Mères célibataires et mères divorcées : un vrai calvaire !
La société marocaine est à un carrefour : entre le traditionnel couplet de l’enfant vivant dans une famille unie en apparence et désunie dans le foyer, et entre la quête de bien-être de ce petit citoyen qui doit, malgré tout, réussir à trouver sa place dans une rixe tumultueuse. La rixe dont nous parlons-là, peut être celle de parents qui se déchirent, ou d’une mère célibataire qui cherche à faire valoir les droits de son enfant. À l’heure où les débats sur les droits humains s’intensifient, il est urgent de questionner nos lois et nos consciences pour sauvegarder le moral et la santé des enfants, en priorité.
Commençons par les mères divorcées
Elles ont fait ce que la société attendait d’elles, à savoir se marier et faire des enfants. Malheureusement, cela ne marche pas toujours comme prévu. Le premier amour n’est pas forcément le dernier, les personnalités n’évoluent pas de la même façon et les aspirations changent. Advient alors le divorce et la question de la garde de l’enfant.
La loi est très claire : si le père est présent, il est automatiquement le tuteur légal.Maitre Najia Taktak, avocate militante pour les droits de la femme
Si avant elle était automatiquement donnée à la mère, même à ce niveau les choses évoluent. Dans la société marocaine, la notion de tutelle légale est strictement encadrée par le Code de la famille. Comme l’explique Maître Najia Taktak, avocate au barreau de Casablanca, la mère célibataire détient la tutelle légale de son enfant, un droit qui lui permet de prendre des décisions pour son enfant, comme son inscription à l’école ou la gestion de ses biens. En l’absence de père, elle détient à la fois la tutelle et la garde de l’enfant. « Ce sont des droits auxquels une mère divorcée n’a pas accès. La loi est très claire : si le père est présent, il est automatiquement le tuteur légal. Il conserve cette responsabilité, mais s’il est absent ou souffre d’une incapacité quelconque, la mère le remplace. Tant que le père est là, la mère n’est que gardienne. Tandis que dans le cas d’une mère célibataire, elle détient la tutelle légale de ses enfants, ainsi que la garde », affirme Maître Taktak à Le Brief.
Cela pose un véritable problème d’autonomie pour ces femmes, qui, bien que responsables au quotidien des enfants, ne détiennent pas les droits nécessaires pour prendre des décisions administratives importantes. Cela peut toutefois se négocier à l’amiable lors du divorce : « le père ne peut pas transférer la tutelle. C’est un droit qui ne se donne pas. Toutefois, il peut lui accorder une procuration pour effectuer les démarches administratives au nom des enfants ».
Une autre problématique pour les mères divorcées concerne la perte de la garde de leurs enfants en cas de remariage. Historiquement, la Moudawana stipulait qu’une mère remariée perdait automatiquement la garde de ses enfants, une règle qui a été légèrement assouplie avec la réforme de 2004. Désormais, le remariage de la mère ne conduit pas systématiquement à la perte de la garde.
Lire aussi : Passeports des mineurs : plus besoin de l’accord du père… à l’étranger
Cependant, comme le souligne Maître Taktak, cette avancée n’a pas réellement produit les effets escomptés dans la pratique. La nouvelle formulation est différente, et l’on aurait pu espérer que cela inciterait les juges à créer une jurisprudence plus favorable. Malheureusement, cela n’a pas été le cas. Dans la majorité des cas, le père finit par obtenir la garde. «Sous l’ancienne loi, le père reprenait ses enfants sans aucun jugement dès que la mère se remariait. Dans ce cas, la garde passait à la grand-mère maternelle, permettant à l’enfant de rester dans la famille maternelle. Aujourd’hui, avec la Moudawana de 2004, les choses ont changé. Le père peut demander la déchéance de la garde, et cette fois-ci, il récupère la garde lui-même, éloignant ainsi l’enfant du giron familial maternel », détaille l’avocate.
