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Programmation ramadanesque ou la fabrique de l’idiotie

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Cinq heures : c’est en moyenne le temps que nous avons passé devant nos écrans depuis 12 jours. Si en journée, nous ne sommes pas nombreux à regarder les chaînes télés, à l’heure du ftour, c’est presque une tradition : se laisser hypnotiser par la programmation ramadanesque pendant qu’on se remplit la panse. Pourtant, nous sommes légion à critiquer la production nationale qui, d’année en année, va de mal en pis. Après tout, serions-nous consentants à cette fabrique de l’idiotie ?

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«Une programmation éclectique mettant à l’honneur le meilleur de la production nationale». Voilà la promesse formulée par 2M à quelques jours du Ramadan. «Les téléspectateurs auront l’embarras du choix !», assurait Al Oula. Des mots différents, mais la même intention : offrir à l’audience une programmation spéciale, riche et diversifiée.

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Des séries dramatiques aux comédies légères, en passant par des documentaires et des émissions culinaires, les stations de télévision ont dit doubler de créativité pour captiver le public. Nouveautés de l’année 2024 : les caméras cachées sont abandonnées et les séries étrangères, bannies. Si cette programmation spéciale concerne une journée entière de diffusion, c’est le prime time (18h30-21h15) qui intéresse. Ce créneau où plus de 30 millions de Marocains sont assis au même moment devant leur écran. Voilà la portée qu’ont les chaînes pendant 30 jours. De quoi influer sur un bon nombre de citoyens par la sélection concoctée pour le neuvième mois lunaire.

Affiches des principaux programmes diffusés pendant le prime time 2M – Al Oula . © DR
La créativité est le moteur qui alimente l’engagement de 2M et de ses partenaires à offrir une expérience télévisuelle captivante. En ce Ramadan 2024, nous avons puisé dans l’inspiration des meilleurs talents nationaux pour tisser des trames narratives riches et variées.
– Salim Cheikh, directeur général de 2M

Au 12ᵉ jour du mois béni, il est grand temps d’éprouver les choix (mûrement réfléchis) de nos chaînes publiques.

Le prime time en perte d’audience, mais qui continue d’attirer

Les premiers chiffres ne se sont pas fait attendre. Le Centre interprofessionnel d’audimétrie médiatique (CIAUMED) a révélé dès le 3ᵉ jour du mois sacré l’audience des deux stations les plus plébiscitées par les Marocains. Résultat : Al Oula et 2M ont cumulé 67% de part d’audience en prime time. La première suivant de très près la seconde. Le palmarès consacre la comédie populaire Ach Hada et le sitcom Jib Darkoum qui ont, respectivement, conquis plus de 10 et 12 millions de téléspectateurs.

Quelques jours plus tard, la donne change. Dans son second bulletin sur la période s’étalant du 15 au 19 mars, le CIAUMED rapporte un changement notable : Al Oula détrône 2M et si l’audience de son programme n°1 baisse légèrement, celle son concurrent chute drastiquement. Jib Darkoum perd près de 2 millions de personnes. Autre remarque : les séries et autres sitcoms de 2M n’attirent plus.

Comparaison du palmarès des émissions d’Al Oula sur les périodes allant du 1 au 3 ramadan 1445 et du 4 au 8 ramadan 1445. © Capture d’écran / CIAUMED
Comparaison du palmarès des émissions de 2M sur les périodes allant du 1 au 3 ramadan 1445 et du 4 au 8 ramadan 1445. © Capture d’écran / CIAUMED

Ces chiffres interrogent naturellement sur les causes de ce shift de préférences. S’il est peut-être un peu trop tôt pour se prononcer, nous pouvons déjà émettre certaines hypothèses. À commencer par la médiocrité des programmes proposés. Et, ce ne serait pas une chose nouvelle !

La télé, ce pansement psychologique

«Insatisfaits des programmes, les Marocains continuent de regarder la télé en masse», «les avis partagés sur les réseaux sociaux en disent long sur les attentes et les déceptions des Marocains», … et les mots pour décrire cette observation commune resurgissent chaque année depuis plus d’une décennie. Les Marocains le disent clairement : «on en a assez d’être pris pour des imbéciles !». Pourtant, dans les actes, la consommation reste (plus ou moins) la même. Comment expliquer l’attrait continu pour la programmation ramadanesque ?

