Maroc-Iran : à couteaux tirés
Les relations entre le Maroc et l’Iran étaient excellentes dans les années 1960-1970 sous l’impulsion de feu Hassan II et du Shah Mohammad Reza Pahlavi. Ce dernier, voulant se rapprocher des pays sunnites, s’était lié d’amitié avec le chef de l’État marocain qui plus est Commandeur des croyants. Rabat entendait aussi tirer profit des relations cordiales avec Téhéran pour augmenter les importations pétrolières à prix préférentiels. Le Shah effectua une première visite au Maroc au mois de juin 1965. Durant son séjour qui a duré 11 jours, le Shah a été séduit par l’institution monarchique marocaine et par la personnalité de son jeune souverain.
Les deux monarchies, qui sont religieusement à l’opposé (sunnisme Vs chiisme), scellent un partenariat qui transcende les différends, comme la reconnaissance par Téhéran de l’État d’Israël alors qu’à l’époque le Maroc rejetait farouchement ce principe. Ils poseront même les jalons de la première Conférence islamique qui donnera naissance à l’Organisation de la conférence islamique (OCI) rebaptisée il y a quelques années ‘‘Organisation de la coopération islamique’’, un cadre unique regroupant l’Iran et les pays arabes mais aussi les autres pays islamiques non arabes. Suivront plusieurs visites de part et d’autre. Mais en 1979, la révolution menée par l’ayatollah Khomeiny fait tomber le Shah et conduit à l’instauration de la République islamique d’Iran. Lâché par les Américains et condamné à l’errance, le Shah trouve refuge pour quelque temps au Maroc (cf. témoigne de l’ex-impératrice).
Le nouveau pouvoir en place à Téhéran décide alors de rompre ses relations avec Rabat. De son côté, feu Hassan II n’hésite pas à émettre une fatwa contre le nouveau leader iranien. Les oulémas marocains ont jugé la prétention de Khomeiny de se faire appeler ‘‘Rouh Allah’’ (l’Esprit d’Allah) blasphématoire, excluant ainsi les disciples de Khomeiny de la grande famille de la Oumma islamique. Depuis, l’Iran fera tout pour déstabiliser le Maroc, à commencer par reconnaitre la pseudo ‘‘République arabe sahraouie démocratique’’ (RASD) et le soutien en interne à des manifestations anti-pouvoir.
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Reprise épisodique des relations
Les relations diplomatiques entre Rabat et Téhéran furent rétablies en 1991. Une reprise couronnée par les visites de plusieurs hauts responsables iraniens au Maroc et par la visite de l’ex-premier ministre marocain Abderrahmane El Youssoufi à Téhéran en 2002.
Mais cette ‘‘normalisation’’ sera de courte durée puisqu’en 2009, le Maroc marquera une nouvelle rupture de ses relations avec Téhéran dans le cadre de la solidarité avec les monarchies du Golfe. En réalité, trois principaux dossiers étaient sur la table des responsables marocains : le premier lié aux menaces proférées à l’encontre de Bahreïn, le second relatif au soutien de l’Iran au Polisario et le troisième concernant le rôle de la représentation diplomatique iranienne à Rabat dans le prosélytisme chiite (cf. encadré) dans le Royaume. L’ambassade d’Iran était accusée de «cibler la sécurité spirituelle des Marocains». En 2015, le Royaume participa à la coalition militaire dirigée par les pays du Golfe contre les forces houthis au Yémen. Cette même année, le Maroc renoue avec l’Iran à la faveur de l’élection de Hassan Rohani.
Retour à la case départ le 1er mai 2018. Le Maroc décide à nouveau de rompre ses relations diplomatiques avec l’Iran, en demandant à son ambassadeur de quitter Rabat, et en rappelant son ambassadeur de Téhéran. Bourita, preuves à l’appui, pointe du doigt le soutien financier et logistique apporté par l’Iran au Front Polisario à travers le Hezbollah libanais, qui assure également l’entraînement militaire des séparatistes du Polisario. Le Hezbollah inquiète aussi les autorités marocaines à cause de son activisme dans l’Afrique de l’Ouest. On estime à sept millions les Musulmans nigérians qui ont épousé la doctrine du chiisme. À savoir que le Maroc compte sur son modèle d’Islam sunnite du juste milieu, l’un des trois axes principaux de son soft power sur la scène continentale.
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Rupture consommée
En recevant à Rabat le ministre yéménite des Affaires étrangères et des Expatriés, Ahmed Awad Bin Mubarak, Nasser Bourita s’en est donné à cœur joie pour dévoiler au grand jour les actions hostiles du régime iranien. S’exprimant lors d’une conférence de presse conjointe avec son homologue yéménite, Bourita a fait part de la solidarité du Royaume avec le Yémen face à l’ingérence iranienne. Pour le chef de la diplomatie marocaine, le Yémen est devenu un espace d’ingérence iranienne par le biais des milices houthies, assurant que d’autres pays arabes sont victimes de cette ingérence, que ce soit de façon directe ou indirecte, ou par le recours à des organisations armées et terroristes. Bourita est parti plus loin dans sa réflexion, estimant que les pays armant des acteurs non gouvernementaux de technologies sophistiquées doivent assumer leur entière responsabilité devant la communauté internationale, puisque ces acteurs non gouvernementaux n’ont pas de responsabilité juridique et ne sont pas une partie aux accords de démilitarisation ni aux accords de recours aux armes, contrairement aux gouvernements officiels.
