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Il y a quelques jours, nous commémorions la 60ᵉ année de la constitution du premier Parlement élu. Ce même Parlement qui aujourd’hui est sur toutes les bouches. Car par les temps qui courent, la chronique parlementaire (mais pas que) est défrayée au rythme des affaires judiciaires impliquant nos élus.
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La situation est telle que le Souverain même se devait de siffler la fin de la récréation. Ce mercredi 17 janvier, le Roi a appelé de ses vœux à la «moralisation de la vie parlementaire par l’adoption d’un code de déontologie juridiquement contraignant pour les deux Chambres de l’institution législative». Car, comme le rappelle le Monarque, «l’intérêt de la Nation et des citoyens» est ce à quoi devraient se consacrer, avant tout, les quelque 515 élus de notre pays.
La corruption, ce fléau qui gangrène le pays
Dans la majorité comme dans l’opposition, aucun parti ne semble être épargné. «La classe politique est, en vrai, rongée jusqu’à l’os», regrette l’avocat, Mohamed El Ghalloussi. Le président de l’Association marocaine de protection des deniers publics (AMPDP), qui a multiplié les sorties médiatiques depuis quelques mois, alerte en ce sens que «le danger ne réside pas seulement dans la nature des personnes impliquées, mais atteint des niveaux plus critiques», avec potentiellement des ramifications qui dépassent les frontières.
Si l’affaire dite de «l’Escobar du désert», impliquant le patron du WAC, Saïd Naciri, le président de la région de l’Oriental, Abdenbi Biioui (tous deux appartenant au Parti Authenticité et Modernité (PAM) jusqu’à ce que le parti ne les distancie) et une dizaine d’autres personnes, tient le Royaume en haleine, ce n’est que le dernier épisode d’un feuilleton que le Royaume vit depuis (trop) longtemps.
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En 2015, Hassan Aourid tirait déjà la sonnette d’alarme. En 2018, l’ancien porte-parole du palais royal réitérait son alerte : «au début de la première décennie de ce siècle, notre pays a connu des pratiques qui s’apparentent à des méthodes mafieuses. Ces pratiques ont émergé à travers des individus ayant des antécédents dans le trafic de drogues», avait-il écrit dans son livre “Pour une révolution culturelle au Maroc”.
«Les preuves que l’on reçoit à l’association (AMPDP), n’est qu’un nombre infime du volume [de corruption] qui existe réellement au Maroc. La Cour des comptes même n’arrive à recenser que très peu de dossiers (environ 10% à 15%) dont les preuves sont existantes eu égard à la taille de ce fléau», déplore Me. El Ghalloussi. Car, comme le précise-t-il, la justice nécessite de suivre un protocole procédural particulier.
Selon le président de l’organisme associatif, ce phénomène coûterait jusqu’à 5% du produit intérieur brut (PIB). Des sommes importantes sont perdues vainement dans les marchés publics (et dans la corruption). Automatiquement, la confiance dans les institutions publiques et les acteurs officiels s’effritent en raison de la prédominance de la corruption dans ces établissements. «Avec la corruption, la confiance, le favoritisme, les privilèges, … dans la société se transformeront en une culture générale, et lorsque la corruption devient une culture dominante dans la société, elle devient un danger pour l’État et la société».
Une confiance qui ne règne plus
En septembre dernier, l’Institut marocain d’analyse des politiques (MIPA) faisait état d’une chute du niveau de confiance des Marocains en leur gouvernement et même les partis politiques. Alors que 69% des sondés faisaient confiance à l’Exécutif en 2022, 41% seulement lui font encore confiance en 2023. Quant aux partis politiques, seulement 35% des personnes interrogées leur font confiance, contre 50% en 2022. Le Parlement, avec ses deux Chambres, pâtit d’un déficit de confiance équivalent, avec 42% des personnes interrogées qui lui ont retiré leur confiance, contre 52% d’entre ceux interrogés en 2022.
Le dernier indicateur de l’Institut a révélé que 83% de marocains estiment que la corruption est répandue dans le pays, mais 47% se disent satisfaits des efforts du gouvernement pour lutter contre ce phénomène. Dans les détails, 61% des Marocains ont déclaré que la corruption est «très répandue» et 22% qu’elle est «assez répandue». Le directeur de MIPA, Mohamed Misbah, s’était d’ailleurs réjoui que le sujet «est devenu un sujet que les marocains abordent avec plus de liberté».
