La Zakat peut-elle éradiquer la pauvreté ?
Il est tout à fait normal de se poser la question : tendons-nous vers le Nissab ? Autrement dit, sommes-nous soumis à cette obligation religieuse qu’est la Zakat ? Car oui, c’est l’un des piliers de l’Islam, mais tout le monde ne peut se le permettre.
La Zakat Al Maal (à ne pas confondre avec Zakat Al Fitr) est une aumône obligatoire que chaque musulman doit verser annuellement, représentant 2,5% de sa richesse accumulée au-dessus d’un certain seuil, appelé le Nissab. Ce seuil est basé sur la valeur de 85 grammes d’or ou son équivalent en argent. La Zakat concerne principalement l’argent, l’or, les marchandises commerciales, les cultures agricoles… «c’est une obligation qui incombe à tout musulman possédant une épargne de plus d’une année lunaire. Il y a aussi les biens destinés aux stocks commerciaux tout simplement, que ce soit de l’immobilier commercial, tout ce qui est destiné au commerce. Après, il y a quelques détails qui varient selon les spécificités, mais de manière générale, c’est une obligation annuelle», explique Dr Mohamed Talal Lahlou à LeBrief. Contrairement à la Sadaqah, qui est une aumône volontaire, la Zakat est une obligation religieuse. Imposée par le Coran et la Sunnah, la Zakat vise à redistribuer les richesses, à réduire les inégalités et à renforcer les liens sociaux.
Aux origines de la Zakat
Le Coran mentionne la Zakat à plusieurs reprises, soulignant son importance. Par exemple, dans Sourate Al-Baqarah (2, verset 110), il est dit : «Et accomplissez la prière et acquittez la Zakat. Et tout ce que vous avancez de bien pour vous-mêmes, vous le retrouverez auprès d’Allah, car Allah voit parfaitement ce que vous faites». De plus, la Sunnah du Prophète Mohammed regorge d’encouragements à donner la Zakat, la décrivant comme un moyen de purification des biens et des âmes.
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L’un des principaux objectifs de la Zakat est de promouvoir la justice sociale. En redistribuant une partie des richesses des plus aisés vers les plus démunis, la Zakat vise à réduire les écarts économiques et à assurer que les besoins fondamentaux de chaque individu soient satisfaits.
Le Coran précise huit catégories de bénéficiaires de la Zakat dans la Sourate At-Tawbah (9, verset 60): «Les aumônes ne sont destinées que pour les pauvres, les indigents, ceux qui y travaillent, ceux dont les cœurs sont à gagner (à l’Islam), l’affranchissement des esclaves, ceux qui sont lourdement endettés, dans le sentier d’Allah et pour le voyageur (en détresse). C’est un décret d’Allah! Et Allah est Omniscient et Sage». Ces catégories visent à couvrir un large éventail de besoins sociaux et économiques, garantissant que l’aide parvienne à ceux qui en ont le plus besoin.
Concernant la dernière catégorie, de voyageurs, même riches en apparence, ils peuvent se trouver dans une situation des moins enviables. «Un voyageur, même riche dans son pays, qui est arrivé à un endroit où il n’a plus de ressources, comme ce qui est arrivé aux Marocains en Thaïlande, il n’a aucun moyen de communiquer ou de subvenir à ses besoins. Il est donc éligible à la Zakat», détaille Dr Lahlou.
Le calcul de la Zakat
Le calcul de la Zakat repose sur la richesse nette d’une personne, après déduction de certaines dettes et des obligations financières. Les Musulmans sont encouragés à effectuer ce calcul de manière précise et honnête, souvent avec l’aide de guides ou de conseillers religieux. La collecte de la Zakat peut être organisée à travers des institutions, des mosquées ou des organisations caritatives, assurant une distribution équitable et efficace des fonds.
Quand les gens donnent et voient le résultat immédiat de leur donation, en général, ils ont tendance à donner plusDr Mohamed Talal Lahlou
Dans d’autres pays musulmans, une personne mandatée par l’État peut se charger de la réception et redistribution de la Zakat. Il y a aussi des associations, des fonds, des structures, dédiées aux causes internationales. «Au Maroc, on a un compte spécial Zakat dans la comptabilité nationale qui apparaît toutes les années dans la Loi de Finances, mais qui n’est pas actif. On a vu une initiative de l’association marocaine pour la Zakat du temps de feu Hassan II qui avait lancé une initiative. Ils étaient quasiment arrivés à la fin du process, mais avec le décès de Hassan II, certaines choses ont été suspendues. Durant ces dernières années, au-devant de la place publique et au Parlement, certains ministres ont évoqué cette question».