La réponse revient souvent sans qu’on lui accorde trop d’importance. La télévision est «le passe-temps favori» à l’heure du ftour. Car oui, la télévision constitue cette échappatoire dans laquelle plusieurs se réfugient face à leur quotidien difficile. Une manière de se soustraire à la réalité qu’ils endurent. C’est se refuser à autrui et les heures passées devant l’écran, autant d’occasions d’échapper à la présence des autres. C’est surtout un moyen de faire taire cette petite voix interne qui énumère en boucle tous ces problèmes qu’il faut résoudre, ces erreurs qu’il n’aurait pas fallu commettre… C’est ce dolce farniente qui fait s’évaporer tout le stress, fléau de nos contemporains.

Cette forme de divertissement pascalien n’est pourtant pas nouvelle. De tout temps, l’Homme a cherché à se détourner de l’essentiel, de ce qu’il est vraiment, en ce sens qu’il est mortel. La technologie n’a su qu’adapter les «jeux du cirque» ou le «drame humain». Elle a, en revanche, omis d’y intégrer l’évolution des mentalités. Et dans cette arène, les annonceurs font leurs lois. Les chiffres sont là pour le prouver : s’ils ont baissé de 3,2% par rapport à une année avant, en 2023, les investissements publicitaires durant les 10 premiers jours du mois sacré se sont élevés à plus de 394 millions de DH.

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Ramadan est «le mois des profits importants». Rien de nouveau sous le soleil. Toutefois, ce modèle économique (qui juge le succès des programmes télévisés uniquement en fonction des taux d’audience et de la publicité directe) encourage la production de programmes qui visent uniquement à attirer le plus grand nombre possible de téléspectateurs. Leur contenu est secondaire.

Et quoi de plus pour apporter du réconfort, que la légèreté. Quitte à aller dans des extrêmes qui banalisent, et les idéaux, et le verbe, sous couvert d’humour. En témoigne une thématique qui n’est pas passée inaperçue : celles des enseignants et de la crise qui traverse le pays depuis la rentrée scolaire.

De (presque) prophète à sujet de moquerie

La série télévisée Ouled Izza, diffusée sur Al Oula, a présenté dès son premier épisode «de façon dégradante l’instituteur/professeur, à grand renfort de stéréotypes contraires à l’éthique professionnelle». Ce qui lui a valu d’ailleurs d’être l’objet d’une plainte déposée par le syndicat national de l’enseignement (SNE). L’organisme affilié à la Confédération démocratique du travail (CDT) a saisi la Haute autorité de la communication télévisuelle (HACA), portant plainte contre ce programme qui a fait, à ces premiers jours, plus de 9 millions d’audience.

Dans son courrier, le SNE considère que les séquences sont irrespectueuses à l’égard de la place qu’occupe l’enseignant dans la société et prennent délibérément pour cible l’école publique, «cherchant à le transformer en un sujet d’humour grossier au lieu de le présenter comme un exemple à suivre».

«Nous protestons vigoureusement contre l’image donnée à l’enseignant qui ne reflète pas la réalité ni artistiquement, ni thématiquement. Par conséquent, nous vous demandons (HACA) de prendre les mesures qui s’imposent et d’obliger la chaine qui diffuse cette série de présenter des excuses officielles aux femmes et aux hommes de l’Éducation nationale».

Le réalisateur Brahim Chkiri rejette ces accusations et dit avoir confiance en la neutralité de la HACA. «C’est de la comédie et c’est normal qu’il y ait de l’exagération», souligne-t-il. De son côté, le scénariste Amine Smai se dit «frustré». Ce dernier tient à clarifier que le personnage incarné par l’acteur marocain Abdelfattah Gharbaoui, ne représente pas l’enseignant mais plutôt un homme qui assure de simples cours d’alphabétisation. «Je ne comprends donc pas la réaction des enseignants», s’étonne le scénariste. «On pourrait bel et bien avoir un médecin, un infirmier ou même un policier à la place de l’enseignant», argumente-t-il.

Et ce n’est pas la première fois qu’une corporation saisit la HACA sur pareil sujet, rappelle Al Ahdath Al Maghribia. En 2021, les avocats avaient vivement protesté contre la série humoristique Ness Ness diffusée pendant le mois de ramadan sur la chaine Al Oula. L’Association marocaine des jeunes avocats avait saisi la HACA en lui demandant d’arrêter la diffusion de cette série qui «porte atteinte à la dignité de la profession d’avocat».

Une production, miroir de la société

Pour créer une œuvre, réalisateurs, producteurs et tout l’écosystème cinématographique puisent dans la société même. La télévision ira donc naturellement observer, puis renvoyer l’image collective. Or, force est de constater que le résultat final est une représentation déformée. En regardant de près, ce que proposent Al Oula comme 2M sont des images esthétiquement professionnelles (ce qui interroge également sur la quête du beau au détriment du vrai) qui viendront maquiller un piètre synopsis.

