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LeBrief : Qu’est-ce qui motive cet appel au débrayage des pharmaciens au Maroc ?
Oualid Amri : Notre profession traverse une crise économique et une crise fonctionnelle depuis une dizaine d’années déjà… Aujourd’hui, quand on dit que la pharmacie est en crise, ce ne sont pas des paroles en l’air. Avec l’inflation enregistrée, que ce soit pour les produits pétroliers, les légumes et tous les autres produits essentiels, tout est devenu cher, mais depuis 2013, les prix des médicaments ont subi une baisse qui fait que les pharmaciens par rapport au niveau de vie se sont appauvris en tant que classe moyenne durant cette période. On a toujours crié, on a toujours interpellé le ministère de tutelle par rapport à ça avec un cahier revendicatif sur lequel on a échangé avec l’ex-ministre de la Santé, Lhoucine Louardi, puis pendant le mandat de l’ex-ministre Anas Doukkali. Mais depuis l’arrivée de Khalid Aït Taleb, c’est le blackout, personne ne nous écoute. Quand on parle d’un peu plus de 3.000 pharmaciens en énorme difficulté économique et qui devraient être en faillite, mais qui continuent à batailler parce qu’ils ne peuvent pas vendre leur officine puisqu’ils doivent d’abord payer leur dette. Il y a aussi les 38% à payer au fisc pour la vente, ce qui alourdit les charges. Même si le pharmacien vend son officine, il ne pourra jamais payer la totalité des dettes. D’autre part, il y a les arriérés à payer aux grossistes. Il y a des pharmaciens qui sont sérieux et qui essaient de payer leurs dettes à travers leur famille, sachant que même en fermant, ils seraient toujours endettés. On a toujours demandé à ce que l’on soit accompagné, qu’il y ait des mesures fiscales pour soutenir le secteur aussi bien pour les professionnels qui veulent partir à la retraite. Pendant longtemps, comme la majorité des Marocains, nous n’avions ni couverture ni retraite. Les pharmaciens qui atteignent l’âge de la retraite et qui veulent partir, sont obligés de s’acquitter de 38% auprès du fisc. Avec toutes les charges qu’ils ont, ça ne sert à rien de vendre la pharmacie. On peut aussi parler d’une tangente de 4.000 autres pharmacies qui basculent entre endettement et stabilité. En général, c’est une profession qui a été très mal accompagnée…
LeBrief : Économiquement parlant, quel est le business model d’une officine au Maroc ?
Oualid Amri : Le pharmacien marocain vit de sa marge alors que sous d’autres cieux, que ce soit en Europe ou en Turquie, les caisses de sécurité rémunèrent le pharmacien sur l’acte pharmaceutique, sur le suivi du patient, sur la vaccination… En somme, le pharmacien a d’autres sources de revenu autres que la vente de médicaments. Aujourd’hui, 92% des ventes se font sur des médicaments coutant entre 0 et 300 DH. C’est la catégorie de médicaments qui ont subi d’énormes baisses ces dernières années. Quand on fait un benchmarking avec certains pays qui n’ont pas la même dimension aussi bien en termes de consommation du médicament que par rapport à la taille de l’officine avec la consommation pour chaque habitant par an. Il faut savoir que le Marocain consomme depuis une dizaine d’années une moyenne de 400 à 450 DH de médicaments par an. En matière de pouvoir d’achat du citoyen, ce n’est pas le médicament qui est cher puisque depuis quelques années, on a baissé drastiquement les prix des médicaments. Ceci étant, on baisse le prix de médicaments qui ne sont pas vraiment très chers. Aujourd’hui, quel que soit le prix du médicament, le Marocain demeure pauvre devant la maladie. Tout dépend de la nature, de la dimension et de l’état de cette maladie. Quand on parle de parcours de soins, le malade va voir le médecin, il va au laboratoire ou centre de radiologie pour arriver enfin chez le pharmacien. Aujourd’hui, on est heureux que l’assurance maladie soit démocratisée grâce au chantier de royal de la généralisation de la protection sociale. Sauf que le malade doit tout débourser avant d’être remboursé parce qu’il n’applique pas encore le tiers payant. On est prêt à accompagner ce chantier avec tous les acteurs concernés, mais il n’y a aucune négociation avec la tutelle depuis l’arrivée de Khalid Aït Taleb.
LeBrief : Le ministre évoque un problème de représentativité du secteur. Quelle est votre réponse par rapport à ça ?
Oualid Amri : Cela fait quatre ans que les conseils de l’ordre n’ont pas fait d’élection. Mais ce problème, la profession l’a soulevé à plusieurs reprises à travers des courriers adressés au ministère. Personne n’a réagi. Le ministre dit qu’il ne peut pas discuter avec les pharmaciens alors qu’ils n’ont pas de représentativité. Alors pourquoi n’a-t-il pas réagi pour régler ce problème ? Aussi, tout ce qui est matériel et touche économiquement les pharmaciens, c’est du ressort des syndicats qui vont négocier avec le ministère. Ce n’est pas le rôle du Conseil de l’ordre qui est là pour l’éthique, pour statuer sur des questions déontologiques, pour sanctionner, etc. L’interlocuteur pour les négociations avec la profession, ce sont la fédération, la confédération, l’intersyndicale. Toutes ces instances doivent discuter avec le ministère. Certaines sorties médiatiques induisent en erreur l’opinion publique. Si on en est arrivé là, c’est qu’il n’y a aucune écoute. Aujourd’hui, les pharmaciens en ont marre et ils vont déclencher une série de grèves pour se mettre autour de la table et discuter sérieusement des conditions du pharmacien qui, rappelons-le, selon des études de l’OMS sur le parcours de soins au Maroc, est le professionnel qui bénéficie de la confiance du patient grâce à sa proximité. Le pharmacien oriente, conseille et accompagne le malade. Il faudrait qu’on élargisse nos missions pour être plus actifs aux côtés des personnes atteintes de maladies chroniques, etc.
LeBrief : Vous critiquez le rapport de la Cour des comptes sur les marges des officines. Quels sont vos arguments ?
Oualid Amri : On critique l’approche. On a beaucoup de respect pour la personne qui est à la tête de la Cour des comptes. C’est une femme dynamique et patriote. Par contre, ceux qui lui ont remis le rapport ont tout faux. On a jeté les pharmaciens en pâture à l’opinion publique et à la presse en disant que le pharmacien gagne 57% de marge. Chose qui est fausse. 57% c’est par rapport au prix fabricant hors taxes, c’est-à-dire sortie d’usine. Il y a donc les taxes à payer après puis le distributeur avant d’arriver au pharmacien. La réalité des marges est la suivante : entre 0 et 300 DH c’est une marge de 33,95% et à peu près 27 % entre 300 et 900 DH. Entre 1.000 et 3.000 DH, c’est un forfait de 300 DH qui est appliqué pour ne pas coûter cher ni à l’État ni au citoyen. Et enfin de 4.000 à 100.000 DH c’est 400 DH. Vous consenterez à ce que ça reste plus que raisonnable…
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