Le communiqué du Cabinet royal admonestant le secrétariat général du Parti de la justice et du développement (PJD) a suscité différentes interprétations. Le parti de la lampe a exprimé son respect des prérogatives du Roi en matière de politique étrangère tout en se défendant de tout agenda interne par rapport à son rejet des relations entre le Maroc et Israël. Le parti dirigé par Abdelilah Benkirane a aussi invoqué le principe de critique du travail d’un membre de l’exécutif et la liberté d’expression. Décryptage.

Lundi 13 mars 2023. L’agence MAP relaye un communiqué du Cabinet royal vers 8h30. Horaire assez inhabituel pour une communication du Palais. Le communiqué en question est un rappel à l’ordre à destination du secrétariat général du Parti de la justice et du développement (PJD). Ce dernier avait publié le 4 mars, à l’issue de sa réunion ordinaire, une déclaration critiquant ouvertement le ministre des Affaires étrangères, Nasser Bourita.

Le Cabinet royal a jugé que cette déclaration du parti de la lampe contenait «des dépassements irresponsables et des approximations dangereuses, concernant les relations entre le Royaume du Maroc et l’Etat d’Israël, en lien avec les derniers développements dans les territoires palestiniens occupés». Conduit par Abdelilah Benkirane, le secrétariat général du PJD avait « déploré » les «prises de position récentes du ministre des Affaires étrangères, dans lesquelles il semble défendre l’entité sioniste dans certaines réunions africaines et européennes, à un moment où l’occupation israélienne poursuit son agression criminelle contre nos frères palestiniens».

Suite à la réprimande du Cabinet royal, Benkirane diffusera une consigne à tous les membres du parti leur interdisant tout commentaire. Idem pour les autres formations politiques qui resteront silencieuses malgré les sollicitations de notre rédaction. Le lendemain (14 mars), le secrétariat général du PJD se réunit lors d’une session extraordinaire pour examiner le contenu du communiqué du Cabinet royal. Le 15 mars, dans une nouvelle communication, la direction du PJD dit accepter «sans gêne les observations et mises en garde exprimées par le Roi» et nie toute atteinte au prérogatives du chef de l’État. Elle se défend également de tout agenda partisan ou électoral interne ou instrumentalisation de la politique extérieure du Royaume et invoque le principe de la liberté d’expression et de la critique envers un membre du gouvernement.

Lire aussi : Maroc-France : fini l’interdépendance ! 

Domaine réservé au Roi

Certains analystes se sont aventurés à dire que le Cabinet royal a ardemment défendu le chef de la diplomatie, Nasser Bourita, après les attaques du PJD. Cependant, ils oublient que la politique étrangère est un domaine réservé au Roi (cf. encadré) et que Bourita n’en est que l’exécutant. Par maladresse ou par excès de confiance, le secrétariat général de l’ex-parti au pouvoir, s’est attaqué à une question qui relève directement du chef de l’État. Ce domaine stratégique est difficile à appréhender par les dirigeants des formations politiques tant qu’ils ne disposent pas de l’ensemble des données et ne peuvent, en définitive, apprécier les enjeux géostratégiques véritables derrière telle ou telle décision. On a déjà vu un parti politique questionner ou critiquer l’action du ministre des Affaires étrangères, au Parlement ou ailleurs, comme lors du blocage des milliers de Marocains à l’étranger pendant la fermeture des frontières à cause de la Covid-19. Mais aucune formation partisane n’a osé accuser le chef de la diplomatie de trahir la position irréversible et constante du Maroc envers la question palestinienne. Cette dernière est une priorité et est placée au même rang que l’intégrité territoriale du Royaume, a tenu à rappeler le Cabinet royal.

Lire aussi : Diplomatie : le Maroc sur tous les fronts

Le message de Bourita

Le ministre des Affaires étrangères, de la Coopération africaine et des Marocains résidant à l’étranger, Nasser Bourita, a profité d’un déplacement le 16 mars à Nouakchott, pour remuer le couteau dans la plaie. Lors des travaux de la 49e session du Conseil des ministres des Affaires étrangères de l’Organisation de la coopération islamique (OCI), Bourita a réaffirmé la centralité de la question palestinienne. «Le Royaume, au vu des développements qui prévalent dans les territoires palestiniens, réaffirme la centralité de la juste cause palestinienne et sa position ferme et constante à son égard», a-t-il déclaré. Il a ajouté que pour le Royaume du Maroc, dont le Souverain préside le Comité d’Al-Qods, issu de l’OCI, la question palestinienne représente l’une des priorités de sa politique étrangère.

Bourita a affirmé que le Maroc, à la lumière des développements intervenus dans les territoires palestiniens, considère la question palestinienne «comme un véritable défi auquel fait face l’action islamique commune, ce qui implique la conjugaison des efforts pour relancer le processus de paix au Proche-Orient dans le but de parvenir à un règlement juste et global». Le ministre a conclu que cela ne sera possible qu’en adoptant une vision réaliste et une perception pragmatique, dans le cadre d’un effort collectif et d’un discours unifié, qui se démarque des surenchères stériles et de l’instrumentalisation politique odieuse qui nuiraient à la cause palestinienne au lieu de la servir. Un discours on ne peut plus clair dont les destinataires sont un pays voisin et un certain parti politique marocain.

