains au 4ᵉ trimestre 2023
Autre nécessité durant ce mois, l’œuf suscite les doutes. Cette année, la production, qui devrait culminer à 18 millions d’unités par jour, saura intégralement satisfaire la demande nationale. Mais si Khalid Zaim, vice-président de l’Association nationale des producteurs d’œufs de consommation (ANPO), assure que les «prix devraient être à la portée des Marocains», les citoyens redoutent qu’une hausse soit effectuée. Et pour cause, depuis quelques semaines, les prix des œufs ne cessent d’augmenter. L’unité varie déjà entre 1,70 DH (en prix minimum pour la qualité standard) et 1,85 DH (en prix maximum pour la qualité supérieure). Et les consommateurs de craindre un prix qui puisse dépasser les 2 DH. En ce sens, plusieurs posts sur les réseaux sociaux reflètent le ras-le-bol populaire : une campagne appelle au boycott de l’achat des œufs.
La viande rouge, affichant des prix en hausse depuis déjà mois, a quantitativement été substitué par la volaille. Le prix d’achat par kilogramme est, en effet, supérieur de 30% à 35% par rapport à l’année dernière. C’est une augmentation de près de 20 DH à 25 DH le kilogramme, la sécheresse ayant impacté les prix des aliments du bétail. Mais le poulet en tant qu’alternative semble ne plus pouvoir l’être. Le 22 février, le poulet seul s’est écoulé à 23 DH le kilogramme. Et bien de citoyens anticipent une évolution du prix. Ce constat a poussé la députée de la Fédération marocaine de gauche, Fatima Tamni, à interroger la tutelle. «Les professionnels font porter la responsabilité de cette hausse au ministère de tutelle, mais ce département l’impute à des facteurs liés au contexte mondial. Du coup, c’est le citoyen qui en fait les frais», a-t-elle écrit dans une question au ministre de l’Agriculture.
Le gouvernement assure tout de même que les marchés sont suffisamment approvisionnés en produits alimentaires.
Les démunis dans l’attente du «Miséricordieux»
Les petites bourses, elles, qui font déjà le choix quotidien d’acheter un œuf ou une tomate, se retrouvent dans l’impasse. Mais le Ramadan reste avant tout un mois plein de valeurs. Les familles nécessiteuses peuvent toujours compter sur le soutien de leurs concitoyens, de l’État et du Roi.
Si le monde rural est vraisemblablement le plus impacté, les populations étant plus assujetties à la précarité, le monde urbain n’est pas mieux loti. En témoignent les «Tables du Miséricordieux» (traduisez, Mawaid Arrahmane) et les paniers alimentaires que les associations organisent chaque année.
Toutefois, d’année en année, de plus en plus de familles se retrouvent dans le besoin. L’opération «Ramadan 1444», mise en œuvre sur hautes instructions royales, en a été la preuve. Le nombre des bénéficiaires est passé de 600.000 ménages lors de l’édition 2022 à un million de ménages, pour une enveloppe budgétaire de 390 millions de dirhams. Les bénéficiaires sont établis dans 83 provinces et préfectures du Royaume, dont 77% en milieu rural.
Ainsi, le constat établi par le Conseil économique, social et environnemental (CESE), il y a tout juste quelques mois, fera probablement que l’édition 1445 de l’opération, menée par la Fondation Mohammed V pour la Solidarité, soit dédiée à plus de personnes. Depuis la crise sanitaire et l’inflation qui a suivi, 3,2 millions de Marocains ont franchi le seuil de la pauvreté.
Nous attendrons toutefois un communiqué officiel avant de nous prononcer. Entre temps, une pensée à nos concitoyens de tous bords et particulièrement à ceux qui, ayant vécu la catastrophe d’Al Haouz, essayeront tout de même de profiter de ce mois béni.
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