Professeur Nabil Adel, directeur du Groupe de recherche en géopolitique et géoéconomie à l’ESCA
La trajectoire de ce projet de loi de Finances (PLF) n’annonce rien de bon. Ce dernier s’inscrit dans la continuité des précédents PLF, et ne prend pas en considération la problématique majeure de cette conjoncture : l’inflation. Si l’on regarde de près ce projet, on se rend rapidement compte qu’il est plus adapté à une inflation de 1 ou 2%. Le PLF 2023 ne présente toutefois pas de mesures ni de dispositifs à même de contrer et de faire face à l’inflation. Certes, le gouvernement a mis en place des mesures de soutien à la population, mais celles-ci n’ont aucun lien avec la crise actuelle et ne peuvent pas contribuer à sa résolution.
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L’amalgame entre inflation et hausse de certains prix
Le contexte dans lequel intervient ce PLF est marqué par une inflation qui devient presque galopante (jusqu’à 10%), soit un phénomène monétaire exceptionnel. Dans sa dernière note à ce sujet, le Conseil économique, social et environnemental (CESE), à l’instar d’autres observateurs, fait une confusion entre inflation et augmentation des prix de certains produits. La hausse des prix de quelques biens par rapport à d’autres, aussi forte soit-elle, n’est pas une inflation. Il s’agit au mieux d’un déséquilibre entre l’offre et la demande sur le marché de ces biens. L’inflation correspond à une progression générale, durable et autoentretenue de l’indice des prix.
Elle signifie que la masse monétaire d’un pays progresse plus rapidement que son rythme de production mesuré par le produit intérieur brut.
Évolution de la création monétaire et de l’inflation au Maroc depuis 1980
Au Maroc, la création monétaire a emprunté une pente ascendante, caractérisée par quatre phases :
- Depuis le PAS en 1983 jusqu’au début des années 2000, la création monétaire a été plutôt prudente et inférieure au niveau général des prix.
- À partir de l’année 2002, l’évolution de la masse monétaire sera plus rapide que celle du niveau général des prix, mais inférieure à celle du PIB.
- À partir de 2007, un nouveau palier de la politique monétaire sera franchi, où la progression de la masse monétaire sera plus rapide que celle du niveau de production (M3/PIB supérieur à 100%).
- Entre 2020 et 2021, la masse monétaire a connu un bond significatif pour passer à respectivement, 138% et 135% du PIB contre 119% en 2019.
Pour sa part, Bank-Al-Maghrib a adopté une politique monétaire accommodante, à coup de réduction des taux directeurs et de la réserve obligatoire pour stimuler la croissance économique.
Évolution des taux directeurs et de la réserve obligatoire au Maroc depuis 1995
Dans ces conditions, le retour de l’inflation n’était qu’une question de temps. Les déséquilibres de production nés de la crise de la Covid-19 en furent le déclencheur et le contexte international, le catalyseur.
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Comment contrer l’inflation ?
Poser le bon diagnostic est le début de la solution. À ce titre, le CESE et certains analystes traitent au mieux le relèvement des prix de certains produits et propose des mesures pour limiter la casse en la matière. Il ne s’agit nullement de résolutions pouvant juguler l’inflation, car partant du mauvais diagnostic, ils ne peuvent qu’aboutir à des recommandations inadaptées. Les suggestions proposées sont d’ordre sectoriel quand le phénomène à combattre est d’ordre macroéconomique. Pour juguler l’inflation, il faut donc agir sur des leviers relevant de la politique économique.
D’abord sur le levier monétaire : il s’agit de freiner autant que faire se peut la progression de la masse monétaire par rapport au PIB ou du moins aligner la hausse des deux dans un premier temps. Et dans ce cas, c’est Bank Al Maghrib qui doit agir en asséchant les liquidités par une politique monétaire restrictive (hausse des taux directeurs et de la réserve obligatoire). Ainsi, à l’instar des solutions mises en place par plusieurs autres pays, la masse monétaire en circulation au Maroc doit reprendre un niveau d’augmentation dans la ligne du PIB. Il faut de ce fait limiter la masse monétaire en circulation et rendre le crédit plus cher et moins abordable afin d’assécher les liquidités.
