Accueil / Afrique / Société

Plus de 71 millions de déplacés à cause d’une «tempête parfaite»

Temps de lecture

Ils sont des millions contraints au déracinement. Sous pression des catastrophes climatiques, des conflits meurtriers ou, tout simplement, de la misère, 71,1 millions de désespérés ont choisi de fuir. Ces chiffres alarmants qui ressortent du rapport conjoint de l’Internal Displacement Monitoring Centre (IDMC) et du Norwegian Refugee Council (NRC), dessinent une triste réalité qui ne présage rien de meilleur à l’avenir. Et si la guerre en Ukraine accapare l’attention de tous, c’est bien évidemment en Afrique que la situation est catastrophique. Le continent reste l’oublié d’un monde en mouvement.

En 2022, 71,1 millions de personnes ont été enregistrées comme déplacées internes, contraintes à l’exil dans leur propre pays. Ce nombre a plus que doublé dans le monde entre 2013 et cette année. Un nouveau record.

Selon le rapport conjoint de l’Internal Displacement Monitoring Centre (IDMC) et du Norwegian Refugee Council (NRC), c’est un nombre «extrêmement élevé» provoqué par les exodes massifs après l’invasion de l’Ukraine par la Russie mais aussi des inondations catastrophiques au Pakistan.

Les déplacements internes atteignent «une échelle jamais vue auparavant», soulignent les deux organisations. «Une grande partie de l’augmentation est causée, bien sûr, par la guerre en Ukraine, mais aussi par les inondations au Pakistan, par les conflits nouveaux et en cours à travers le monde, et par un certain nombre de catastrophes soudaines ou lentes que nous avons vues depuis les Amériques jusqu’au Pacifique», assure la chef de l’IDMC, Alexandra Bilak. En cause : de forts épisodes de sécheresse qui ont accru l’insécurité alimentaire.

Une «tempête parfaite»

Du conflit en Ukraine aux inondations au Pakistan, cet empilement de crises est pour le chef du Norwegian Refugee Council, Jan Egeland, une «tempête parfaite» qui a conduit à un nouveau record du nombre de déplacés internes en 2022.

«Les conflits et les catastrophes se sont combinés l’année dernière pour aggraver les vulnérabilités et les inégalités préexistantes, provoquant des déplacements à une échelle jamais vue auparavant», a-t-il déclaré dans un communiqué.

Si des personnes sont forcées de fuir partout dans le monde, dix pays concentrent près des trois quarts des déplacés internes. Il s’agit, par ordre décroissant du nombre de déplacés internes, de la Syrie, l’Afghanistan, la République démocratique du Congo, l’Ukraine, la Colombie, l’Éthiopie, le Yémen, le Nigeria, la Somalie et le Soudan.

Beaucoup de ces déplacés sont victimes de conflits qui durent depuis des années, mais les catastrophes naturelles sont responsables de la plupart des nouveaux déplacements internes. Elles ont forcé 32,6 millions de personnes à fuir en 2022. C’est deux fois plus que l’année précédente.

Au Pakistan seulement, huit millions de personnes ont été chassées de chez elles par les inondations monstres de l’été dernier. Même constat en Afghanistan où deux millions de personnes ont fui leur domicile après des catastrophes naturelles et près de quatre autres à cause des combats.

En effet, les nouveaux déplacements internes dus aux conflits ont grimpé l’année dernière à 28,3 millions, soit près du double par rapport à l’année précédente et trois fois plus que la moyenne annuelle de la dernière décennie.

Douze années après le début du conflit en Syrie, près de 7 millions de personnes ont fui et trouvé refuge dans une autre partie du pays. La plupart des déplacés internes syriens vivent dans la région d’Idlib, dans le nord-est de la Syrie, aux mains des rebelles. Le pays en guerre détient le record de déplacements massifs de population.

Au Yémen, où la guerre fait rage depuis 2015, un habitant sur huit a fui son domicile. Le pays compte 4.500.000 déplacés internes, dont la moitié réside encore dans une zone de conflit.