La corruption est souvent considérée comme un aspect d’une mauvaise gouvernance et peut fausser les processus décisionnels, porter atteinte à l’État de droit, affaiblir les institutions démocratiques et éroder le contrat social entre les citoyens et le gouvernement. Cela peut créer une perception d’injustice et d’inégalité, dans la mesure où les ressources et les opportunités sont détournées à des fins de gain personnel plutôt que d’être allouées au bien-être public.–Rapport de l’Institut marocain d’analyse des politiques (MIPA) : L’indice de confiance dans les institutions IV 2023, “La confiance politique au Maroc est-elle en déclin ? ”
Un chiffre qui corrobore les résultats du Baromètre arabe qui a révélé, dans son étude qui couvre la période 2021-2022, que plus de sept Marocains sur dix (72%) considèrent que la corruption est répandue dans les institutions publiques et les agences nationales. Une statistique un tant soit peu équivalente à l’enquête de 2018 (71%). Toutefois, les perceptions ne sont pas partagées de manière égale : les résultats d’une étude menée par Transparency International suggère que les pauvres sont le plus souvent les plus touchés par les demandes de pots-de-vin.
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«Ainsi, les Marocains les plus riches, qui sont moins susceptibles d’avoir subi les conséquences d’une corruption endémique, peuvent donc percevoir qu’elle n’est pas aussi répandue parce que le gouvernement fait du bon travail pour la réprimer. En revanche, les Marocains pauvres et de la classe ouvrière sont plus susceptibles de souffrir des conséquences de la corruption et sont donc plus susceptibles de dire qu’elle est répandue et que le gouvernement ne fait pas du bon travail pour y faire face», peut-on lire sur le rapport de l’Arab Barometer.
Les chiffres détaillés de 2019 dressaient le bilan suivant : 41% des Marocains affirment que les parlementaires sont corrompus, 39% du côté des ministres, 38% au niveau des responsables locaux, 37% pour autres responsables gouvernementaux, 26% chez les magistrats, 24% pour les policiers, 11% pour les hommes de religions et 28% au niveau des dirigeants d’entreprises.
L’indice de perception de la corruption (IPC), élaboré chaque année par Transparency International, lui, dénote d’un tableau beaucoup plus sombre pour le Royaume. Si le graphique ci-dessus fait état d’une évolution en fluctuation pendant près de 20 ans, les indicateurs des années suivantes n’augurent rien de bon pour l’avenir. En 2020, le Maroc a été classé 86ᵉ. En 2021 87ᵉ, et enfin en 2022, le pays perd sept places pour se positionner au 94ᵉ rang sur 180 pays auditionnés par l’organisation.
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Partis politiques, tous concernés ?
La récente affaire de «l’Escobar du désert», mise aux devant de la scène le 21 décembre dernier, n’a pas manqué de faire réagir les citoyens, mais surtout les politiques. À son habitude, Abdelilah Benkirane, chef du Parti Justice et Développement (PJD) s’est saisi de la tenue du Conseil national du parti pour réitérer son inquiétude. «Le Maroc connaît un revers sans précédent et de plus en plus grave, en raison de la perte de confiance dans la politique, les hommes politiques et les institutions élues», a déploré le chef de file du parti de la lampe.
Selon l’ancien chef de gouvernement, «cela se manifeste à travers ce que notre pays a vécu d’une manière inédite au cours des derniers mois, semaines et jours, à travers une série de suites, d’arrestations et procès successifs». Et cela concerne un certain nombre de ceux qui assument des fonctions parlementaires nationales, ou des élus et fonctionnaires territoriaux, pour des soupçons de délits de corruption financière et électorale et de trafic de matériels légalement interdits.
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Il a estimé que cette situation était essentiellement due à l’affaiblissement des partis nationaux et à «la poussée au premier plan d’entités électorales corrompues et opportunistes, étrangères au corps politique et partisan». Et de souligner que le devoir de cette étape demande, de toute urgence, la préparation des conditions et des mécanismes pour corriger l’avenir politique, démocratique, partisan et électoral. Ajoutant : «car notre pays se trouve à un carrefour fatidique qui nécessite le renforcement du front intérieur avec des forces réelles et indépendantes, des partis nationaux, avec des militants réels et honnêtes et avec des institutions élues fortes, légitimes et sans ambiguïté crédibles». Le PJD semble ainsi être l’un des partis qui ne sont pas concernés par cette série de scandales.
