Nouveau Code pénal : un projet controversé
Demandez à n’importe quel Marocain les secteurs qui nécessitent une réforme urgente pour un Maroc meilleur, il vous répondra : l’éducation, la santé et la justice. Il n’y a pas pire qu’un système judiciaire opaque et injuste pour qu’un citoyen ou un investisseur fuit le pays. L’État de droit ne doit pas rester une épitaphe qu’on sort quand on est adepte de la langue de bois et qu’on veut noyer le poisson. Il faut qu’on arrive à avoir un système institutionnel dans lequel la puissance publique est soumise au droit.
Ces dernières années, une réforme a permis de réorganiser le secteur de la justice avec notamment l’instauration en 2017 de l’indépendance du Ministère public. Le chaînon manquant à cette réforme est celui de la révision du Code pénal, l’un des plus anciens textes encadrant le système de justice pénale du Royaume, promulgué le 26 novembre 1962 et entré en vigueur le 17 juin 1963. Les amendements opérés au fil des années étaient de simples toilettages imposés par l’évolution de la société marocaine.
Aujourd’hui, il est question d’une révision générale du Code pénal, un dossier que les différents ministres qui se sont succédé à la tête du département de la Justice ont traité avec beaucoup d’appréhension. Avant le départ du gouvernement El Otmani, l’ex-ministre Mohamed Benabdelkader a franchi le pas en introduisant le projet de loi révisant le Code pénal dans le circuit parlementaire. Cependant, son successeur Abdellatif Ouahbi l’a retiré pour réexamen en vue d’une refonte plus globale.
Code pénal : tout le monde est concerné
Trois gouvernements ont tenté en vain d’amender le Code pénal. Les anciens ministres de la Justice, El Mostafa Ramid (PJD), Mohamed Aujjar (RNI) et Mohamed Benabdelkader (USFP) n’ont pas réussi à obtenir un consensus autour du projet malgré de larges consultations avec les avocats et les représentants des associations. L’actuel ministre de la Justice, Abdellatif Ouahbi (PAM), ne veut pas rater le coche sur ce dossier précisément.
Son parti avait, par le passé, soutenu que la nouvelle configuration de la société marocaine doit motiver de nouvelles dispositions comme l’abolition de la peine de mort ou la dépénalisation des relations sexuelles hors mariage. Mais une fois au pouvoir, le secrétaire général du parti du tracteur sait qu’il ne peut heurter certaines sensibilités, surtout que le Code pénal s’applique à tout le monde, que ce soit le citoyen lambda ou une haute personnalité politique ou publique. On parle ici d’un système qui touche aussi bien la sphère civile que militaire, les libertés individuelles et même les personnes morales. C’est dire que tout changement implique une grande modération avec l’examen minutieux de tous les effets qui en découlent.
La prudence est donc de mise et Ouahbi ne veut pas être taxé de ministre sélectif dans le processus de réforme. Certaines voix se sont élevées pour dire que des articles pénalisant l’enrichissement illicite ont été zappés dans la nouvelle mouture préparée par la tutelle. Ouahbi s’en était défendu assurant que l’enrichissement illicite figurera bien dans le nouveau texte avec des garanties qui protègent les personnes et leurs libertés. Quoi qu’il en soit, quand le texte sera introduit dans le circuit législatif, un grand travail de communication devra être réalisé pour tout expliquer et avec la pédagogie nécessaire pour faire adhérer la majorité des Marocains et éviter un nouveau rejet avec un hashtag viral.
Une relecture et des divergences
La commission technique mise en place par le ministère de la Justice pour relire la mouture du projet de loi amendant le Code pénal a du mal à rendre sa copie. Des divergences de points de vue entre les membres de cette commission entravent la bonne marche du travail, nécessitant plusieurs allers-retours pour réécrire certains articles du pré-projet de loi.
Les tiraillements entre les progressistes qui veulent un nouveau code en phase avec le Maroc de 2023 et les conservateurs qui s’appuient sur les constantes de la nation marocaine portent sur plusieurs sujets.
Les articles interdisant de vendre ou de servir de l’alcool à un citoyen musulman ainsi que les peines et amendes qui en découlent devraient être supprimés. Ouahbi veut en finir avec ce qu’il qualifie d’hypocrisie sociale au vu des statistiques de consommation de boissons alcoolisées et aux recettes générées pour l’État. Ce que rejettent les oulémas, pour qui l’alcool est une cause directe de meurtres, de viols, d’accidents de la circulation…
La dépénalisation des relations sexuelles consenties hors mariage est aussi un sujet qui divise profondément. On se rappelle du fameux article 490 de l’actuel Code pénal, dénoncé précédemment par le mouvement ‘‘hors-la-loi’’ qui avait lancé une campagne et une pétition sur les réseaux sociaux pour abolir cet article. Arguant que cette législation repose sur un système de valeurs traditionnels, le courant réformateur soutient que tout individu est libre de son corps alors que le courant conservateur estime que la légalisation des relations consensuelles serait une normalisation de l’immoralité et de sa propagation.
