En 2022, 71,1 millions de personnes ont été enregistrées comme déplacées internes, contraintes à l’exil dans leur propre pays. Ce nombre a plus que doublé dans le monde entre 2013 et cette année. Un nouveau record.
Selon le rapport conjoint de l’Internal Displacement Monitoring Centre (IDMC) et du Norwegian Refugee Council (NRC), c’est un nombre «extrêmement élevé» provoqué par les exodes massifs après l’invasion de l’Ukraine par la Russie mais aussi des inondations catastrophiques au Pakistan.
Les déplacements internes atteignent «une échelle jamais vue auparavant», soulignent les deux organisations. «Une grande partie de l’augmentation est causée, bien sûr, par la guerre en Ukraine, mais aussi par les inondations au Pakistan, par les conflits nouveaux et en cours à travers le monde, et par un certain nombre de catastrophes soudaines ou lentes que nous avons vues depuis les Amériques jusqu’au Pacifique», assure la chef de l’IDMC, Alexandra Bilak. En cause : de forts épisodes de sécheresse qui ont accru l’insécurité alimentaire.
The number of people living in internal displacement has reached 71.1 million, 20% more than only a year ago. Much of this increase due to the war in #Ukraine & ongoing conflicts + disasters around the world.
Read more in @IDMC_Geneva’s #GRID2023: https://t.co/NEI6LPRFTZ pic.twitter.com/uGgBxplfTY
— Alexandra Bilak (@AlexandraBilak) May 11, 2023
Une «tempête parfaite»
Du conflit en Ukraine aux inondations au Pakistan, cet empilement de crises est pour le chef du Norwegian Refugee Council, Jan Egeland, une «tempête parfaite» qui a conduit à un nouveau record du nombre de déplacés internes en 2022.
«Les conflits et les catastrophes se sont combinés l’année dernière pour aggraver les vulnérabilités et les inégalités préexistantes, provoquant des déplacements à une échelle jamais vue auparavant», a-t-il déclaré dans un communiqué.
Si des personnes sont forcées de fuir partout dans le monde, dix pays concentrent près des trois quarts des déplacés internes. Il s’agit, par ordre décroissant du nombre de déplacés internes, de la Syrie, l’Afghanistan, la République démocratique du Congo, l’Ukraine, la Colombie, l’Éthiopie, le Yémen, le Nigeria, la Somalie et le Soudan.
"I'm really worried for 2023, honestly," Jan Egeland, head of the Norwegian Refugee Council, told Reuters.
Virtually “all humanitarian operations are catastrophically underfunded." https://t.co/JHLhbwSLy2
— Jan Egeland (@NRC_Egeland) May 9, 2023
Beaucoup de ces déplacés sont victimes de conflits qui durent depuis des années, mais les catastrophes naturelles sont responsables de la plupart des nouveaux déplacements internes. Elles ont forcé 32,6 millions de personnes à fuir en 2022. C’est deux fois plus que l’année précédente.
Au Pakistan seulement, huit millions de personnes ont été chassées de chez elles par les inondations monstres de l’été dernier. Même constat en Afghanistan où deux millions de personnes ont fui leur domicile après des catastrophes naturelles et près de quatre autres à cause des combats.
En effet, les nouveaux déplacements internes dus aux conflits ont grimpé l’année dernière à 28,3 millions, soit près du double par rapport à l’année précédente et trois fois plus que la moyenne annuelle de la dernière décennie.
Douze années après le début du conflit en Syrie, près de 7 millions de personnes ont fui et trouvé refuge dans une autre partie du pays. La plupart des déplacés internes syriens vivent dans la région d’Idlib, dans le nord-est de la Syrie, aux mains des rebelles. Le pays en guerre détient le record de déplacements massifs de population.
Au Yémen, où la guerre fait rage depuis 2015, un habitant sur huit a fui son domicile. Le pays compte 4.500.000 déplacés internes, dont la moitié réside encore dans une zone de conflit.
Enfin en Ukraine, à la suite de l’invasion russe du 24 février 2022, plus de onze millions de personnes ont fui leur maison tout en restant dans le pays. Si près de la moitié a pu retourner à son domicile, six millions demeurent déplacés internes. Jan Egeland a par ailleurs dénoncé la crise alimentaire mondiale, encore rendue plus aiguë par cette guerre qui a «sapé des années de progrès».