L’inconvénient de cette mesure, c’est qu’elle va conduire à une récession économique. Mais c’est un mal momentané pour un bien durable et une lutte efficace contre l’inflation.
S’agissant du deuxième levier, il concerne le dispositif budgétaire, notamment le PLF. Les mesures budgétaire et monétaire doivent aller dans le même sens. En d’autres termes, le gouvernement doit mener une politique de rigueur, en maîtrisant son déficit budgétaire par le contrôle des dépenses publiques. Toute augmentation de ce déficit risque d’accélérer davantage l’inflation. En effet, si l’État poursuit le rythme de dépenses publiques (fonctionnement et investissement) prévu dans le PLF, il créera de la demande et alimentera la spirale de hausse des prix.
Ainsi, la décision du ministère de l’Économie et des Finances de maintenir le calendrier de réalisation de tous les chantiers qu’il a prévus et de les financer par une augmentation des impôts risque d’exacerber la crise actuelle. D’abord, cela risque de ralentir plus la croissance de la production par rapport à la masse monétaire, dont l’expansion sera nourrie par la hausse de ces mêmes dépenses publiques.
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Quelle est l’échappatoire optimale pour le gouvernement ?
Le gouvernement doit maîtriser le déficit budgétaire, en contrôlant l’évolution des dépenses publiques pour réduire le niveau de la demande globale et calmer le mouvement des prix à la consommation, et ce, sans recours à une sanction fiscale. Cette dernière ne fera que freiner l’investissement et la production.
L’exécutif est appelé à mettre de l’ordre dans ses priorités, en limitant les dépenses publiques aux projets strictement nécessaires au soutien de l’offre.
Avec le PLF 2023, le gouvernement ne s’aligne pas sur l’appel de Sa Majesté le roi Mohammed VI au secteur privé, l’exhortant à assumer ses responsabilités. Il envoie par contre des signaux contradictoires. Pour que ledit secteur s’engage davantage en termes d’investissement, lui imposer une augmentation des impôts serait une très mauvaise approche. Aujourd’hui, au lieu d’augmenter le taux d’impôt sur les catégories déjà fortement imposées, il faut financer les dépenses par la généralisation des impôts aux catégories qui y échappent alors qu’elles opèrent dans des secteurs ayant pignon sur rue.
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Comment amortir une éventuelle récession ?
Le gouvernement ne semble pas prendre la pleine mesure de la crise que nous traversons. Nous vivons les pires taux d’inflation depuis les années 80. Les responsables publics ne comprennent pas que nous sommes face à phénomène monétaire et non à un mouvement des prix sur quelques matières. Beaucoup d’entre eux pensent qu’il s’agit simplement d’un dérapage des prix dû à des facteurs extérieurs et que ceux-ci reprendront leur marche normale, quand ces facteurs disparaîtront. Pour rappel, dans la décennie 2000, les prix du pétrole sont passés de 25 dollars en 2000 à 124 dollars en 2008 et il y avait deux guerres au Moyen-Orient et une lutte mondiale contre le terrorisme. Et pourtant l’inflation était restée à des niveaux modérés.
Si la flambée des prix se poursuit, nous allons nous retrouver devant des mouvements sociaux difficiles à contrôler, à l’image de ce qui s’est passé dans les années 1981, 1984 et 1990. Les premières protestations contre la cherté de la vie ont déjà commencé dans plusieurs capitales et elles se poursuivront.
À mon humble avis, il vaut mieux faire face à une récession économique et une augmentation du chômage, mais en jugulant cette inflation, plutôt que de subir une hausse générale et durable des prix qui érodera les pouvoirs d’achat et n’épargnera personne.
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