La société civile s’en mèle
Du côté de la société civile, le Mouvement Damir s’est récemment exprimé sur la révision du Code pénal. Le bureau exécutif de Damir considère que la révision du Code pénal marocain et sa refonte totale sont devenues une nécessité absolue et urgente en raison de sa non-conformité avec la réalité marocaine et avec les déclarations d’engagements de l’État dans le domaine des libertés. «À cet égard, le Mouvement Damir dénonce la persistance des restrictions exercées par les autorités sur les libertés individuelles qui relèvent de choix de vie privée des personnes, parmi lesquelles figurent l’arrestation et le jugement de jeunes du fait de leurs opinions sur les religions, la détention d’autres personnes en raison de relations sexuelles consenties hors mariage ou la persécution de blogueurs à cause de leurs opinions politiques», écrit Damir. Sans détour, le mouvement appelle à l’abrogation de tous les articles du Code pénal qui criminalisent les libertés individuelles, notamment les articles 220, 222, 489 et 490.
Seul sujet qui semble faire l’unanimité, celui des enfants nés hors mariage. Le draft du projet de loi prévoit que les parents biologiques soient tenus d’assumer leur responsabilité civile envers leur progéniture au lieu de l’abandonner de le placer sous la tutelle de l’État. Les parents doivent s’occuper de leur enfant jusqu’à ce qu’il atteigne l’âge de 21 ans même s’ils ne vivent pas sous le même toit. Si le père a la garde de l’enfant, la mère sera tenue de verser une indemnité et vice-versa.
Le projet de réforme du Code de la procédure pénale
Le Code de la procédure pénale est aussi en cours d’amendement à travers un projet de loi spécifique. Il s’agit là d’un code qui touche aux libertés des citoyens, à leurs droits et à leur honneur puisqu’il fixe les procédures applicables en cas d’inculpation partant du principe que tout accusé est innocent jusqu’à preuve du contraire.
La procédure pénale fixe les conditions dans lesquelles les infractions sont sanctionnées. Elle doit tenir compte de la double nécessité d’assurer l’efficacité de la répression et de garantir les libertés des citoyens. Partant de là une approche moderne a été adoptée dans l’élaboration du nouveau Code de la procédure pénale. Le texte en gestation fait de la réconciliation entre la victime et l’auteur des délits une raison légale permettant de mettre fin aux effets du crime, en imposant à l’auteur des engagements. Ce dernier peut être amené à payer des amendes réparatrices, sans avoir à déclencher des poursuites judiciaires, qui risquent de surcharger les tribunaux.
Autre nouveauté, une poursuite n’est entamée, pour certains délits considérés comme des crimes formels, que si une plainte de la victime est déposée. Aussi, une renonciation de la victime au cours du procès entraîne la déchéance de l’action publique, tandis que la renonciation qui intervient après le verdict met fin à l’exécution de la peine prononcée. Par ailleurs, le projet de loi apporte plusieurs nouvelles dispositions augmentant le nombre de crimes auxquels la justice réparatrice peut être appliquée. Si ce projet de loi est adopté par le Parlement, il concernera des affaires dont les peines peuvent aller jusqu’à cinq ans d’emprisonnement, au lieu de deux années dans l’actuel texte.
Peines alternatives, l’autre cheval de bataille
Au chapitre des dispositions inexistantes actuellement, on retrouve un ensemble de peines alternatives qui incluent le bracelet électronique, le travail d’intérêt public et le travail dans les institutions publiques et les collectivités territoriales. Ouahbi veut aller plus loin dans les peines alternatives en préparant un texte indépendant du Code pénal et du Code de la procédure pénale. Ce projet composé de 38 articles comporte des nouveautés de taille telles que la possibilité de payer une somme d’argent pour éviter d’aller en prison pour une peine inférieure à deux ans et l’interdiction d’incarcérer un enfant de moins de 15 ans.
Si Abdellatif Ouahbi cherche un consensus sur les articles du projet de loi refondant le Code pénal, il n’est pas sorti de l’auberge. Si les ‘‘droit-de-l’hommistes‘’ approuvent les nouvelles dispositions, surtout celles relatives aux nouveaux crimes et à l’allégement des sanctions relatives aux libertés individuelles, le courant conservateur ne lâchera rien. Même si jurisprudence il y a, le Conseil supérieur des oulémas (CSO) ne donnera jamais son aval à un texte en contradiction avec la charia islamique et avec l’esprit de la Constitution qui consacre l’Islam comme étant la religion de l’État marocain.