L’Inde, un partenaire discret en Afrique du Nord
Logo du 3ème Sommet du Forum Inde Afrique 2015, à New Delhi le 29 octobre 2015. © M.soumen / CC / Wikipedia
«Nous avons combattu la colonisation, ensemble. Nous allons nous battre pour la prospérité, ensemble», déclarait en juillet 2018, le Premier ministre Narendra Modi devant le parlement ougandais, lors d’une tournée sur le continent.
L’Inde et l’Afrique, c’est la conférence de Bandung, première conférence des «Nations afro-asiatique» en 1955, qui condamne, entre autre, la colonisation et la ségrégation raciale. C’est aussi, et surtout, la figure de Gandhi : «Les idéaux de Mahatma Gandhi ont inspiré tellement d’immenses chefs africains», répète le Premier ministre indien. Sur le continent, Narendra Modi ne cesse de mettre en scène cette histoire commune.
The story of India’s freedom struggle is closely linked to Africa.
The leaders of our freedom movement were extremely supportive towards many African nations in their fight against colonialism.
Mahatma Gandhi’s ideals inspired so many towering African leaders. pic.twitter.com/uIKcVojYV6
— Narendra Modi (@narendramodi) July 25, 2018
L’Inde et l’Afrique, 2.000 ans d’histoire
La première preuve incontestée des relations entre l’Inde et l’Afrique date d’il y a plus de 2.000 ans, dans un récit de voyage d’un navigateur grec. Bien plus tard, lorsque Vasco de Gama arrive au Mozambique et au Kenya en 1498, il se dit surpris de trouver autant d’Arabes et d’Indiens. Des marchands qui font des allers-retours, qui échangent esclaves, épices et ivoire.
Et au cours des deux dernières décennies, l’Inde est devenue un acteur externe notable en Afrique, en particulier en Afrique du Nord, à travers des initiatives multiformes englobant la politique, l’économie et la culture.
«Malgré l’absence d’une politique régionale distincte pour cette région, le pays a amplifié son engagement bilatéral avec le Maroc, l’Algérie, la Tunisie et l’Égypte, et dans une moindre mesure la Libye, soutenu par un attachement indéfectible au principe de la coopération Sud-Sud», expliquent Abdessalam Jaldi et Hamza Mjahed dans leur document d’orientation pour le Policy Center for the New South (PCNS) intitulé “North Africa’s Invisible Partner: Exploring India’s Political and Economic Influence in the Region” (traduisez : “L’invisible Partenaire de l’Afrique du Nord : Exploration de l’Influence Politique et Économique de l’Inde dans la Région”).
De l’idéologie au pragmatisme
Dans les années 90, l’Inde s’est considérablement écartée de son paradigme jusqu’alors existant de développement orienté vers les marchés, marquant une étape charnière. La crise de la balance des paiements, aggravée par la dissolution de l’Union soviétique, principal partenaire commercial de l’Inde à l’époque, a nécessité de profondes réformes dans la politique économique du pays.
Les chercheurs soulignent que l’Inde s’est écartée de l’idéologie et s’est dirigée vers une approche plus pragmatique, marquant la politique de libéralisation économique. «Un principe clé de ce changement était la dépendance aux investissements directs étrangers, le transfert de technologie, la promotion des exportations et une plus grande intégration dans le marché mondial, cadre fondamental de sa politique économique. Ce paradigme a toujours été respecté par tous les gouvernements indiens successifs depuis 1991», note le PCNS.
En ce sens, la politique étrangère indienne en Afrique du Nord a intégré son ambition d’élargir les relations économiques. Dans le même temps, d’autres éléments sont apparus. Le document cite notamment la diversification des importations et l’intention de la Chine d’intégrer le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord dans le cadre de l’ »Initiative ceinture et route » (Belt and Road Initiative, BRI selon l’acronyme anglais). Des dynamiques politiques et économiques qui ont contraint New Delhi à réévaluer sa stratégie nord-africaine, faisant de la région une priorité diplomatique permanente de sa politique étrangère.
Avec le Royaume, l’Inde entretient des liens historiques qui remontent au XIVe siècle, «lorsque le Ibn Batuta, explorateur et écrivain de renom basé à Tanger, a fait son voyage en Inde», précise-t-on. Dans un contexte plus contemporain, l’Inde a manifesté un soutien actif au mouvement indépendantiste marocain aux Nations Unies et a étendu la reconnaissance immédiate au pays lors de son accession à l’indépendance le 20 juin 1956.
Depuis l’établissement des relations diplomatiques en 1957, les relations entre l’Inde et le Maroc sont restées amicales. Mais le partenariat entre les deux États a connu un élan notable et soutenu depuis l’accession au trône du roi Mohammed VI. La rencontre du chef de l’État marocain avec le Premier ministre indien en 2015 a abouti à l’élévation des relations diplomatiques au niveau d’un partenariat stratégique.
Depuis, pas moins de 23 visites de ministres dans les deux sens se sont tenues. La signature de plus de 40 accords et de protocoles d’accord dans la lutte contre le terrorisme, la cybersécurité, l’agriculture et la formation professionnelle, sont selon le document autant de signes qui illustrent l’importance du partenariat.
Plus récemment, le rapprochement militaire opéré par les deux pays est venu renforcer ces liens. Ces trois dernières années, les deux pays ont «élevé le niveau de leur collaboration en matière de défense en signant plusieurs accords» dans différents domaines, notamment la cybersécurité, la technologie spatiale, le développement des infrastructures et le financement conjoint de projets et d’industries de défense.