Le Parti Progrès et Socialisme (PPS), bien que secoué par quelques affaires internes – le député Saïd Zaïdi, élu à Benslimane et président de la commune de Cherrat, près de Bouznika a été destitué de son mandat par la Cour constitutionnelle en ce début d’année –, n’a pas non plus manqué de mettre en garde l’État contre le danger du niveau de corruption de la scène politique marocaine.
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Pour le secrétaire général du parti, Mohamed Nabil Benabdallah, cette corruption est «devenue rongeante pour le corps politique», allant jusqu’à estimer que «l’on ne peut pas dire qu’il y ait une tendance officielle à lutter contre la corruption». Et, de toutefois annoncer que son parti «cherche à renverser l’équation» : «Nous, au Parti du Progrès et du Socialisme, cherchons à alerter l’État et à l’avertir de la gravité de la situation, et nous trouvons un soutien et une convergence avec le Parti de l’Union Socialiste des Forces Populaires (USFP) pour mettre en œuvre cette initiative».
Le vœu du leader du parti du livre n’est pas nouveau. En novembre dernier, lors d’un colloque sur l’unité de la gauche, Nabil Benabdallah a déclaré que son parti aspire à l’unité de la gauche marocaine. Celle-ci a accusé un recul notable après avoir joué un rôle majeur dans le domaine politique et constitutionnel. Benabdallah souhaite la voir revenir sur le devant de la scène politique du pays.
Lors d’une de ses sorties médiatiques, Me. El Ghaloussi a rappelé que «des études et des rapports ont montré que, plus il y a de bonne gouvernance et de prédominance de la loi, plus nous parlons de la prédominance des institutions, plus les espaces de corruption reculent, alors que plus la démocratie, l’État des institutions et les libertés sont confisqués, plus la corruption trouve un environnement propice à son expansion».
Le rappel à l’ordre du Roi
Alors que la lutte contre la corruption est érigée en priorité par le Royaume, le Maroc reste encore à la traîne. Si les experts disent que l’année 2024 est une période déterminante par rapport à la nouvelle ère de lutte contre la corruption, force est de constater que les récentes affaires impliquant les élus prouvent la complexité de ce domaine. Il n’en demeure pas moins que tout n’est pas cause perdue.
En ce sens, le roi Mohammed VI a profité du 60ᵉ anniversaire de création de l’organe législatif du pays pour rappeler le but premier (et ultime) de tout élu : servir les intérêts de la Nation et du citoyen. Et d’insister sur la relégation à l’arrière-plan des calculs partisans au profit des intérêts suprêmes.
Lesquels calculs politiques ne sont pas toujours regardants sur la moralité des candidats qu’ils placent, lors des campagnes électorales, dans leurs listes, «préférant s’appuyer sur leur puissance économique dans les régions», analyse un politologue.
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Ces défis doivent de fait être surmontés au moment où le Maroc ambitionne de s’afficher de plus en plus sur la scène internationale, tant au niveau diplomatique, que sportif. Son appel n’est pas resté lettre morte. Après le message du Roi dont la lecture a été donnée par le président de la chambre basse, Rachid Talbi Alami, plusieurs élus ont réagi. Si certains se sont dit nostalgiques d’une époque ancienne où le débat parlementaire était respectable et que d’autres déplorent le manque d’ouverture de l’appareil législatif, tous sont unanimes avec la réflexion royale.
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Ce code de conduite auquel aspire le Monarque devrait particulièrement revoir la représentativité des jeunes et des femmes. Car oui, le Maroc a fait un long chemin pour inclure ce segment de la population, mais la situation est stagnante, voire en recul, depuis quelques années. C’est cette frange même qui permettra de porter les doléances réelles des citoyens afin que démocratie réellement soit. Car, et qu’on se le dise, nous avons bien l’impression que ceux qui élaborent nos lois, et de faits nous gouvernent, sont à dix mille lieux des aspirations citoyennes.
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