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L’article 20 de la Moudawana continue de faire couler beaucoup d’encre. Celui-ci accorde, de façon exceptionnelle et dans des cas spécifiques, le droit aux juges des affaires familiales d’autoriser le mariage de mineur(e)s n’ayant pas encore atteint l’âge de la capacité fixé à 18 ans.
Chiffres à l’appui : rien qu’en 2022, environ 20.097 demandes d’autorisation de mariage de mineurs ont été déposées, 6.445 d’entre elles ont été rejetées tandis qu’un total de 13.652 demandes a été accepté, avait détaillé le président du ministère public, El Hassan Daki, dans son allocation prononcée à l’occasion de l’ouverture de l’année judiciaire 2023.
Mais ces chiffres alarmants ne représentent que la partie émergée de l’iceberg.
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En réalité, dans le monde rural, 13% des unions scellées entre 2009 et 2018 se sont déroulées en catimini, des mariages coutumier à la «Fatiha», selon des statistiques relayées par le ministère de la Justice. Dans sa dernière étude, le Conseil National des Droits de l’Homme (CNDH) a tiré la sonnette d’alarme sur un phénomène qui est passé «d’une exception à une règle en raison des conditions d’octroi des autorisations par les tribunaux ».
Une pratique néfaste qui entrave «la réalisation de la cible 5.3 des ODD visant à mettre fin au mariage des enfants, nécessaire à la réalisation des autres objectifs de l’agenda 2030».
Pire : à l’instar du monde, les progrès enregistrés dans le Royaume pour freiner ce phénomène au cours de la dernière décennie sont menacés, voire annulés, par les effets permanents de la Covid-19, d’après l’analyse de l’UNICEF mise en lumière dans son rapport «La situation des enfants dans le monde en 2023».
«Encore une enfant»
Et ce sont les petites filles qui en souffrent le plus. Le Haut-Commissariat au Plan précisait, en 2022, que les filles représentent 94,8% du total des unions impliquant des mineurs. Les filles vivant dans des contextes fragiles sont deux fois plus susceptibles d’être mariées durant l’enfance que les autres filles, alerte par ailleurs l’UNICEF.
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Une triste réalité qui ruinent la vie à des milliers de jeunes filles, encore enfant, soumises à leur propre sort et obligées de dire «oui» pour ne pas contrarier leur famille ou pire encore, la société.
Mais le Maroc est fermement engagé à lutter contre ce fléau. Le ministère de la Solidarité, du développement social, de l’égalité et de la famille, en partenariat avec le parquet général et le ministère de l’Éducation nationale, a annoncé la mise en place d’une nouvelle feuille de route basée sur une approche multidimensionnelle. Car soulignant la nécessité d’une action convergente, la ministre Aawatif Hayar indiquait, en mars 2022, que «mettre fin à ce phénomène nécessite une approche intégrée qui aborde, en plus du système juridique et législatif, les défis culturels, économiques et sociaux…».
Et lors de son passage à la Chambre des conseillers mardi dernier, la ministre de tutelle a précisé que cette stratégie prévoit, outre l’amélioration des conditions de vie des familles vivant dans la précarité à travers un accompagnement favorisant leur insertion sociale et leur inclusion économique, la sensibilisation et la lutte contre la déperdition scolaire. En effet, Chakib Benmoussa, ministre du Préscolaire, de l’Éducation Nationale et du Sport avait, l’an dernier, fait référence à la nécessité de politiques et de programmes ciblés : «La scolarisation des filles dans les zones rurales est d’une importance cruciale dans notre lutte contre le mariage des enfants ».
Lutter contre l’abandon scolaire, une priorité
«La première source du problème du mariage des enfants au Maroc est la déperdition scolaire. C’est un phénomène auquel il faut trouver des solutions concrètes, particulièrement dans le milieu rural», a souligné la ministre. En témoigne une étude menée en 2021 par la présidence du ministère public, à la suite d’une initiative lancée par la princesse Lalla Meryem, présidente de l’Union nationale des femmes du Maroc (UNFM). Sur les 2.300 mariées mineures interrogées, la déperdition scolaire est en effet la raison principale de ce type de mariage.
Il convient de rappeler qu’à fin 2021, le HCP avait révélé dans un rapport intitulé «La femme marocaine en chiffres, 20 ans de progrès», que la scolarisation des filles âgées de 15 à 17 ans en 2020 avait atteint 90,5% en milieu urbain contre 39,2% en milieu rural. Un écart qui s’explique par le mariage précoce.
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«Au niveau du ministère, nous travaillons sur une approche globale où il sera question d’assurer un accompagnement favorisant l’insertion sociale et l’inclusion économique des familles, ce qui constitue une démarche essentielle pour lutter contre le mariage des filles mineures», a, en ce sens, déclaré la ministre.
