Depuis que cette guerre a éclaté au Proche-Orient, la propagande est à l’œuvre. D’une part, comme de l’autre. Mais si nous, observateurs, certains plus avertis que d’autres, sommes pris dans la tourmente des affects, peu de réflexions sont faites de manière objective. Par exemple, pourquoi ce conflit a-t-il réellement vu le jour ? Deux Nations, deux noms, une même terre et le même combat. Retour sur les origines de ce différend territorial.

Depuis plus de deux mois, la guerre sévit dans la Palestine historique. Si l’offensive israélienne, commencée en représailles à l’attaque du Hamas le 7 octobre dernier, est justifiée par le prétendu «droit de l’État hébreu à se défendre», tout porte à croire que son objectif est d’étendre les «frontières» du territoire. En témoignent le déplacement des populations dans la bande de Gaza, l’expansion des colonies illégales et la destruction des habitations palestiniennes en Cisjordanie.

Pour bon nombre d’analystes, Israël chercherait à éloigner les Palestiniens de la Palestine historique. Certains Israéliens l’affichent clairement. «Si on peut se permettre de transférer des Juifs, pourquoi ne pas déplacer les Palestiniens ? Je pense qu’il y a suffisamment de place. De toute façon, il existe 127 pays arabes dans le monde [NDLR, ils sont 25 pays arabes dans le monde répertoriés par la langue]. S’il y a quelqu’un qui dérange, ce sont les arabes !», tranchait il y a des années déjà une Israélienne de Cisjordanie.

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Car si l’État d’Israël est né en 1948, la Palestine est pour les sionistes Eretz Yisrael, cette «Terre promise». Mitchell G. Bard, analyste américain de politique étrangère, éditeur et auteur spécialisé dans la politique entre les États-Unis et le Proche-Orient, soutient en ce sens que le peuple juif fonde sa revendication sur la terre d’Israël sur au moins quatre prémices :

  • Dieu a promis la terre au patriarche Abraham ;
  • le peuple juif s’est installé et a développé la terre ;
  • la communauté internationale a accordé la souveraineté politique en Palestine au peuple juif ;
  • le territoire a été capturé lors de guerres défensives.

Aujourd’hui, ma principale indignation concerne la Palestine, la bande de Gaza, la Cisjordanie. Ce conflit est la source même d’une indignation.

Stéphane Hessel, Indignez-vous !, Indigène Éditions, Montpellier, 2010.

Ces édits sont-ils donc assez légitimes ? Suivant ce fondement, les Palestiniens n’auraient donc aucun droit à habiter cette terre et la solution à deux États, restée lettre morte, n’aurait pas lieu d’être. Dès lors, après 18.600 morts du côté palestinien et 1.200 morts du côté israélien, comment aborder cette guerre d’un point de vue territorial, chacun revendiquant la même terre comme sienne ?

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Car si «ce conflit est, surtout, un affrontement idéologique qui mobilise, non seulement deux récits nationalistes opposés et exclusifs, mais également des disciplines aussi diverses que l’histoire, l’archéologie, la géographie, la cartographie ou encore l’écologie, qui furent mises au service de la construction de la mémoire et de l’identité collectives des deux peuples», comme l’écrit Christine Pirinoli, vice-rectrice Recherche et Innovation à la HES-SO, l’élément central reste la terre. Cette terre, qui pendant de nombreuses années, a été appelée Palestine.

Aux origines de la Terre

Le conflit n’a pas commencé le 7 octobre 2023, mais bien au siècle dernier. Pourtant, après 75 ans de résistance, d’aucuns n’acceptent la légitimité de la résistance palestinienne. Lesquelles personnes soutiennent que la Palestine n’existe pas. Ce serait donc un conflit qui oppose un État à une Nation. Qu’en est-il réellement ?

