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Que reste-t-il donc de la gauche marocaine ? Voilà une question que l’on se pose depuis deux décennies maintenant. Le «parti historique de Ben Barka et Bouabid», l’Union socialiste des forces populaires (USFP), qui n’a pas démérité au gouvernement d’alternance, s’est depuis éloigné de ses bases populaires. Il a dégringolé à la quatrième place aux législatives de septembre 2021 (bien qu’ayant gagné 14 sièges en comparaison aux résultats des élections de 2016), pour être rejeté dans l’opposition.
Avec 22 sièges (+10 en comparaison aux élections précédentes), le Parti du progrès et du socialisme (PPS), dont les discours de son fondateur Ali Yata enflammait d’antan l’enceinte du Parlement, ne semble plus fédérer les «camarades». Le parti de Nabil Benabdallah voulait même tenter une alliance «contre-nature» avec le Parti de la justice et du développement (PJD).
Et, si en 2016, elle croyait pleinement qu’«avec ses militants un autre Maroc est possible», la Fédération de la gauche démocratique (FGD) – aujourd’hui devenue Alliance de la fédération de gauche – n’obtient qu’un seul siège en 2021, en baisse d’un siège depuis les élections de 2016.
Depuis le scrutin dernier, ils sont 5 partis se proclamant de gauche à siéger à la Chambre basse et détiennent à peine 14% du total des sièges parlementaires (56 sur 395). Outre les trois formations politiques citées, le Front des forces démocratiques (FFD), fondé en 1997 par l’ancien ministre Thami Khyari après une scission avec le PPS en réaction «contre la sclérose idéologique et la direction du parti», décroche 3 sièges (+3 depuis 2016). Le Parti socialiste unifié (PSU), lui, fruit d’une fusion de plusieurs mouvements dont l’Organisation de l’action démocratique populaire (OADP) fondée en 1983 par feu Mohammed Bensaïd Aït Idder, a remporté, lui, un seul siège, en hausse d’un siège.
Entre déclin et espoir
Loin d’être satisfaisants, les résultats obtenus par la gauche dénotent toutefois d’une légère amélioration de la capacité des partis à fédérer certains électeurs. L’une des raisons qui expliquerait ce progrès serait attribué aux multiples crises mondiales (pandémie de la COVID, par exemple) ou nationales (l’inflation qui pèse lourd sur les bourses des citoyens ou encore les crises multiformes qui perdurent). Or, ces mêmes questions sociales et sociétales devraient pousser la gauche à se renouveler. Car le contexte des années 60 et 70 dans lequel les partis marocains de gauche ont prospéré est loin derrière.
La mondialisation, et le libéralisme qui en découle, sont d’ailleurs souvent pointés du doigt par les militants de gauche. «Je pense que la gauche aujourd’hui est incapable de produire une alternative au libéralisme. Lorsqu’on observe les programmes des partis de gauche qui remportent les élections dans le monde, ils sont pour la plupart dominés par le capital financier et les institutions monétaires internationales», avait confié l’an dernier le fraîchement élu secrétaire général de la FGD, Abdeslam El Aziz.
Selon Ghassan Lamrani, professeur de sciences politiques à l’Université Mohammed V de Rabat, la FGD est l’une des seules formations politiques à porter les valeurs de la gauche. Cette formation politique est issue de la fusion du Parti de l’avant-garde démocratique et socialiste (PADS), du Congrès national ittihadi (CNI) et la Gauche unioniste (GU) (issue elle-même d’une scission du PSU sous la direction de Mohammed Sassi). Il convient de rappeler que cette fusion s’est faite sans le PSU de Nabila Mounib (Jamal El Asri lui a succédé le 5 novembre dernier), qui a préféré faire cavalier seul lors du dernier scrutin.
«L’USFP et le PPS ne représentent plus la gauche. Du moins telle que nous la connaissions. Ils n’ont plus de gauche que le nom. Les gens qui représentent la gauche et ses valeurs ont quitté ces partis. […] À l’exception du PSU et de la Fédération de la gauche démocratique, (FGD), il est difficile de trouver un véritable discours de gauche», a déploré l’universitaire. Mais le chemin risque d’être long. La nouvelle gauche représentée par la FGD nécessite encore un travail de longue haleine. «Peut-être à moyen ou long terme, dans 20 ans peut-être, si la fédération et le groupe des partis qui la composent restent sur cette lignée politique», analyse Lamrani.
Une gauche qui ne dit plus son nom
Le scrutin du 8 septembre 2021 a consacré une tendance qui s’est précisée depuis au moins deux décennies. Et ce depuis le gouvernement d’alternance, «consensuelle» pour les uns, «octroyée» pour les autres, incarné par la figure de feu Abderrahmane El Youssoufi. Ce phénomène qui caractérise la scène politique marocaine, et plus précisément la scène partisane, est particulièrement la désinstitutionnalisation généralisée des partis de gauche conventionnels. C’est à dire leur délégitimation symbolique qui a débouché sur leur affaiblissement chronique au profit d’une suri-institutionnalisation de certains partis émergeant comme le Parti authenticité et modernité (PAM) ou le Parti de la justice et du développement (PJD). «Il faut dire qu’à cause des vicissitudes liées à leur création ou à leurs référentiels politico-idéologiques, ces nouvelles entités partisanes éprouvent une grande difficulté à promouvoir la culture politique de la citoyenneté participative».