Jusqu’à l’âge de 7 ans, le père ne peut pas demander la déchéance de la garde. Au-delà de cet âge, il peut le faire, mais cela ne doit pas entraîner un préjudice pour l’enfant. Un exemple notable est un arrêt de la cour d’appel de Fès. Le père, qui n’avait jamais exercé son droit de visite pendant des années après le divorce, a demandé la garde de l’enfant lorsque la mère s’est remariée. Le tribunal a refusé, estimant que cela causerait un préjudice à l’enfant, qui n’avait jamais vécu avec son père.
Mais ce type de cas est rare. Le remariage de la mère peut donc entraîner une perte dévastatrice pour elle et ses enfants. Le père a un délai d’un an après le remariage pour demander la garde. S’il reste silencieux, au-delà de ce délai, il ne peut plus le faire. D’un point de vue sociétal, cela peut dissuader les femmes divorcées de reconstruire leur vie, par crainte de perdre la garde de leurs enfants. Un avancement est, toutefois, à noter dans la nouvelle Moudawana, celui du lieu de résidence. La mère ne perd plus la garde si elle déménage à l’intérieur du territoire marocain, sauf si le tribunal estime que cela nuit à l’intérêt de l’enfant.
En cas de déménagement dans une autre ville, le père peut demander une modification de son droit de visite si cela devient difficile pour lui. Le tribunal tentera alors de trouver un arrangement. Cependant, le manque de médiation familiale aggrave souvent ces situations, contrairement à des pays comme la France, où la médiation est obligatoire en cas de divorce contentieux. Par contre, si la mère quitte le pays, elle perd automatiquement la garde. « Il est également essentiel de rectifier certaines croyances : la religion de la mère n’a jamais été un motif pour lui retirer la garde, même sous l’ancienne Moudawana. Aujourd’hui, la loi ne fait même plus mention de la religion de la mère », nous déclare la spécialiste.
Absence ou décès du père
Si le père n’est plus présent, la mère devient le tuteur légal. Il est important de préciser qu’aujourd’hui, en l’absence du père, la mère devient le tuteur légal avec les mêmes droits que le père. Dans l’ancienne Moudawana, le père était le tuteur légal et la mère était un tuteur désigné par le juge (tuteur datif).
Elle était nommée par le juge et agissait sous sa supervision. Aujourd’hui, lorsqu’elle devient tuteur, elle a exactement les mêmes droits que le père. Ainsi, si le père décède, par exemple, elle devient automatiquement le tuteur légal de ses enfants.
Mères célibataires et filiation des enfants
La situation des mères célibataires au Maroc est encore plus complexe, d’un point de vue sociétal. Selon l’article 148 de la Moudawana (qu’il faut rapprocher de l’article 146), la filiation illégitime n’a aucun effet par rapport au père. Cela signifie que l’enfant né hors mariage ne peut ni porter le nom de son père, ni hériter de lui, ni bénéficier de ses droits. Cette disposition crée une inégalité criante entre les enfants nés dans le cadre du mariage et ceux nés en dehors, une inégalité qui se répercute sur toute leur vie sociale.
« Article 152
La filiation paternelle découle :
1- des rapports conjugaux (Al Firach) ;
2- de l’aveu du père (Iqrar) ;
3- des rapports sexuels par erreur (Choubha).
Article 153
Les rapports conjugaux sont prouvés par les mêmes moyens que le mariage.
Les rapports conjugaux, assortis de leurs conditions, constituent une preuve irréfutable établissant la filiation paternelle. Ils ne peuvent être contestés que par le mari, suivant la procédure du serment d’anathème (Liâane) ou par le moyen d’une expertise formelle, et ce à condition :
– que l’époux concerné produise des preuves probantes à l’appui de ses allégations ; et
– que ladite expertise soit ordonnée par le tribunal.