«Pour être franc, il n’y a ni Israël ni Palestine. Du moins pas dans un sens historique continu, comme il existe une France ou une Égypte, une Chine ou une Thaïlande ou une Éthiopie. Sans les Britanniques, il n’y aurait ni Israël ni Palestine modernes», tranche le journaliste spécialiste des affaires étrangères du New York Times, Jonathan Power.

«Les Juifs prétendent qu’ils reviennent simplement à leurs racines, remontant l’horloge à l’époque de l’Ancien Testament», poursuit-il. Mais si tous les groupes ethniques ayant un pedigree ancien faisaient cela, où en serions-nous ? Les Indiens pourraient reconquérir l’Amérique du Nord et du Sud, les musulmans l’Espagne, les Mongols la Russie et les Hottentots l’Afrique du Sud.

“Palestina”

En 135 de notre ère, après avoir éradiqué la province de Judée lors de la deuxième insurrection, les Romains ont rebaptisé la province Syria Palaestina, c’est-à-dire « Syrie palestinienne ». Ils l’ont fait avec ressentiment, en guise de punition, pour effacer le lien entre les Juifs (en hébreu, Y’hudim et en latin Judaei) et la province (dont le nom hébreu était Y’hudah).

« Palaestina » faisait référence aux Philistins, dont la base était sur la côte méditerranéenne. Il est largement admis que le terme Palestine fait référence uniquement à la terre située entre le Jourdain et la mer Méditerranée. «From the river to the sea, all of Palestine will be free» (traduisez, «De la rivière jusqu’à la mer, toute la Palestine sera libre») est d’ailleurs l’expression qui circule parmi les anglophones affichant leur solidarité avec la Palestine depuis au moins les années 1990. Aujourd’hui dans le contexte de la guerre menée par Israël contre Gaza, les critiques qualifient son utilisation d’antisémite.

Palestine, cette terre promise deux fois

La Palestine et le Jourdain, tiré de la Notitia Dignitatum (l’un des rares documents survivants de l’Empire romain, supposé être exact pour l’Empire romain dans les années 420 de notre ère.)

D’innombrables livres et cartes indiquent qu’Israël, en conquérant la Cisjordanie et Gaza lors de la guerre des Six Jours en 1967, a pris le contrôle de « toute la Palestine ». Mais ce n’est pas exact. Le terme « Palestine » a été utilisé pendant des millénaires sans définition géographique précise. Ce n’est pas rare – pensez à la « Transcaucasie » ou au « Midwest ». Aucune définition précise n’existait pour la Palestine car aucune n’était nécessaire. Depuis l’époque romaine, le nom manquait de signification politique. Aucune nation n’a jamais porté ce nom.

Dans le cadre de la conquête islamique du Moyen-Orient au VIIe siècle, les peuples arabes ont commencé à s’installer en nombre important dans ce pays. Hormis une période relativement brève de contrôle croisé, la Palestine est restée sous contrôle musulman pendant un peu moins de 12 siècles, sa population étant majoritairement arabe.

En 1834, il y a eu ce qui est appellé la « Révolte des Paysans ». Certains chercheurs la considèrent comme l’événement formateur du peuple palestinien. De son côté, Rashid Khalidi, un éminent historien palestinien, affirme que la nationalité / identité palestinienne n’a jamais été exclusive, affirmant que l’arabisme, l’islam et les loyautés locales jouent tous un rôle essentiel.

D’autres historiens soutiennent que le nationalisme palestinien n’est apparu qu’en réaction au sionisme pendant la période de Palestine mandataire (sous contrôle britannique). Mais pour Khalidi, «bien que le défi sioniste ait certainement contribué à façonner la forme spécifique que l’identification nationale palestinienne a prise, c’est une grave erreur de suggérer que l’identité palestinienne a émergé principalement comme une réponse au sionisme.»

