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Médicament : Gagner la bataille de la souveraineté (ITW)

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En plus de son aspect social, le déploiement en cours des régimes d’assurance maladie dans plusieurs pays africains peut être un levier pour asseoir une base industrielle du médicament sur le continent. Pour Dr Franck Nana, président du Conseil national de l’Ordre des pharmaciens du Cameroun, il faudrait créer des spécialisations régionales et privilégier la préférence nationale.

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Lebrief Afrique : La problématique de souveraineté a émergé dans le discours officiel pendant la pandémie du Covid-19. Quelle réponse les États ont-ils apportée pour réduire leur dépendance en matière de médicaments ?  

Dr Franck Nana, Président de l’Ordre des Pharmaciens du Cameroun : Permettez-moi de relever que la pandémie a mis encore plus en évidence la fragilité de nos systèmes de santé ainsi que le problème de la production des médicaments essentiels. De ce point de vue, changer la donne, produire et permettre aux pays africains de développer leur capacité de production doit être une priorité absolue de santé publique.

Il y a des enjeux stratégiques et économiques. Les opérateurs présents à Pharma Expo du 21 au 23 septembre à Yaoundé et au-delà, tous les acteurs de la santé et les décideurs, conviennent que l’absence d’un tissu industriel pharmaceutique local constitue un frein pour le développement. Je ne suis pas naïf au point de penser que chaque pays doit avoir sa propre industrie du médicament. En revanche, je pense qu’à travers une approche basée sur la spécialisation régionale, l’Afrique peut assurer son autonomie dans ce domaine.

Au Cameroun, nous pensons que cette dépendance quasi-totale de l’étranger est un gros handicap. Nous pouvons créer des zones industrielles en Afrique tout en continuant à développer des partenariats avec les big-pharma.

Plusieurs pays africains ont mis en place, ou sont sur le point de déployer, des régimes d’assurance maladie universelle. En quoi cela représente-t-il une opportunité pour les acteurs de la santé ?

Pour nous, professionnels du Cameroun, la généralisation de l’assurance-maladie est une véritable opportunité, à condition de bien s’y prendre. Lorsqu’elle fonctionnera à plein régime, la couverture universelle santé mettra tout le monde au même niveau : salariés, sans emploi, étudiants, ingénieurs, médecins, avocats, pharmaciens et travailleurs du secteur informel auront les mêmes chances face à la maladie.

Par ailleurs, l’élargissement de la base couverte par l’assurance maladie permettra aux industriels de produire des médicaments à des coûts compétitifs et de mieux structurer leur distribution, de l’usine à la pharmacie d’officine. La baisse attendue des coûts de production rejaillira forcément sur le prix de vente au consommateur. De ce point de vue, il s’agit d’une arme contre les médicaments contrefaits qui se vendent dans la rue. On sait que leur consommation tient à la faiblesse du pouvoir d’achat des populations.

Afin que les effets de ruissellement de cette réforme soient visibles, il faut deux conditions : activer la préférence nationale en incitant à la consommation des produits fabriqués localement. Les pays d’Afrique du Nord en sont un exemple. Les règles de remboursement des soins du régime d’assurance maladie privilégient les génériques produits par les laboratoires locaux. Deux, cela va permettre d’accélérer la formation et la mise à niveau des compétences et des spécialités en lien avec la santé : chimistes, biologistes, répartiteurs, etc.

Il faut combattre la fraude à l’assurance, la gabegie, etc. Lors de Pharma Expo (ndlr : salon tenu du 21 au 23 septembre dernier à Yaoundé), des conférences ont été consacrées au rôle du pharmacien d’officine dans la mise en œuvre de la couverture universelle santé.

Que dites-vous à vos confrères au Cameroun comme un peu partout sur le continent, qui pratiquent en masse la vente des médicaments sans ordonnance ? Il ne s’agit pourtant pas d’un Coca-cola…

Vous avez raison (il insiste). Une des priorités stratégiques de l’Ordre national des pharmaciens est d’apprendre aux professionnels à travailler selon les bonnes pratiques, la déontologie et l’éthique. Il y a des médicaments à prescription obligatoire que le pharmacien ne peut dispenser sans ordonnance. Cette règle ne peut souffrir d’aucun affranchissement pour des raisons de sécurité du patient. De même aucune difficulté économique et financière ne doit nous écarter des normes et des bonnes pratiques. Depuis 2021, au niveau du Conseil de l’Ordre, nous bataillons pour que tous les médecins soient dotés d’ordonnanciers pré-imprimés et estampillés Ordre des pharmaciens. Pour l’instant, nous en avons distribué 300 sur l’ensemble du territoire et nous allons continuer ce processus afin que tous les praticiens en disposent.

Le combat de l’Ordre des pharmaciens pour le respect de la déontologie

Vous avez du travail, car il va falloir bousculer des habitudes bien ancrées.

Oui, bien sûr, et croyez-moi que nous n’aurons pas la main qui tremble s’il faut sanctionner des praticiens qui se seraient affranchis de règles déontologiques. Une des missions de l’Ordre est de réguler la profession et de veiller à la stricte application de la déontologie. Nous avons un « tribunal » en interne qui reçoit et apprécie les plaintes de la population. Lorsqu’il est établi qu’un pharmacien s’est rendu coupable de faits répréhensibles, nous prononçons des sanctions qui peuvent aller jusqu’à la radiation de la profession. Il y va de la confiance que les populations placent en nous. On ne peut pas faire 7 ans d’études à la Faculté de Pharmacie pour faire de la vente banale. La vente des médicaments en officine est une activité réglementaire qui s’appuie sur des compétences techniques et approfondies.

Les pharmaciens camerounais disposent-ils du droit de substitution ?

Oui, il existe bel et bien. L’économie générale est de permettre au patient d’accéder à un médicament générique moins cher par rapport à celui qui lui a été prescrit. Au sein de la profession, nous estimons que ce droit est trop restrictif. C’est pour cela que nous travaillons actuellement afin de l’élargir sous le contrôle du régulateur. Le pharmacien et le médecin prescripteur devraient préalablement se mettre d’accord. Mais tout n’est pas substituable, j’en conviens. Mais je suis certain que nous arriverons à trouver un accord en bonne intelligence, chacun restant dans son rôle. Le pharmacien n’a pas le droit de consulter un patient et le médecin n’a pas le droit de dispenser un médicament.

La vente du médicament en vrac pour contrer les faux produits

Comment en finir le marché des faux médicaments qui prospère dans les capitales africaines ?

A mon avis, il y a plusieurs points d’attaque. Premièrement, le pays doit garder la maîtrise de ses frontières. Cela relève du pouvoir régalien. Deuxièmement, les régimes d’assurance devraient enrôler toutes les populations, y compris celles qui n’ont aucune source de revenu, car bien souvent, ces ménages arbitrent exclusivement en fonction du prix. Mais je reconnais que cela nécessite énormément de moyens financiers.

Par ailleurs, il faut encourager la production et la consommation des produits génériques et, enfin, mieux utiliser les ressources fiscales du Budget de l’État. Enfin, il faut continuer à sensibiliser constamment la population sur le danger de médicaments contrefaits. Au Cameroun, nous pratiquons la vente en vrac (au détail) de manière à ce que le patient n’achète que la prescription indiquée sur l’ordonnance. Pour beaucoup de gens, acheter 9 comprimés, ce n’est pas pareil que d’acheter une boîte de 18. Mais nous veillons toujours à ce que le patient suive la cure complète afin de ne pas créer de résistances.

Propos recueillis par Abashi SHAMAMBA pour Lebrief Afrique