«L’Iran ne peut continuer à exploiter cette lacune pour saper la sécurité et la stabilité dans la région arabe, notamment au Yémen, au Moyen-Orient et en Afrique du Nord», a ajouté Bourita, soulignant que le Maroc est aussi victime de cette ingérence, chose que la Ligue arabe avait condamnée auparavant. Rabat soupçonne même les Gardiens de la révolution islamique de fournir des équipements de haute technologie, notamment des drones, au Polisario. La réponse de Téhéran ne s’est pas faite attendre. Le porte-parole du ministère iranien des Affaires étrangères, Nasser Kanaani, a rétorqué que le Maroc devrait d’abord commencer par revoir ses relations avec Israël et résoudre la question du Sahara. Dans un communiqué signé par ses soins, Kanaani a affirmé que les accusations marocaines sont « fausses ». Pourtant, l’axe Alger-Damas-Téhéran est défendu becs et ongles par le régime algérien avec un parrainage dévoilé du Polisario. En témoigne la volonté exprimée d’inviter le président syrien au prochain sommet de la Ligue arabe sous l’impulsion de Téhéran. Le président iranien Ebrahim Raïssi a d’ailleurs exprimé à plusieurs reprises et ouvertement son soutien à Bachar Al-Assad.
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Le printemps perse ?
Cette semaine, la contestation en Iran est entrée dans sa troisième semaine. Déclenché par la mort de Mahsa Amini, jeune Kurde iranienne arrêtée le 13 septembre par la police des mœurs à Téhéran pour non-respect du code vestimentaire strict pour les femmes en Iran, le mouvement de protestation a pris de nouvelles formes avec des fontaines colorées en rouge par des artistes en référence à la répression des manifestations dans le sang. Selon des ONG, dont la plupart sont iraniennes, des milliers de personnes parmi lesquelles des journalistes, des militants et des artistes, ont été arrêtées depuis le début du mouvement. Téhéran a accusé des forces extérieures d’attiser les protestations. Vivement réprimées, ce sont les manifestations les plus importantes depuis celles de 2019 contre la hausse du prix de l’essence. Au moins 92 personnes ont été tuées depuis le 16 septembre, selon l’ONG Iran Human Rights basée à Oslo, alors qu’un bilan officiel fait état d’environ 60 morts parmi lesquels 12 membres des forces de sécurité.
Le Maroc s’est jusque-là interdit de commenter la situation en Iran. Il respecte ainsi le principe de non-ingérence, fondement de sa diplomatie. L’antagonisme entre les deux pays est pourtant palpable, l’Iran cherchant à déstabiliser le Maroc et ce dernier adhérant à toute action internationale visant à sanctionner Téhéran. Mais au-delà des alliances et des regroupements internationaux anti-iraniens. Rabat ne doit pas rester les bras croisés face au dynamisme de Téhéran dans la région maghrébine et dans la profondeur africaine. L’hégémonie iranienne peut gravement nuire aux efforts du Maroc dans le cadre de la coopération Sud-Sud. Elle peut aussi interférer avec sa volonté de rallier plus de pays africains à sa cause suprême, le Sahara.
Témoignage de Farah Diba Pahlavi, ancienne impératrice d’Iran
Invitée récemment de l’émission ‘‘Malard en liberté’’ sur i24NEWS, l’ex-impératrice a voulu marquer son attachement au Maroc et sa gratitude envers la famille royale. «Quand je vais au Maroc, ça me rapproche un peu plus de mon pays, l’Iran», a-t-elle déclaré. L’ex impératrice est ensuite revenue sur le rapport qu’entretenait le Maroc avec l’Iran à l’époque du Shah.
Extraits du rapport 2009-2017 du département d’Etat US sur les pratiques religieuses au Maroc
En mars 2009, l’Etat a saisi de la littérature chiite, interrogé des musulmans chiites et fermé une école privée irakienne, dans un effort manifeste d’arrêter la propagation du chiisme iranien politisé.
Le nombre de musulmans chiites est estimé à 3.000 à 8.000, dont la plupart sont des expatriés libanais ou irakiens, mais également quelques citoyens convertis. Selon certaines sources, plusieurs milliers de citoyens résidant actuellement en Europe ont adopté des croyances chiites.
La différence entre les sunnites et les chiites selon feu Hassan II
Interviewé par la télévision française le 30 octobre 1987, le défunt souverain explique à sa manière la différence entre les rites sunnite et chiite. «La sunna est le rite orthodoxe musulman, la chiaa, tout en n’étant pas ? complètement ? hérétique, demeure une hérésie d’autant plus qu’il y a 93 sectes chiites». Et d’ajouter que le courant le plus dangereux et le plus éloigné de la sunna «est le courant chiite jaafarite, adopté par l’Iran». .