Selon le Docteur, moins il y a de circuits intermédiaires qui vont traiter les dons, plus les gens donneront. «Quand les gens donnent et voient le résultat immédiat de leur donation, en général, ils ont tendance à donner plus».
Cette tendance est d’ailleurs visible aujourd’hui avec les associations qui publient leurs initiatives sur les réseaux sociaux. Les contributeurs n’hésitent pas à donner plus parce qu’ils préfèrent voir le résultat de leurs donations.
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Mais au milieu de tout ça, comment déterminer le montant à allouer à sa Zakat ? Pour cette année 2024, le montant du Nissab se calcule sur la base de 85 grammes d’or ou Nissab d’argent, sur les titres bancaires, l’immobilier ou terrains à valeur ajoutée (le stock immobilier destiné à la revente)… Tout cela est soumis à la Zakat.
Prenons l’exemple de l’or pour un petit exercice de mathématiques. Ce métal précieux est à environ 745 dirhams le gramme (à l’heure où nous écrivons ces lignes). Si vous possédez l’équivalent de 85g d’or depuis plus d’une année lunaire, il faut multiplier vos grammes d’or par sa valeur, puis déterminer les 2,5% de la Zakat.
Démonstration :
85g*745 DH = 63.325 DH.
2,5% de 63.325 DH= 1.583,125 DH
Votre Zakat s’élève à mille cinq cent quatre-vingt-trois dirhams et douze centimes.
Idem pour l’immobilier. Voir ce qui vous reste d’épargne globale à date d’anniversaire de votre précédente Zakat, et déterminer les 2,5% du total.
La Zakat se perd-elle ?
De par le monde, il y a un éloignement certain des religions, quelle que soit la confession. Selon l’analyse de Dr Talal Lahlou, au Maroc, il n’en est rien. Malgré les guerres, les changements de pouvoir, les catastrophes naturelles… la seule stagnante demeure la religion.
«Ce genre d’actions permettent à la société civile d’être réellement imbriquée, plus solidaire. C’est quelque chose qui permet à la société civile d’éviter les situations d’inégalités sociales flagrantes, criantes, d’éviter les situations de pauvreté flagrante».
Un écart social à combler
L’impact de la Zakat est profond et multifacette. Elle contribue à l’élimination de la pauvreté, à la réduction des inégalités et à la promotion de l’entraide et de la compassion. En soutenant les plus vulnérables, la Zakat renforce la cohésion sociale et favorise un sentiment de responsabilité collective. De plus, elle encourage les Musulmans à développer une relation saine avec leurs biens, fondée sur le partage et la générosité. «Ce qui est intéressant avec la Zakat, c’est que ça va directement aux gens les plus vulnérables. Le fait de donner directement à cette catégorie de personnes, enclenche une sorte de multiplicateur qui permet de donner un gros boost à l’économie. Pourquoi cela ? Les personnes de classe moyenne ou de classe supérieure, avec un budget plus conséquent en général, ont tendance à faire des achats superflus, ou des épargnes, alors que pour les personnes dans le besoin, l’argent est directement consommé dans les biens de première nécessité», déclare Dr Lahlou.
Autre point intéressant, une Zakat peut aider un artisan, ou autre, à investir dans une petite activité. Ce qui est fortement recommandé, puisque de récepteur de la Zakat cette année, il pourra devenir donateur l’année d’après, grâce à son bénéfice.
Aujourd’hui, des études prouvent que la Zakat collectée modifie profondément la situation économique. Le budget général, dans un certain nombre de pays, tourne autour de 10 à 15% du PIB, «Lorsque nous voyons que la Zakat représente 3 à 6% du PIB, on peut dire que nous sommes de l’ordre de 20 à 40% du budget général de l’État. Si la Zakat est véritablement prélevée sur tout le monde, cela permettra de réduire la pauvreté à néant».