Enfin en Ukraine, à la suite de l’invasion russe du 24 février 2022, plus de onze millions de personnes ont fui leur maison tout en restant dans le pays. Si près de la moitié a pu retourner à son domicile, six millions demeurent déplacés internes. Jan Egeland a par ailleurs dénoncé la crise alimentaire mondiale, encore rendue plus aiguë par cette guerre qui a «sapé des années de progrès».

Une triste réalité pour l’Afrique

L’Afrique subsaharienne a enregistré environ 16,5 millions de déplacements internes, dont plus de la moitié en raison de conflits. La République démocratique du Congo et l’Éthiopie sont les principaux pays, où ils sont respectivement près de six millions et près de quatre millions de déplacés. Et cette année, le nombre de déplacés internes devrait encore augmenter.

Au Soudan, 3.500.000 personnes ont été enregistrées comme déplacées internes fin 2022. Depuis que les combats ont éclaté à la mi-avril, plus de 700.000 personnes ont été forcées à fuir ailleurs dans le pays.

Lire aussi : Guerre au Soudan, le PAM prévoit d’aider 380.000 victimes

«Depuis le début du […] conflit le plus récent en avril, nous avons déjà enregistré le même nombre de déplacements que pour toute l’année 2022», a constaté Alexandra Bilak. «De toute évidence, c’est une situation très instable sur le terrain», a-t-elle déclaré. Car au Soudan, c’est un demi-siècle de dysfonctionnement et de déplacements.

 

Dans de nombreuses régions du continent, la combinaison des conflits, de la violence politique, du changement climatique et de l’insécurité alimentaire provoquent le déplacement forcé d’un nombre plus important que jamais d’Africains.

Selon les prévisions de l’Agence des Nations unies pour les réfugiés (HCR), il y aura 44 millions de personnes déplacées en Afrique subsaharienne en 2023, contre 38,3 millions à la fin de 2021. La plupart d’entre elles (60 %) sont des déplacés internes.

Lire aussi : La situation humanitaire de l’Afrique est « alarmante »

Malgré ce tableau catastrophique d’une grande partie de l’Afrique, le financement des réponses humanitaires et des aides pour les réfugiés subissent des pénuries sans précédent. Car l’attention est concentrée sur l’Ukraine. Et les réfugiés africains, eux, sont confrontés à un manque de fonds record et à des routes migratoires restreintes.

En octobre 2022, le Haut-commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, Filippo Grandi, a tiré la sonnette d’alarme : «J’ai le regret de vous informer que, pour la première fois depuis que je suis en fonction, je suis inquiet quant à la situation financière du UNHCR».

«Si nous ne recevons pas au moins 700 millions de dollars supplémentaires, en particulier pour nos opérations les plus sous-financées, d’ici la fin de l’année, nous serons obligés de procéder à des coupes sévères, avec des conséquences négatives et parfois dramatiques pour les réfugiés et les communautés d’accueil», a déclaré le Haut-Commissaire lors d’un discours prononcé à l’ouverture de la 73e session du Comité exécutif du UNHCR devant les États membres à Genève.

Contrastant avec le financement des appels à l’aide de l’Ukraine, l’Afrique réunit la plupart des situations gravement sous-financées. CARE International, qui publie chaque année le palmarès des dix crises humanitaires les plus oubliées dans le monde, relève qu’en 2022, celles-ci se situaient toutes en Afrique.

Considérant que la couverture médiatique et la solidarité publique jouent un rôle important dans les réponses, CARE déplore que plus de deux millions d’articles en ligne ont été écrits sur la guerre en Ukraine, soit plus que pour 41 autres crises réunies. Il y a eu plus de trois fois plus d’articles sur Will Smith donnant une gifle à Chris Rock aux Oscars (217.529) que sur ces dix crises africaines réunies (66.723).

Voir aussi : 2022, une année de crises climatiques en Afrique

Aujourd’hui, si les nombreux conflits à l’origine des déplacements ne seront probablement pas résolus de sitôt, et les facteurs liés au changement climatique risquent de s’aggraver. Il est prévu, en effet, que certaines de ces catastrophes naturelles empirent et durent plus longtemps. Le manque d’options va certainement accroître le nombre de réfugiés, à mesure que les financements diminueront.

