Partis politiques : le temps des zaïms est révolu
Il y a quelques semaines, Mohamed Joudar a succédé à Mohamed Sajid en tant que cinquième personnalité à diriger l’Union constitutionnelle (UC) depuis la création du parti en 1983 par son zaïm et fondateur Maâti Bouabid, décédé en 1996. Pour sa part, Aziz Akhannouch a été réélu à l’unanimité, samedi 5 mars 2022 à Rabat, président du Rassemblement national des indépendants (RNI). Le parti de la colombe a été créé en 1978 par Ahmed Osman, beau-frère du roi Hassan II et zaïm autoproclamé de cette formation politique. Mais la zaâma est une notion plus ancienne. Le sociologue et anthropologue orientaliste français, Jacques Berque, interprétait le concept de zaïm comme un intercesseur entre un ordre social en voie de désagrégation et la constitution d’un autre ordre social. C’est en quelque sorte l’unificateur dans un contexte donné.
Nasser était le zaïm de la révolution égyptienne et des jeunes officiers libres qui ont renversé la monarchie et proclamé la république en 1952. Mohamed Belhassan El Ouazzani était l’un des zaïms de la lutte contre la domination coloniale et l’instauration de la démocratie et des droits de l’homme avant et après l’indépendance du Maroc. De l’adoration de ces leaders, certains ont versé dans le culte du chef prophétique. N’oublions pas que ces hommes défendaient corps et âme leurs idéologies et ne faisaient aucun compromis par rapport à leurs principes. Certains ont été emprisonnés, d’autres ont payé cher leur « insubordination ». Tous ont animé d’une façon ou d’une autre la vie politique marocaine, chacun à sa manière. Mais de nos jours, le Maroc est entré dans une ère différente dans laquelle les dirigeants politiques d’aujourd’hui ne savent plus comment s’imposer ou du moins gagner le respect des membres de leurs partis.
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Mandats à rallonge
Du temps des zaïms comme Allal El Fassi, Mahjoubi Aherdan, Ali Yata ou Abderrahim Bouabid, il n’était nullement question de limiter les mandats du leader incontesté. De surcroît, la loi organique relative aux partis politiques n’existait pas.
Mais à partir des années 1990, la question de la légitimité du numéro 1 du parti a été posée. La disparition des leaders charismatiques a poussé vers des successions hâtives et des fois imposées. L’organisation des congrès ordinaires dans le respect des statuts des différentes formations politiques n’a été effective que vers la fin de cette décennie, à quelques exceptions près. C’est là qu’on a commencé à parler de limitation des mandats des dirigeants. Les plus honorables ont préféré quitter la vie politique et passer le témoin sans embrouilles. C’est le cas de M’hamed Boucetta qui a quitté la direction du Parti de l’Istiqlal (PI) en 1998 alors qu’il était à la tête du parti de la balance depuis 1974 suite au décès de Allal El Fassi en 1974. «J’ai fait mon temps et (…) je cède ma place aux jeunes», annonçait en 2004 le fondateur du Parti de la justice et développement (PJD), Abdelkrim El Khatib. Idem pour Ahmed Osman qui cède son fauteuil après presque 30 années passées à la tête du parti.
Le dernier zaïm de la liste à s’accrocher à son poste était Mahjoubi Aherdan. En 2010, pour la première fois, un secrétaire général du Mouvement populaire (MP) est élu par la voie des urnes et Mohand Laenser est plébiscité alors qu’Aherdan est nommé président d’honneur. Depuis, le vent a tourné au sein des différentes formations politiques, qu’elles soient de droite ou de gauche. Le PI a vécu la parenthèse Chabat avant de renouer avec la famille El Fassi à travers le petit-fils du zaïm Allal El Fassi, Nizar Baraka. L’Union socialiste des forces populaires (USFP) a vu la réélection de Driss Lachgar pour un troisième mandat en janvier 2022.
Ceci étant, selon Zakarya Halwi, chercheur en droit public, «La réalité de la pratique partisane au Maroc nous montre que le renouvellement du leadership reste quasiment absent dans la plupart des organisations politiques, et même s’il a lieu, les mêmes visages antérieurs se répètent souvent, ce qui conduit à la consolidation du caractère de stagnation dans la production des leaders, et la consolidation de la logique du leader éternel ou unique, qui est en totale contradiction avec l’esprit de la démocratie basée sur l’alternance du pouvoir et la rotation des responsabilités». Le chercheur donne l’exemple du parti de la lampe : «Même s’il atteste de son respect de la périodicité de tenue de son congrès national dans les délais, dans le but d’élire son secrétaire général qui ne dépasse pas deux mandats à la tête du parti, on note la réélection le 30 octobre 2021 de Abdelilah Benkirane au poste de secrétaire général du parti pour un nouveau mandat malgré la défaite retentissante du parti aux élections législatives du 8 septembre 2021. Benkirane occupait auparavant le même poste entre 2008 et 2017», souligne Halwi.