«Les sionistes veulent mettre la main sur la Palestine, cœur des contrées arabes et maillon central entre la péninsule arabique et l’Afrique. Ils entendent briser ce maillon et diviser la nation arabe afin d’empêcher son unité et sa cohésion. Il faut que le peuple palestinien soit lucide sur leurs intentions et qu’il n’oublie pas qu’il possède une terre et une langue. Si vous voulez mettre un peuple à mort, coupez-lui la langue, saisissez ses terres — c’est précisément ce que veulent faire les sionistes avec nous.»

Khalil Sakakini, (1878-1953), figure emblématique de la communauté chrétienne de Palestine et considéré comme l’un des pères du nationalisme arabe. Le mouvement sioniste, Al-Iqdam, Le Caire, 23 février 1914.

Ce sont les Britanniques qui ont créé une entité formelle appelée Palestine, avec des frontières délimitées, et ont fait d’Al Qods sa capitale.

Le 13 décembre 1988, Yasser Arafat s’adresse à l’Assemblée Générale de l’ONU à Genève et réitère la déclaration d’indépendance de l’État de Palestine avec Jérusalem pour capitale. Il réaffirme le droit au retour des réfugiés palestiniens et leur droit à l’autodétermination. Deux jours plus tard, la proclamation est reconnue aux Nations unies avec 104 votes pour, 36 abstentions et 2 contre (les États-Unis et Israël).

Aujourd’hui, il existe bien une Palestine, un État reconnu par 138 pays, dont les frontières sont de fait depuis 1994 (avec les accords d’Oslo) celles des Zones A et B de la Cisjordanie, gouvernées par l’Autorité palestinienne, et celles de la bande de Gaza, sous contrôle du Hamas depuis 2007.

Palestine, cette terre promise deux fois

Voix de faits. La Palestine en cartes, citations, faits et chiffres. © Le Monde Diplomatique

Les Juifs, eux, ont quitté il y a longtemps ce qui était relativement récemment appelé Palestine. L’exil juif est généralement daté de la destruction romaine du deuxième Temple, en 70 de notre ère. Après l’insurrection juive, les Romains détruisirent le Temple de Jérusalem et les Juifs entamèrent un nouvel exode vers la Babylonie, dans l’Irak d’aujourd’hui. Cette colonie juive à grande échelle de Babylonie dura jusqu’au XIe siècle.

D’autres Juifs sont allés en Égypte, les Romains ont fait de nombreux esclaves et d’autres ont été dispersés par la guerre et la catastrophe en Italie, en Espagne, en Gaule et en Europe de l’Est. Le judaïsme s’est également répandu par le prosélytisme. À la fin du Moyen Âge, le cœur de la colonisation juive était l’État polono-lituanien de la Russie actuelle.

Depuis l’exil, les Juifs aspirent à retourner à la terre «promise» que Dieu a donnée à Abraham et à ses descendants dans la Genèse 15 : 18 et Genèse 17 : 8, et où les temples juifs marquaient le centre de la vie religieuse et politique juive.

La Terre promise, trois fois

En 1914 éclata «la Grande Guerre». Les Turcs ottomans se sont alignés sur les Allemands et les Austro-Hongrois. Ces «puissances centrales» se sont battues contre les «puissances alliées», composées des Britanniques, des Français, des Italiens, des Russes et finalement des Américains. Et, pour contribuer à gagner la guerre, les Britanniques ont fait de nombreuses promesses à de nombreux groupes.

Du point de vue arabe, les Britanniques leur ont promis la Palestine en 1915-1916, dans la correspondance Hussein-McMahon – un échange de lettres entre un responsable britannique et le chérif Hussein de La Mecque. Du point de vue juif, les Britanniques leur avaient promis la Palestine dans la Déclaration Balfour de 1917.

Le ministre britannique des Affaires étrangères de l’époque, Arthur Balfour, fortement soutenu par le premier ministre David Lloyd George, un homme religieux qui considérait la cause sioniste comme une cause devant être soutenue par la charité chrétienne, a déclaré que le gouvernement britannique «considère avec faveur» l’aspiration à un «foyer national» juif.