Frères schizophrènes

Contacté par LeBrief, Hicham Berjaoui, professeur de droit international à l’Université Mohammed V de Rabat, a rappelé que l’ex-chef du gouvernement et ex-SG du PJD, a signé, le 22 décembre 2020 au Palais royal de Rabat, la Déclaration tripartite Maroc-USA-Israël. Cette dernière a permis de reprendre les relations diplomatiques maroco-israéliennes et d’assurer à notre cause nationale le soutien de la super-puissance américaine. Aussi, «il importe de rappeler que la signature de l’accord précité est le résultat d’un processus participatif ayant impliqué l’ensemble des acteurs politiques marocains et même les représentants de l’autorité palestinienne», a-t-il ajouté. D’ailleurs, à l’époque, Benkirane avait affirmé que «le PJD doit appuyer les décisions royales».

Seulement voilà, deux ans après les faits, l’ancien chef du gouvernement, Saad Eddine El Otmani, a affirmé dans une interview accordée au mois de novembre 2022 à Al Araby TV, qu’il a été contraint de signer cette déclaration de par sa fonction gouvernementale, arguant que sa position personnelle et celle de son parti demeurent inchangées, rejetant toute normalisation avec Israël.

Réaction du PSU

La seule réaction politique officielle est intervenue le 17 mars par la voix de Nabila Mounib, secrétaire générale du Parti socialiste unifié (PSU). La dirigeante du parti d’extrême gauche, à l’opposé de la ligne de conduite du PJD qu’elle qualifie de rétrograde, a estimé que la cause palestinienne est celle de l’État et de l’ensemble des Marocains parce qu’elle constitue la plus grande injustice dans le monde envers un peuple sans défense. «L’entité sioniste commet des exactions et des crimes quotidiennement pour lesquels elle doit être traduite devant la Cour pénale internationale», a-t-elle dit. Et d’ajouter que le peuple marocain rejette la normalisation avec Israël. La dirigeante gauchiste est allée jusqu’à parler de terrorisme d’État, jugeant qu’il est anormal de toucher à l’indépendance des partis et à la liberté d’expression, concluant sur la nécessité de moraliser l’action politique.

Règlement de comptes ?

Après la diffusion du communiqué du Cabinet royal, le PJD a été pris à partie par la plupart des acteurs associatifs, y compris palestiniens, et des médias. Au-delà du fait que le PJD renie l’accord tripartite que son ex-SG a lui-même signé, tout le monde dénonce une sortie hasardeuse du parti de la lampe et fustige le comportement irresponsable de Benkirane.

"البيجيدي" يرد على بلاغ الديوان الملكي بنفي الابتزاز والتدخل في الاختصاصات

Caricature : Imad Snouni © Hespress

Le secrétariat général du PJD a rédigé tout un paragraphe dans sa déclaration du 15 mars dénonçant «la campagne dans laquelle un groupe de sites internet et de plumes ont été impliqués». Il va jusqu’à accuser les chaînes publiques et leurs invités ainsi d’avoir exploité de manière odieuse le communiqué du Cabinet royal considérant que c’est «une violation flagrante de la loi et de l’éthique du travail journalistique».

Le communiqué du Cabinet royal a sorti le microcosme politique de sa torpeur. Plusieurs instances sont montées au créneau pour expliquer le travail de fond accompli par la diplomatie marocaine pour défendre la cause palestinienne, notamment à travers le Comité Al-Qods présidé par le Souverain. Des analystes s’en sont pris violemment au PJD qu’ils accusent de vouloir amadouer les foules avec de la surenchère autour de la question palestinienne dont il ferait un fonds de commerce.

Quoi qu’il en soit, comme l’a rappelé le communiqué du Cabinet royal, le contexte mondial est très complexe. Une grande transformation est en train de s’opérer dans le monde. Le dernier rapprochement irano-saoudien en est la preuve. Le Maroc doit défendre intelligemment ses intérêts et ses efforts ne doivent absolument pas être sapés, au risque de perdre la place qui lui sied dans la reconfiguration en cours.

Lire aussi : Maroc-Iran : à couteaux tirés

Article 42 de la Constitution
Le Roi, Chef de l’État, son Représentant suprême, Symbole de l’unité de la Nation, Garant de la pérennité et de la continuité de l’État et Arbitre suprême entre ses institutions, veille au respect de la Constitution, au bon fonctionnement des institutions constitutionnelles, à la protection du choix démocratique et des droits et libertés des citoyennes et des citoyens, et des collectivités, et au respect des engagements internationaux du Royaume.

Il est le Garant de l’indépendance du Royaume et de son intégrité territoriale dans ses frontières authentiques.

Le Roi exerce ces missions par dahirs en vertu des pouvoirs qui lui sont expressément dévolus par la présente Constitution.

Les dahirs, à l’exception de ceux prévus aux articles 41, 44 (2e alinéa), 47 (1er et 6e alinéas), 51, 57, 59, 130 (1er alinéa) et 174 sont contresignés par le Chef du Gouvernement.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée Champs requis marqués avec *

Poster commentaire