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Enjeux des prochains congrès du PPS, du MP et du PI
Situation de chaos au parti du livre. Alors que le 11e congrès de l’ex-parti communiste doit se tenir les 11, 12 et 13 novembre prochains à Bouznika, il n’y a toujours pas de candidats en vue pour succéder à Mohamed Nabil Benabdellah. L’homme a déjà cumulé trois mandats à la tête du «parti de la classe ouvrière, de la paysannerie pauvre et des intellectuels révolutionnaires». Benabdellah dit vouloir passer le témoin, mais une partie des camarades souhaitent qu’il poursuive sa mission au grand dam de certains membres du bureau politique, dont des ex-ministres. Le malaise est bien là et le récent rapprochement avec le Parti socialiste unifié (PSU) n’y changera rien. Les membres du parti ont été stupéfaits à l’annonce du verdict du tribunal administratif qui a annulé la décision d’exclure 11 militants du courant «Nous sommes toujours sur le chemin» qui avaient osé signer une pétition contre la direction du PPS. Ces derniers avaient pointé du doigt la procédure d’accréditation des candidats du parti pour les élections générales du 8 septembre 2021 et le « parachutage » de personnalités non affiliées au parti. Les camarades pourront-ils se réconcilier et désigner un nouveau leader ? Verdict dans deux semaines.
Branle-bas de combat du parti de l’épi également. Le « parti de l’amazigh et du monde rural » cherche un successeur à Mohand Laenser qui achève son neuvième mandat à la tête de cette formation politique. Le ténor politique a depuis plusieurs mois certifié qu’il ne comptait pas se représenter. Les 25 et 26 novembre prochains à Rabat, les 1.800 congressistes du parti de l’épi devront départager deux membres de la direction actuelle du MP à savoir les deux ex-ministres Mohamed Ouzzine et Mohamed Moubdii. Tous deux aspirent à succéder à Laenser alors que Mohamed Hassad, un autre ex-ministre favori, n’est plus dans la course. «Je n’exagèrerais nullement si j’affirme que les indicateurs confirment le fait que le Mouvement populaire (…) œuvre avec une détermination sans précédent à consolider la démocratie interne qui a été consacrée lors des travaux du précédent Congrès national en 2018, marqué par l’élection de toutes les instances nationales du parti via les urnes sans complexe d’infériorité», écrivait début octobre Saïd Ben Maânan, rapporteur général du Comité préparatoire du 14e Congrès national. À suivre…
Enfin, le PI clôturera la saison des congrès des partis politiques. Début 2023, le parti de la balance tiendra son 18? congrès après avoir tourné la page de divergences, notamment entre les militants proches du secrétaire général, Nizar Baraka, et ceux soutenant les Ould Errachid. Le chemin paraît donc balisé pour un second mandat de Baraka à la tête du parti nationaliste. C’est qu’on ne change pas une équipe qui gagne. Baraka a su faire oublier l’ère Chabat en réconciliant la base militante avec la direction du parti. De plus, les bons résultats du PI lors des élections générales de 2021 et sa participation à la coalition gouvernementale a conforté la position et les choix de Baraka. Ce dernier dirige le ministère de l’Equipement et de l’Eau et demeure sous les feux des projecteurs à cause de la sécheresse qui frappe le pays et la priorisation de la gestion de l’eau selon les dernières orientations royales.
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Les partis politiques marocains doivent rompre avec cette « culture » d’un zaïm inamovible qui se place au-dessus de ses frères, camarades ou compagnons. Pour renforcer la démocratie dans notre pays, la seule matrice valable est celle de la compétence, et non pas celle de la relation avec les instances dirigeantes.
Article 7 de la Constitution
Les partis politiques œuvrent à l’encadrement et à la formation politique des citoyennes et citoyens, à la promotion de leur participation à la vie nationale et à la gestion des affaires publiques. Ils concourent à l’expression de la volonté des électeurs et participent à l’exercice du pouvoir, sur la base du pluralisme et de l’alternance par les moyens démocratiques, dans le cadre des institutions constitutionnelles.
Leur constitution et l’exercice de leurs activités sont libres, dans le respect de la Constitution et de la loi. Il ne peut y avoir de parti unique.
Les partis politiques ne peuvent être fondés sur une base religieuse, linguistique, ethnique ou régionale, ou, d’une manière générale, sur toute base discriminatoire ou contraire aux Droits de l’Homme.
Ils ne peuvent avoir pour but de porter atteinte à la religion musulmane, au régime monarchique, aux principes constitutionnels, aux fondements démocratiques ou à l’unité nationale et l’intégrité territoriale du Royaume.
L’organisation et le fonctionnement des partis politiques doivent être conformes aux principes démocratiques.
Une loi organique détermine, dans le cadre des principes énoncés au présent article, les règles relatives notamment à la constitution et aux activités des partis politiques, aux critères d’octroi du soutien financier de l’État, ainsi qu’aux modalités de contrôle de leur financement.