Et, les Français avaient également des droits sur cette Palestine grâce à l’accord Sykes-Picot de 1916, c’est pourquoi cette terre est parfois appelé «la terre trois fois promise».

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Ce n’est donc qu’à la fin du XIXe siècle, qu’après la chute de l’Empire ottoman, que les Juifs se sont réinstallés en Palestine. Le désir des Juifs de retourner sur leur terre ancestrale s’est, lui, concrétisé sous la forme du mouvement nationaliste juif sioniste. Le sionisme est né en réponse à la haine virulente croissante des Juifs en Europe et en Russie tsariste.

L’assassinat du tsar Alexandre II, en 1881, marque le début de la première vague d’immigration juive ou Première Aliyah. Des Juifs venus de Russie, de Roumanie, et du Yémen, viennent s’installer en Palestine. Ce sera d’abord le baron Edmond de Rothschild qui favorisera l’implantation de colonies juives, en achetant des lopins de terre en Palestine et en finançant le premier établissement sioniste à Rishon LeZion (Le Premier à Sion).

Dirigeants de l’association Menuha et Nahala (he) à Varsovie qui ont acheté des terres en Palestine pour la fondation de Rehovot. De droite à gauche : Matityahu Cohen, Eliahu-Zeev Levin-Epstein, Zeev Gluskin et Eliezer Kaplan, 1890-189236.

La Terre colonisée

Lord Shaftesbury a qualifié la terre de «pays sans peuple pour un peuple sans terre». Mais alors que les Juifs commençaient à revenir dans le pays, ils rencontrèrent une importante population arabe présente depuis des siècles.

Le sionisme, largement emmené par les idées de Theodor Herzl, demeure aujourd’hui une philosophie qui considère Israël comme une patrie pour tous les Juifs, une patrie qui s’est avérée nécessaire dans l’accueil des survivants de l’Holocauste, des Juifs qui ont fui les persécutions en Union soviétique, des Juifs expulsés des pays arabes et des Juifs éthiopiens.

En février 1921, Winston Churchill devient secrétaire d’État aux colonies et la responsabilité du Proche-Orient lui est transférée. Churchill a rapidement conçu un ensemble de politiques d’une importance capitale et d’un effet durable. Et, pourrait-on affirmer, le partage de la Palestine entre Arabes et Juifs a, pour la première fois, été acté.

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La Palestine vivait jusqu’en 1926 dans un calme relatif, mais la communauté juive – le yichouv – traverse depuis une crise profonde. Le tarissement de l’immigration juive permet même à certains de parler de «banqueroute du projet sioniste». Cette année-là, la commémoration par les juifs sionistes de la destruction du Temple par les Romains se radicalise et est ressentie comme une provocation par la communauté musulmane. De nombreux incidents ont lieu près du mur des Lamentations. Des rumeurs commencent à circuler, au sujet d’un complot juif, dont le but de s’emparer de l’esplanade des Mosquées.

Lors du deuxième recensement britannique, (1931) la Palestine comptera 175.000 Juifs et 880.000 Arabes (contre 84.000 Juifs et 760.000 Arabes lors du premier recensement en 1922) alors même que la publication du second livre blanc britannique prévoyait de limiter pour la première fois l’immigration des Juifs en Palestine. Le troisième, paru en 1939, prévoyait, lui, qu’«au terme de la période de cinq ans, aucune immigration juive ne sera plus autorisée, à moins que les Arabes de Palestine ne soient disposés à y consentir».

«Le gouvernement de Sa Majesté déclare aujourd’hui sans équivoque qu’il n’est nullement dans ses intentions de transformer la Palestine en un État juif. [il a le] désir […] de voir s’établir finalement un État de Palestine indépendant»

Extrait du troisième livre blanc sur la Palestine de Malcom John MacDonald (1939)

Ce projet officiel semble entraîner la fin des espoirs sionistes, et provoque une nette dégradation des relations entre l’Agence juive (l’exécutif sioniste en Palestine), et le gouvernement britannique.

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