Lire aussi : Abderrahmane Youssoufi, modèle d’honnêteté de la classe politique
Historiquement, les partis dits de gauche ont été principalement fondés sur la base des théories développées par Karl Marx et Frédéric Engels. Dans la sphère politique, ce sont en majorité les partis révolutionnaires dont le rôle consiste à «défendre la classe ouvrière, et une fois au pouvoir, assurer le transfert de la propriété des moyens de production matérielle au profit du peuple». L’objectif est de porter en commun des objectifs socialistes prônant la liberté et les droits sociaux, tout en luttant contre les dysfonctionnements relevés aux niveaux politique, économique et social. La gauche s’incarne donc dans ses idéologies ramifiées autour de l’individu et du prolétaire comme piliers de toute société qui valorise les valeurs humaines dans ce qu’elles ont de plus basiques, à savoir : la dignité et des chances égales dans la vie.
La gauche marocaine n’a pas divergé à cette définition. Même si elle parait aujourd’hui sous la forme d’une mosaïque composée d’une multitude de partis se proclamant tous de gauche, il demeure qu’elle puise son origine de deux principales sources : l’une d’origine communiste internationaliste, et l’autre d’essence nationaliste. Pour plusieurs auteurs, le socialisme scientifique notamment a inspiré les partis de gauche dans le monde arabe, y compris au Maroc. La gauche peut être ainsi définie sur le plan idéologique comme l’ensemble des courants qui s’inspirent du socialisme scientifique pour analyser les réalités économiques, sociales, culturelles et politiques.
Il convient également de noter que des petits groupes d’extrême gauche de filiation maoïstes, trotskystes et stalinistes existent au Maroc et sont toujours actifs au sein de certaines universités. Cependant, leur audience et influence demeurent très limitées et ne dépassent pas les cercles universitaires.
Mais, depuis les années 80, la gauche marocaine, à l’instar de la gauche mondiale, n’a pas su présenter un programme qui puisse concurrencer le projet de la mondialisation. Au sein de cette mouvance même, les militants parlent d’une crise de vision stratégique et d’un vide intellectuel et idéologique. Plus précisément, la gauche manque aujourd’hui de penseurs et d’intellectuels possédant une influence réelle dans la société.
Les formations politiques de gauche vont jusqu’à parler d’une différence de ligne et de pratiques politiques entre elles : celles qui sont passées par une expérience gouvernementale (l’USFP et le PPS par exemple) et les autres. Selon Driss Maghraoui, professeur agrégé d’histoire et de relations internationales à l’université Al Akhawayn d’Ifrane, la logique des partis de gauche est de changer le système politique de l’intérieur. Mais, pour de nombreux socialistes marocains, ce n’est pas le cas. «En fin de compte, l’USFP et le PPS ont fini par se changer eux-mêmes, mais sans changer le système, perdant ainsi leur légitimité», avait déclaré Maghraoui à Al Jazeera.
Plus que cela, certains cadres de la gauche évoquent une «élitisation des partis, qui se retrouvent ainsi très loin des réalités sociétales». La perte des grandes figures de proue comme Ben Barka et Omar Benjelloun ont porté un coup dur à la gauche marocaine d’essence nationaliste. À cela s’ajoute, le flou idéologique et les nombreuses scissions qu’elle a connu et qui l’ont également paralysée et affaiblie. Ces scissions reviennent à la particularité de la culture politique marocaine. Laquelle culture qui place l’homme avant le parti, autrement dit, le leader demeure l’atout principal du parti politique marocain. «Quand deux leaders se retrouvent dans le même parti, une scission est imminente».
L’unification, ultime espoir de la gauche ?
L’idée fait son chemin depuis quelques années déjà. En 2016, la FGD en parlait, mais ce n’est qu’en 2023 qu’elle aura acté la fusion des formations politiques. Récemment, c’est au tour des mythiques USFP et PPS d’y penser. Malgré plusieurs tentatives antérieures, les récentes réunions entre Driss Lachgar et Nabil Benabdellah, en froid depuis dix ans, ont ravivé le débat sur la «vision» de l’unification des partis de gauche. Si les deux poids lourds ont exprimé leur volonté commune de former une alliance politique, un «bloc de gauche unifié, considéré comme le plus apte à représenter l’État social au Maroc par rapport à d’autres sensibilités politiques», ils se disent prêts à accueillir toutes les formations souhaitant y adhérer.
Cette volonté de fusionner ces partis découle principalement du fait qu’aucun des partis ne peut actuellement, à lui seul, concrétiser sur le terrain les orientations et ambitions de la gauche. C’est pourquoi la nouvelle union est nécessaire pour resserrer les rangs et permettre à la gauche de véritablement devenir un acteur clé de la scène politique, «dans un but ultime de retrouver enfin ce grand parti socialiste qui manque au paysage politique national».
Mais la FGD et le PSU ne semblent pas adhérer à cette initiative. Pour la première formation, elle pense que la fusion que les partis (CNI, PADS et PSU) voulaient opérer «était tendue et vouée à l’échec (le PSU conduit alors par Nabila Mounib s’est retiré de l’alliance). Pour elle, il est donc plus important de lier le discours à la pratique». Le second avance que «la dernière conférence nationale de son parti avait conclu que l’approche d’intégration de la gauche était dans l’impasse, privilégiant désormais la formation d’alliances sur le terrain». Et il semble qu’ils aient raison !
Al Akhbar rapporte que le chef de file du PPS serait furieux contre Driss Lachgar. En cause : le premier secrétaire de l’USFP n’«aurait pas respecté les termes de l’accord de coordination entre les deux formations politiques signé le mois dernier. Le PPS a été surpris de voir l’USFP soumettre une motion de censure contre le gouvernement sans le consulter».
Le chemin semble encore long pour qu’une gauche unifiée voit le jour. Encore plus long pour elle de rallier une base électorale lui permettant d’arriver en tête d’un scrutin. L’échéance 2026 sera-t-elle encore un rendez-vous raté de la gauche ?
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