Article 154
La filiation paternelle de l’enfant est établie par les rapportsconjugaux (Al Firach) :
1) si cet enfant est né au moins dans les six mois qui suivent la date de conclusion du mariage et à condition que la possibilité de rapports conjugaux entre les époux soit plausible, que l’acte de mariage soit valide ou vicié ;
2) si l’enfant est né durant l’année qui suit la date de la séparation. »[/dt_highlight]
Pourtant, la loi offre certaines marges de manœuvre pour reconnaître la paternité dans des cas particuliers, comme le mentionne Maître Najia Taktak « Le tribunal a élargi le champ de la légitimité. En effet, dans l’ancien code de la famille, un enfant était considéré comme légitime s’il naissait au moins six mois après la célébration du mariage et au plus tard un an après la rupture du mariage. Ces délais sont conformes au rite malékite, mais ils ont été légèrement élargis. Aujourd’hui, le père peut reconnaître la paternité d’un enfant, ce qui lui confère une légitimité. La filiation paternelle peut donc résulter des rapports conjugaux, de la reconnaissance du père ou de relations sexuelles par erreur ». Concrètement, un père peut, par exemple, reconnaître un enfant né de fiançailles, ou dans des situations où un mariage formel n’a pas encore pu être célébré pour des raisons impérieuses.
« Article 157
Lorsque la filiation paternelle est établie, même à la suite d’un mariage vicié, de rapports sexuels par erreur, ou d’une reconnaissance de paternité (Istilhak), elle produit tous ses effets. Elle interdit les mariages prohibés pour cause d’alliance ou d’allaitement et donne droit à la pension alimentaire due aux proches ainsi qu’à l’héritage. »
La notion de relations sexuelles par erreur (Choubha) est parfois difficile à comprendre, mais un exemple courant est celui de la parenté par le lait, où deux enfants sont allaités par la même femme un certain nombre de fois, ce qui crée un lien de parenté considéré comme aussi fort que celui du sang. Si plus tard, ils se marient et ont un enfant sans connaître leur parenté par le lait, le mariage peut être considéré comme nul et l’on parle là de rapports sexuels, pour ne donner que cet exemple.
Lire aussi : La maternité célibataire au Maroc, entre exclusion et injustice
En outre, un couple peut se fiancer, avoir des relations et un enfant sans qu’ils aient pu formaliser leur mariage pour des raisons impérieuses. La grossesse est alors imputée au fiancé, ce qui confère à l’enfant une légitimité sous certaines conditions reconnues par la justice.
Lire aussi : Réforme de la Moudawana : à quoi faut-il s’attendre ?
Néanmoins, pour les mères célibataires, surtout pour celles ayant eu un enfant avant 2004, la filiation illégitime reste une source d’exclusion. Le poids du stigmate social est immense, et ces femmes doivent souvent faire face à une expulsion sévère de la part de leur communauté. En tant que tutrices légales de leurs enfants, elles portent seules le fardeau économique et social de l’éducation de leurs enfants. Ces femmes doivent jongler entre leur rôle de mère, de pourvoyeuse et d’autorité légale, dans un environnement où le soutien de la famille est souvent limité, voire inexistant. Ne noircissons pas le tableau, et rappelons que, contrairement aux mères divorcées, les mères célibataires peuvent régler les affaires administratives de leur enfant, lui ouvrir un compte bancaire et même se marier sans craindre la perte de la garde de leur enfant.
La médiation familiale
Un des aspects les plus négligés dans les cas de divorce au Maroc est l’absence de médiation familiale. Cette lacune aggrave les conflits post-divorce, surtout en ce qui concerne la garde des enfants et le droit de visite. Dans des pays comme la France, la médiation familiale est obligatoire en cas de divorce contentieux, offrant ainsi une voie de dialogue et de compromis entre les parents. Au Maroc, l’absence de ce mécanisme laisse souvent place à des batailles judiciaires interminables, qui nuisent à la fois aux parents et aux enfants.
L’absence de médiation signifie que les décisions relatives à la garde, à la tutelle et aux droits de visite sont souvent prises dans un contexte de conflit, sans tenir compte des véritables intérêts de l’enfant. Cela renforce les inégalités de pouvoir entre les parents, surtout lorsque le père détient la tutelle légale, mais ne joue qu’un rôle minimal dans la vie quotidienne de l’enfant. La Moudawana de 2004 conseille d’avoir recours à une intermédiation familiale pour tenter une réconciliation possible : « Pour ce faire, il convient de renforcer les mécanismes de conciliation et d’intermédiation, en faisant intervenir la famille et le juge ».