Une triste réalité pour l’Afrique
L’Afrique subsaharienne a enregistré environ 16,5 millions de déplacements internes, dont plus de la moitié en raison de conflits. La République démocratique du Congo et l’Éthiopie sont les principaux pays, où ils sont respectivement près de six millions et près de quatre millions de déplacés. Et cette année, le nombre de déplacés internes devrait encore augmenter.
Au Soudan, 3.500.000 personnes ont été enregistrées comme déplacées internes fin 2022. Depuis que les combats ont éclaté à la mi-avril, plus de 700.000 personnes ont été forcées à fuir ailleurs dans le pays.
Lire aussi : Guerre au Soudan, le PAM prévoit d’aider 380.000 victimes
«Depuis le début du […] conflit le plus récent en avril, nous avons déjà enregistré le même nombre de déplacements que pour toute l’année 2022», a constaté Alexandra Bilak. «De toute évidence, c’est une situation très instable sur le terrain», a-t-elle déclaré. Car au Soudan, c’est un demi-siècle de dysfonctionnement et de déplacements.
The numbers are staggering.
More than 700,000 people have been displaced within #Sudan since the start of the crisis. This number has doubled in the past week.
It's a race against time to provide life-saving assistance to those in need.
The fighting needs to stop now.
— Tom Fletcher (@UNReliefChief) May 9, 2023
Dans de nombreuses régions du continent, la combinaison des conflits, de la violence politique, du changement climatique et de l’insécurité alimentaire provoquent le déplacement forcé d’un nombre plus important que jamais d’Africains.
Selon les prévisions de l’Agence des Nations unies pour les réfugiés (HCR), il y aura 44 millions de personnes déplacées en Afrique subsaharienne en 2023, contre 38,3 millions à la fin de 2021. La plupart d’entre elles (60 %) sont des déplacés internes.
Lire aussi : La situation humanitaire de l’Afrique est « alarmante »
Malgré ce tableau catastrophique d’une grande partie de l’Afrique, le financement des réponses humanitaires et des aides pour les réfugiés subissent des pénuries sans précédent. Car l’attention est concentrée sur l’Ukraine. Et les réfugiés africains, eux, sont confrontés à un manque de fonds record et à des routes migratoires restreintes.
En octobre 2022, le Haut-commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, Filippo Grandi, a tiré la sonnette d’alarme : «J’ai le regret de vous informer que, pour la première fois depuis que je suis en fonction, je suis inquiet quant à la situation financière du UNHCR».
«Si nous ne recevons pas au moins 700 millions de dollars supplémentaires, en particulier pour nos opérations les plus sous-financées, d’ici la fin de l’année, nous serons obligés de procéder à des coupes sévères, avec des conséquences négatives et parfois dramatiques pour les réfugiés et les communautés d’accueil», a déclaré le Haut-Commissaire lors d’un discours prononcé à l’ouverture de la 73e session du Comité exécutif du UNHCR devant les États membres à Genève.
Contrastant avec le financement des appels à l’aide de l’Ukraine, l’Afrique réunit la plupart des situations gravement sous-financées. CARE International, qui publie chaque année le palmarès des dix crises humanitaires les plus oubliées dans le monde, relève qu’en 2022, celles-ci se situaient toutes en Afrique.
Considérant que la couverture médiatique et la solidarité publique jouent un rôle important dans les réponses, CARE déplore que plus de deux millions d’articles en ligne ont été écrits sur la guerre en Ukraine, soit plus que pour 41 autres crises réunies. Il y a eu plus de trois fois plus d’articles sur Will Smith donnant une gifle à Chris Rock aux Oscars (217.529) que sur ces dix crises africaines réunies (66.723).
Voir aussi : 2022, une année de crises climatiques en Afrique
Aujourd’hui, si les nombreux conflits à l’origine des déplacements ne seront probablement pas résolus de sitôt, et les facteurs liés au changement climatique risquent de s’aggraver. Il est prévu, en effet, que certaines de ces catastrophes naturelles empirent et durent plus longtemps. Le manque d’options va certainement accroître le nombre de réfugiés, à mesure que les financements diminueront.
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