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Un scénario qui, comme le précisent plusieurs personnes au micro de confrères, «est le même pour toutes les séries». Elles ne font que se distinguer en titres. L’on pourrait par moments confondre Ouled Izza et FED TV 3. Qui plus est, les acteurs principaux étaient il y a quelques années à l’affiche d’un même sitcom. Ailleurs, la production nationale couvre des thématiques bien souvent généralistes : les liens familiaux entachés de conflits et un rapport à la société où tout semble être la faute de l’autre.

Ce qui se passe actuellement, prouve que dans la société marocaine, nous n’avons pas encore développé ce type d’intelligence qui consiste à rire de soi.
– Brahim Chkiri, réalisateur de la série Ouled Izza

La télévision projette dès lors une réalité qui pourrait ne pas être entièrement vraie, mais qui ira réconforter les personnes qui s’y identifieront. Et par là même, ce médium dénuera le téléspectateur de tout son rôle de citoyen, en tant qu’il est un individu qui vit en communauté. La triade valeur, principe, vertu est alors rompue.

Si la télévision est le miroir d’une société, que dire alors de la nôtre ?

L’é(veille) des consciences

«La dévalorisation de l’enseignant dans les médias ne date pas d’hier et [que] les conséquences de ce phénomène sont lourdes», a commenté auprès du Matin, Mohamed Chahine, chercheur en éducation et acteur syndical. La polémique récente autour de l’image de l’enseignant, et à juste titre, illustre le mal profond que peut provoquer un programme télévisé, à première vue anodin. À trop vouloir «satisfaire» les audiences en quête de divertissement, le comique étant vendeur, les productions finissent par abuser du registre. Par inadvertance ou pour aller dans l’excès.

Au bout du compte, elles façonneront le comportement de leurs audiences. Comme Chahine l’explique, «les images dégradantes du professeur restent gravées dans le cerveau de l’élève engendrant parfois un manque de respect envers lui dans la vie réelle». Est-ce là réellement l’intention originelle ? Car la télévision, comme le cinéma ou d’antan le théâtre, remplit une fonction sociale en s’attribuant le rôle majeur d’évolution des mœurs. Les temps modernes, de Charlie Chaplin, aura défendu l’homme en tant qu’Homme. La Couleur pourpre, aura prôné la cause des identités et des minorités.

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Si certaines productions audiovisuelles se veulent clivantes, allant jusqu’à déclencher des violences, toutes espèrent (et on l’espère) engager une réflexion, et par là, le débat. Au-delà de sa fonction de représentation, le film peut devenir un instrument de spéculation. En explorant le champ des possibles, la fiction peut influencer sur ce que pourrait être le monde de demain. Portant un message, des valeurs à défendre ou prenant des positions politiques, les œuvres cinématographiques doivent faire prendre conscience de l’importance de l’éducation, de l’art et de la culture ou donner à voir la situation des autres.

Or, ce qui nous est donné à voir depuis 12 jours ne remplit aucune fonction : ni réflexive, ni même représentative. La programmation ramadanesque révèle cependant un trait majeur de notre société : les gens aux commandes sont à dix mille lieues de leur public. Ce même public qui, ne l’oublions pas, finance majoritairement ces chaînes de télévision.

Les télés publiques face à leur responsabilité

Et, c’est bien dans ce sens, que 2M comme Al Oula (pour ne citer que ces deux chaînes) ont une responsabilité devant le contribuable. Si certains diront que le secteur privé investit grandement, souvenons-nous que les publicités existent seulement parce qu’elles nous sont adressées. Les chaînes de télévision «débarquent» donc dans nos foyers, omettant de proposer des programmes de qualité, et nous agressent doublement par le caractère intrusif du marketing.

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Que faire donc face à cet abus ? «Le citoyen a le droit de porter plainte auprès de la HACA ou encore boycotter les programmes TV et zapper», rappelait en 2017 déjà dans le Huffpost Maghreb, Abderrahim Lahbib, chargé de la communication de l’Association marocaine des droits des téléspectateurs.

Mieux encore, nous pourrions éteindre nos téléviseurs ! «Peut-être est-ce le seul moyen d’obliger la TV à prendre son public plus au sérieux…», plaide Mariam El Ajraoui, chercheuse en cinéma à l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne.

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Un commentaire

  1. Au contraire, je trouve que cette année nous avons droit à de belles productions, avec un casting, une réalisation de haut niveau, des décors et des sujets magnifiques.
    Arretez de jeter des pierres à tout ce qui est national !
    Des series comme ach hada, dar nnssa ou bnat le7did, ou encore al moukhtafi, 7ayat khassa, sont très bien faites je trouve, et les acteurs une belle découverte, surtout les jeunes.

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