Dernier articles
Les articles les plus lu

Le Burkina Faso lance une unité de transformation de tomates à 9 millions dollars

Afrique, Économie - Le président  Burkinabé Ibrahim Traoré a procédé à l’inauguration d’une unité de transformation de tomate basée à Pognongo.

Mbaye Gueye - 17 décembre 2024

Cyclone Chido : les agences humanitaires préoccupées par son impact à Mayotte et au Mozambique

Afrique, Monde, Société - Les partenaires humanitaires de l'ONU sont très préoccupés par l'impact du cyclone Chido, qui a frappé Mayotte et le nord du Mozambique ce week-end.

Rédaction LeBrief - 17 décembre 2024

Retrait des pays de l’AES de la Cedeao : six mois pour un éventuel retour

Afrique, Économie - Lors du 66e sommet de la Cedeao, les chefs d’État et de gouvernement ont acté le départ des pays membres de l’AES.

Mbaye Gueye - 16 décembre 2024

Après Mayotte, le cyclone Chido touche l’Afrique

Afrique, Société - Le pays a échappé à l’œil du cyclone dont la vitesse a par ailleurs progressivement ralenti à l'approche des côtes des îles de Mohéli, d'Anjouan et de la Grande Comores.

Mbaye Gueye - 16 décembre 2024

Niger : 39 morts dans de nouvelles attaques terroristes

Afrique, Société - Trente-neuf civils ont été tués cette semaine lors de deux attaques attribuées à des groupes terroristes dans l’ouest du Niger.

Ilyasse Rhamir - 16 décembre 2024

Kosmos et Tullow : une fusion pour consolider le secteur gazier africain

Afrique, Économie - Tullow Oil, autrefois leader de l’exploration en Afrique, connaît une forte dégradation de ses ambitions.

Mbaye Gueye - 16 décembre 2024

L’ambassadeur de France en Algérie convoqué pour des accusations de «déstabilisation»

Afrique, Diplomatie - Selon plusieurs médias algériens, le ministère des Affaires étrangères a convoqué l’ambassadeur de France à Alger.

Mbaye Gueye - 16 décembre 2024

OCP Africa et le Niger : un accord pour transformer l’agriculture

Afrique, Économie, Économie - OCP Africa, filiale du Groupe OCP, a signé un accord stratégique avec le ministère nigérien de l’Agriculture et de l’Élevage.

Ilyasse Rhamir - 14 décembre 2024
Voir plus

Burkina Faso-Cédéao : des échanges satisfaisants avec Traoré

Afrique, Économie, Politique - Au Burkina Fasi, la délégation de la Cédéao s’est dite «satisfaite» de ses échanges avec le capitaine Traoré.

Nora Jaafar - 5 octobre 2022

Gaz naturel : l’Algérie revoit la tarification avec l’Espagne, son principal client

Afrique, Économie, Politique - Le groupe algérien Sonatrach a annoncé la signature d’un contrat avec Naturgy, son principal client en Espagne.

Rédaction LeBrief - 7 octobre 2022

AIF 2024 : La BEI engage 80 millions de dollars dans Pembani Remgro Infrastructure Fund II

Afrique, Économie - Le premier investissement du fonds soutiendra une plateforme panafricaine de centres de données, avec pour objectif d’élargir la connectivité numérique et de remédier à la fracture numérique.

Mbaye Gueye - 6 décembre 2024

Racket portuaire

Edito - Les ports africains doivent engager un combat, un vrai, contre les coûts invisibles qui polluent la vie des opérateurs économiques.

Abashi Shamamba - 21 mai 2023

Aux amis sénégalais

Edito - Les Sénégalais doivent se retrouver autour de ce qui doit être leur dénominateur commun, à savoir l’intérêt supérieur de la Nation.

Abashi Shamamba - 11 juin 2023

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée Champs requis marqués avec *

Poster commentaire