Une stratégie éprouvée et recommandée par les Nations unies. «Nous avons prouvé qu’il était possible de progresser pour mettre fin aux mariages d’enfants. Pour cela, il faut apporter un soutien indéfectible aux filles et aux familles vulnérables», avait plaidé Catherine Russell, Directrice générale de l’UNICEF. «Nous devons nous assurer que les filles restent à l’école et disposent de possibilités économiques», avait-elle appelé.
En ce sens, le département de Hayar compte miser sur la sensibilisation. «Un travail de sensibilisation s’avère également nécessaire pour éveiller les consciences et alerter sur le fait que ce genre de pratiques est loin d’être la solution aux problèmes auxquels sont confrontées ces familles et ne fera que compliquer davantage la situation de ces dernières», a expliqué la ministre.
Dans des propos antérieurs, le ministre de l’Éducation Nationale avait insisté sur le fait de pousser les parents, essentiellement dans le milieu rural à changer de mentalités et les convaincre de l’utilité de la scolarisation des filles. Chakib Benmoussa avait, de plus, appelé à fournir des efforts pour lutter contre le décrochage scolaire des filles et leur offrir une place dans le monde du travail. Car les statistiques montrent aujourd’hui que dans la plupart des pays où on enregistre un grand nombre de mariages de mineurs, le taux d’activité des femmes est faible, avait-il affirmé.
Et la présidence du ministère public est, elle aussi, engagée dans la lutte contre le mariage de mineures. Le président du ministère public, El Hassan Daki, avait déclaré, en début d’année, que «tous les efforts consentis jusqu’à présent dans ce domaine s’inscrivent dans la mise en œuvre des Directives Royales visant la protection des femmes et des enfants contre les diverses formes d’exploitation et de délinquance». Une stratégie qui paye puisque plus de 36.383 filles mineurs ayant abandonné l’école au cours des deux dernières années en raison de demandes au mariage ont pu être réintégrées au sein des écoles, a assuré El Hassan Daki.
Généraliser les centres sociaux dans le Royaume
L’exclusion de certains services sociaux est également de nature à faire accepter l’idée de se marier alors qu’on est encore mineure. Raison pour laquelle le ministère a prévu la création, à partir de cette année, de centres sociaux dans toutes les régions du Royaume, y compris dans le milieu rural, dont la mission est de soutenir les familles et les autonomiser économiquement. Cela permettra, à titre d’exemple, d’impulser une dynamique de développement dans ces zones certaines zones enclavées ou défavorisées, et d’éviter que des mineures soient contraintes de se marier à cause de leur situation sociale.
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«Le ministère œuvre pour réaliser une justice spatiale à travers une bonne répartition des projets sociaux sur les régions, tout en favorisant celles qui souffrent d’un manque de centres sociaux, particulièrement la région de Draâ-Tafilalet et celle du Nord qui enregistrent le plus grand taux de précarité. Cette approche a permis justement d’augmenter considérablement le nombre des bénéficiaires des projets sociaux, qui est passé de 490.000 à 583.000 individus, soit une augmentation de plus de 93.000», a noté la ministre.
Prendre conscience collectivement du mariage des mineures
Les explications de ce phénomène sociologique interpellent de manière vivace les analystes. Raison pour laquelle l’Observatoire national du développement humain (ONDH) avec l’appui d’agences onusiennes (UNICEF, ONU Femmes et FNUAP) a décidé de se pencher sur ce que certains considèrent comme une aberration à décortiquer à différents niveaux.
En ce sens, l’Organisation a réalisé un questionnaire qui a permis de fournir les variables nécessaires permettant de caractériser les différents facteurs déterminants du mariage de mineures. L’analyse, appuyée par des données des Ministères Public, de la Justice, de la Santé ainsi que par les chiffres du HCP, révèlent que les facteurs communautaires et culturels ainsi que les facteurs liés aux lois et politiques publiques sont considérés comme des facteurs aggravants.
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D’où la nécessité de mettre en œuvre une nouvelle politique publique convergente et multisectorielle pour lutter contre le mariage des mineures. Dans son édition du vendredi 9 juin, le quotidien arabophone Assabah avait indiqué que le but stratégique de l’approche de coordination entre les différents départements ministériels est de mettre en place des plans d’action et des programmes permettant de lutter contre «l’acceptation culturelle» du mariage des mineures dans certaines catégories de la population. Il s’agit aussi de sensibiliser aux méfaits de ces mariages et à leurs conséquences sur la santé mentale et psychique des filles.
Ce phénomène, qui semble enraciné dans les mœurs, est une réalité que le ministre de la Justice, Abdellatif Ouahbi, a promis de faire changer. Intervenant à la Chambre des Représentants, lors de la séance des questions orales, tenue lundi 28 novembre, Ouahbi avait promis la révision des lois et l’interdiction définitive de la délivrance des autorisations exceptionnelles pour les mariages précoces. «Nous procéderons prochainement à la révision des lois en vigueur afin de mettre un terme à ce phénomène, notamment l’interdiction de l’octroi par les autorités judiciaires des autorisations de mariage de mineures», avait-il annoncé.
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