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Le fabricant indien TATA advanced Systems, aurait fourni au Maroc, des camions de transport militaire tactique LPTA-715 et, plus tôt cette année, 90 camions de transport tactique Tata LPTA 2445 6×6 pour améliorer les capacités logistiques du pays, selon le média ibérique. De plus, les auteurs énumèrent : les deux pays ont organisé des exercices militaires conjoints en 2021, le Maroc a participé au 2e Dialogue de défense Inde-Afrique en octobre 2022, et les Forces armées marocaines ont participé au 2e exercice d’entraînement sur le terrain Inde-Afrique en mars 2023, axé sur les opérations de maintien de la paix et l’action humanitaire.
Le document conclut que l’approche de l’Inde vis-à-vis des pays d’Afrique du Nord repose sur une doctrine particulière, qui privilégie le partenariat égal, les avantages mutuels et la non-ingérence dans les affaires intérieures, contrairement à l’Occident. Les pays occidentaux, affirment les auteurs, tendent à lier la coopération économique à leurs normes politiques.
L’Inde, elle, met davantage l’accent sur la coopération Sud-Sud, avec une rhétorique qui encourage une gamme d’instruments visant à renforcer les capacités, à promouvoir les exportations et la croissance économique des entreprises indiennes, tout en soulignant l’engagement de l’Inde à faire progresser la technologie agricole, à lutter contre des problèmes tels que le changement climatique et le terrorisme, et à créer des emplois pour les jeunes dans la région.
L’engagement économique indien
Devenue grande puissance économique mondiale, l’Inde forge depuis près de 20 ans des alliances économiques pour cimenter l’influence économique et culturelle sur le continent. Après la Chine, l’Inde est le deuxième partenaire commercial de l’Afrique.
Elle passe souvent inaperçue, éclipsée par la «Chinafrique», la relation de l’Inde avec le continent est plus discrète. «La Chine en Afrique, c’est LA grande histoire de ces 15 dernières années !», témoignait en 2021 déjà Philipp Gieg, professeur à l’Université de Wurzburg en Allemagne, spécialiste de la politique africaine de l’Inde. «Mais l’Inde? Personne ne remarque sa présence. Elle est négligée. L’Inde n’est pas vue comme dangereuse, comme un rival sur le continent africain».
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La coopération économique de l’Inde en Afrique du Nord met un accent particulier, comme cité précédemment, sur la solidarité Sud-Sud, la non-ingérence dans les affaires intérieures et la neutralité. Des axes qui sous-tendent des partenariats commerciaux, financiers et dans l’investissement gagnants-gagnants. Ces principes ont, en effet, joué un rôle central dans le développement d’une compréhension partagée, faisant de l’Inde un acteur étranger bien perçu dans la région.
En Afrique du Nord, l’Inde a mis en place un déploiement stratégique de ses moyens d’influence, utilisant les multinationales et les entreprises publiques pour capitaliser sur l’empressement de divers pays de la région à diversifier leurs partenaires économiques. Ce faisant, l’Inde a réalisé un progrès significatif en pénétrant un marché régional de plus de 200 millions d’habitants, traditionnellement dominé par l’Union européenne, et plus récemment, la Chine.
D’après les données de l’Ambassade de l’Inde au Maroc, la valeur des échanges commerciaux avec le Maroc a atteint plus de 3,9 milliards de dollars en 2022, marquant une augmentation substantielle par rapport aux 907 millions de dollars en 2016. Une première depuis l’établissement des relations entre les deux pays. Une croissance tirée par les importations indiennes des produits phosphatiers, ainsi que des minéraux bruts et des produits chimiques, notent les auteurs.
C’est près d’un milliard et demi de dollars que le Royaume envoie en Inde tandis qu’elle lui livre plusieurs produits (téléphones portables, produits pétroliers, pièces automobiles, produits textiles…). Les exportations de l’Inde vers le Maroc se sont diversifiées pour inclure divers produits tels que les textiles, les véhicules, les produits pharmaceutiques et les machines.
La mise en place d’associations des entreprises et des opportunités d’investissement dans divers secteurs, notamment les énergies renouvelables, le tourisme et l’agriculture, donne un nouvel élan au renforcement des relations économiques entre les deux nations. À ce titre, le Maroc s’est imposé comme un partenaire incontournable de la présence économique de l’Inde en Afrique du Nord, fournissant une source stable de produits vitaux et de nouvelles opportunités d’investissement, souligne-t-on.
Ensemble, vers l’avenir
L’Inde maintient une présence notable en Afrique du Nord, mais elle ne possède actuellement pas la capacité de concurrencer l’influence exercée par d’autres acteurs. Les auteurs du document du PCNS notent que, compte tenu des tensions géopolitiques importantes en Afrique du Nord, l’approche diplomatique de l’Inde, caractérisée par la poursuite de partenariats économiques étroits à travers la coopération Sud-Sud, peut rencontrer des difficultés de mise en œuvre.
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Il existe toutefois un potentiel inexploité pour explorer de nouvelles voies afin de construire davantage des relations consolidées dans plusieurs domaines, fait-on remarquer. La guerre en cours en Ukraine présente des opportunités pour l’Inde de tirer parti de sa présence existante en investissant dans les énergies renouvelables et les chaînes d’approvisionnement alimentaire, tout en faisant simultanément la transition vers des partenariats économiques durables et respectueux de l’environnement pour contrer et atténuer les impacts du changement climatique.
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Compte tenu de l’urgence de ces défis, l’Inde et les États d’Afrique du Nord devraient envisager d’intensifier leur collaboration. Le document cite à ce titre le renforcement du commerce et de l’investissement, l’amélioration des échanges culturels, le développement soutenu des infrastructures, et le renforcement des liens politiques et diplomatiques.
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