Des étudiants en médecine prêtent serment. © DR
Avec seulement 17 professionnels de la santé pour 10.000 habitants, le Maroc est très en deçà de la norme préconisée par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS). D’après l’institution onusienne, le pays devrait compter 55.000 médecins alors que seuls 23.000 sont en exercice.
En avril 2022, le Conseil national des droits de l’Homme (CNDH) signalait ce défaut, dans son rapport thématique sur “l’effectivité du droit à la santé”, alertant d’une possible accentuation du phénomène dans les années à venir en raison de plusieurs facteurs.
«Malgré les efforts consentis, l’État n’est toujours pas en mesure de garantir la sécurité sanitaire aux citoyens, dans toutes ses dimensions économiques, sociales, environnementales et culturelles, que ce soit en termes d’accès aux services de santé ou d’élaboration d’une stratégie sanitaire qui réponde aux besoins nationaux», concluait le Conseil.
Alors que le Maroc est en plein chantier de la généralisation de la couverture sociale et médicale, cette pénurie est un véritable enjeu de santé publique. «Ou alors, on est capable de former notre jeunesse, ou bien, on va faire venir des médecins de l’étranger», argumentait, en mars dernier, le ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche scientifique et de l’Innovation, Abdellatif Miraoui, invité de l’émission Grand format Le360.
Tranchant en faveur de la réduction de la durée des études en médecine, le ministère de tutelle a ainsi publié le 13 mars 2023 l’arrêté, modifiant et complétant l’arrêté du ministre de l’Éducation nationale du 9 janvier 2019, fixant les nouvelles normes pédagogiques relatives à la durée de la formation, au stage et à l’examen du diplôme de docteur en médecine au Bulletin Officiel.
Celui-ci prend effet dès cette année universitaire 2022-2023 et concerne uniquement les étudiants inscrits en 1ʳᵉ, 2ᵉ, 3ᵉ et 4ᵉ années. Les étudiants actuellement en 5ᵉ, 6ᵉ et 7ᵉ années resteront soumis à l’ancien cahier des charges pédagogiques, c’est-à-dire l’ancien cycle de sept ans.
Un cursus en six ans, trois phases diplômantes
Le nouveau cahier des charges pédagogiques relatif aux études de médecine est entré en vigueur. Grande nouveauté : la durée du cursus est officiellement réduite. Désormais, la formation en médecine s’étend sur une durée 6 ans après le baccalauréat dans l’une des filières scientifiques réparti en 12 semestres d’études et d’évaluation. Au total, les étudiants auront un volume horaire de 3.900 heures avec 77 modules, dont 72 fondamentaux et d’autres complémentaires et d’ouverture.
Cette nouvelle formation est donc répartie sur trois phases, chacune d’entre elles donnant droit à un diplôme :
- La première phase, s’étalant sur quatre semestres après le baccalauréat, est sanctionnée par un diplôme d’études générales dans les sciences médicales ;
- La deuxième phase prend deux semestres et donne droit à un diplôme d’Études fondamentales dans les sciences médicales ;
- Enfin, la troisième phase, d’une durée de six semestres, achève le cursus avec l’obtention du diplôme de docteur en médecine.
Stages, examens et soutenance
Le nouveau cahier des charges introduit la formation par alternance. Ainsi, les étudiants des deux premiers semestres (phase 1) sont dans l’obligation d’effectuer des stages d’immersion clinique, d’une durée de trois semaines, au niveau des établissements de soins, notamment les centres de santé et les hôpitaux. Dans le même sens, l’arrêté ministériel précise qu’un stage en médecine sociale est exigé aux étudiants du troisième et quatrième semestres (phase 1), ajoutant que cette formation comprend également des travaux pratiques (TP).
D’autres stages cliniques externes à mi-temps sont également prévus. Des stages cliniques fondamentaux, d’une durée d’au moins 44 jours, doivent être réalisés dans les services de médecine, de chirurgie, de gynécologie-obstétrique et de pédiatrie. Un stage clinique fondamental et un autre complémentaire, d’une durée de 22 jours chacun, sont également prévus dans le cadre de cette formation.
Les deux derniers semestres de la formation seront consacrés à des stages cliniques à temps-plein.
S’agissant de l’examen clinique, les étudiants de la 6ᵉ année devront passer des contrôles dans les matières suivantes : la médecine, la chirurgie, la gynécologie, l’obstétrique et la pédiatrie. Ces examens, programmés annuellement sur plusieurs sessions, sont organisés par la Faculté sous la supervision d’un comité créé par le doyen.
Les étudiants admis (le seuil des admissions étant fixé à 10/20) seront autorisés à soutenir leur thèse devant le jury. Il est à noter que les sujets des thèses pour l’obtention du diplôme de docteur en médecine sont choisis à partir du 9ᵉ semestre.
Assister le chantier de la couverture sociale et médicale
La réduction d’une année du cursus en médecine a été actée par le gouvernement dans le cadre des mesures prises par le gouvernement pour accompagner la mise en œuvre du chantier de la généralisation de la couverture sociale et médicale.
Le ministre de l’Enseignement supérieur a, à plusieurs occasions, expliqué que cette décision visait, notamment, à renforcer la formation des ressources humaines dans le système de santé.
«Notre objectif est de doubler les places pédagogiques dans les facultés de médecine et de pharmacie à travers le Royaume», déclarait il y a quelques mois Abdellatif Miraoui, lors d’une séance consacrée aux questions orales à la Chambre des Conseillers, insistant que cette réduction n’impactera aucunement la qualité de la formation.
En ce sens, le nombre de sièges universitaires au sein des facultés de médecine a été augmenté pour atteindre 3.924 sièges à l’échelle nationale (contre 3.060 sièges au titre de l’année universitaire 2021-2022), dont 3.489 sièges pour la formation en médecine générale (3.369 civiles et 120 militaires) et 435 sièges pour la formation en pharmacie, tandis que 355 sièges ont été consacrés à la formation en médecine dentaire (325 civiles et 30 militaires).
En décembre dernier, et pour rappel, des contrats-programmes ont été signés avec les présidents des universités et les doyens des facultés de médecine, de médecine dentaire et de pharmacie, relevant du secteur public, afin de doubler, dans les trois années à venir, les effectifs des étudiants inscrits en première année.
Vers un système de santé «exemplaire»
«Dans le cadre de la mise en œuvre du chantier royal de généralisation de la couverture sociale, notamment son volet qui concerne la garantie des services médicaux pour toutes catégories concernées par l’assurance maladie obligatoire (AMO), le gouvernement a mis en place une stratégie nationale pour hausser le niveau du système de santé, avec comme objectifs d’atteindre des standards de l’encadrement sanitaire fixés par l’Organisation mondiale de la santé à l’horizon 2025, et qui va avec les objectifs du modèle de développement à l’horizon 2035», indiquait, le 17 février 2022, une correspondance du ministère de l’Enseignement supérieur adressée aux présidents des universités.
Avec un déficit de 32.522 médecins (et de 65.044 infirmiers), le Royaume vise à l’horizon 2025, de faire passer l’indicateur de 1,7 médecin pour 1.000 habitants actuellement à 2,5 médecins pour 1.000 habitants, et de le faire augmenter à 4,2 médecins pour 1.000 habitants dans les prochaines années, selon le ministre de la Santé et de la protection sociale, Khaled Aït Taleb. Des chiffres qui font partie des objectifs de développement durable recommandés par l’OMS. L’organisation exige une moyenne de 4,45 pour chaque 1.000 habitants.
Pour y arriver, le Maroc a tranché pour un cursus de formation en médecine de six ans et il n’est pas le seul. Avec cette décision, l’Exécutif veut emboîter le pas à d’autres pays qui font de même : «l’Allemagne est à six ans. Idem pour l’Italie. L’Irlande est à cinq ans, le Canada et les États-Unis ont choisi quatre ans», précise Abdellatif Miraoui. Et d’argumenter : «est-ce qu’on se soigne moins bien dans ces pays? La réponse est non.»
Aït Taleb relève de plus que le Maroc et la France sont les seuls pays qui ont continué à adopter sept ans de formation en médecine malgré le développement technologique des moyens de formation et de pédagogie.
Ainsi, la stratégie nationale du ministère de tutelle prévoit de passer de 2.092 diplômés en médecine par an à 6.530 à l’Horizon 2025, puis 8.770 diplômés en 2030, pour atteindre un taux cumulé de médecins de 16.590 en 2025 et 46.650 à l’horizon 2030.
Une vision en harmonie avec les préconisations du Nouveau modèle de développement (NMD). En effet, la Commission de Chakib Benmoussa affiche l’ambition d’atteindre une densité de personnel soignant (effectifs médicaux et paramédicaux) de 4,5 pour 1.000 habitants en 2035. Le pays devra en conséquence avoir la capacité du Maroc à former 54.000 médecins et plus de 100.000 infirmiers formés entre 2030 et 2035; soit en moyenne, plus de 3.600 médecins et 7.100 infirmiers chaque année.
Mais est-ce suffisant ?
«Ce qui importe ce n’est pas la durée, mais la qualité de l’enseignement», opinait Jaâfar Heikel, professeur de médecine et docteur en économie de la santé. Il serait toutefois insuffisant, selon professeur Heikel, de réduire la durée des études à six ans sans y ajouter une expérience professionnelle dans la médecine de famille, une condition indispensable pour obtenir le doctorat. «Si le parcours des six ans d’études prévoit les modules nécessaires et si le médecin complète sa formation par deux ans supplémentaires dans la médecine de famille, je ne vois pas d’inconvénients à la décision du ministère de tutelle», a-t-il poursuivi.
Aux yeux de Jaâfar Heikel, la réduction de la durée de formation ne suffit pas à elle seule pour régler les problèmes dont souffre le système de santé marocain. Le plus important est de promouvoir les capacités de formation des facultés de médecine du Royaume, en augmentant le nombre des lauréats. «L’enjeu principal à mes yeux est d’augmenter l’accessibilité des facultés de médecine», a-t-il plaidé.
La pénurie du personnel de santé n’est pourtant qu’un facteur parmi d’autres qui entravent l’accès effectif au droit à la santé au Maroc. La gouvernance des mécanismes décisionnels, la consolidation de l’industrie pharmaceutique nationale, l’amélioration des structures hospitalières, l’accentuation de la recherche scientifique sont autant de leviers dont le Royaume devrait se saisir pour achever l’ambition d’un système de santé «exemplaire».
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