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C’est un des grands projets du Plan industriel du Pacte vert (Green Deal Industrial Plan) de la Commission von der Leyen. La “taxe carbone” est également l’une des pièces maîtresses du renforcement de l’arsenal juridique européen de lutte contre les émissions de gaz à effet de serre (GES) : le Système d’Échange de Quotas d’Émission (SEQE).
Plus exactement appelée “mécanisme d’ajustement carbone aux frontières” (MACF), cette “taxe carbone” – qui doit encore être formellement validée par les deux institutions, est destinée à fixer un prix carbone pour les importations de certains produits dans l’UE. Elle doit s’appliquer progressivement à partir du 1er octobre 2023, avec une phase de transition de trois ans.
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L’Union a pour objectif d’atteindre la neutralité climatique à l’horizon 2050. À cette date, les émissions de gaz à effet de serre de l’Union doivent être suffisamment faibles pour être absorbées dans des puits de carbone naturels (sols, océans…) ou artificiels. Ce qui suppose de réduire l’empreinte carbone des activités économiques.
30 ans de négociations climatiques
Si l’Union est la première à avoir mis en place un système d’échange de quotas d’émissions, elle n’est pas la seule. La Chine a par exemple lancé son propre système en 2021, couvrant ses centrales thermiques. Certains États des États-Unis, le Canada, la Corée du Sud ou encore l’Uruguay ont des marchés de ce type.
Selon l’Institut de l’économie pour le climat (I4CE), «l’ensemble des juridictions mettant en œuvre un prix du carbone représente environ 55 % des émissions mondiales de GES». Un chiffre qui intègre également les taxes sur les émissions, qui ne sont pas des marchés à proprement parler. Pour autant, en prenant en compte les exonérations en place dans ces différents pays, «seules 20 % des émissions anthropiques de GES sont couvertes par un prix du carbone», précisent les chercheurs de l’institut.
Selon l’UE, le MACF vise à «éviter de neutraliser les efforts de réduction des émissions de gaz à effet de serre de l’UE par des importations de produits fabriqués dans des pays tiers, où les politiques en matière de changement climatique sont moins ambitieuses que dans l’Union européenne. Il contribuera également à prévenir la délocalisation de la production ou l’importation de produits à forte intensité de carbone».
L’idée d’un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières n’est pas nouvelle. L’UE l’a soumise en 1991, un an avant le sommet de la Terre de Rio. Si cette perspective avait été rapidement écartée par nombre d’États membres à l’époque, elle est revenue à l’agenda de la Commission européenne fin 2019.
Le MACF est donc conçu pour compléter le système d’échange de quotas d’émission (SEQE), qui s’applique depuis 2005 à l’ensemble des pays membres de l’UE ainsi qu’à l’Islande, au Liechtenstein et à la Norvège. Il définirait le seuil d’émission de GES à partir duquel une activité économique serait considérée comme polluante et devrait donc avoir à payer une taxe pour ses exportations vers l’UE.
Entrant en vigueur le 1er octobre 2023, avec une phase de transition de trois ans, elle devrait instaurer une concurrence loyale entre les produits européens et ceux importés, freinant ainsi la délocalisation des industriels du vieux continent.
Qu’est-ce que la taxe carbone ?
La taxe carbone est une écotaxe : un impôt environnemental dont le principal objectif est de lutter contre le réchauffement climatique en taxant les énergies fossiles telles que le pétrole, le charbon ou encore le gaz.
Dû par tout consommateur, particulier ou professionnel, d’énergie polluante, l’objectif de cet impôt est d’inciter à user de pratiques plus respectueuses de l’environnement.
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Basée sur le principe pollueur-payeur, la taxe carbone est facturée à proportion de la quantité de CO2 émise. Ainsi, le montant varie en fonction de la quantité de CO2 rejetée dans l’atmosphère lors de la consommation d’un bien, d’un service ou encore d’une ressource (utilisation d’un véhicule ou encore d’un chauffage au fioul, par exemple).
La taxe carbone a pour principal avantage de limiter les comportements polluants. Il s’agit d’un véritable outil fiscal incitatif pour inciter à la baisse de consommation de carburant. Elle encourage les particuliers comme les professionnels à se tourner vers des solutions plus écologiques.
En revanche, la taxe carbone se répercute directement sur le prix des produits. Elle a donc comme inconvénient majeur de réduire le pouvoir d’achat des foyers et notamment des foyers les plus modestes qui voient une augmentation directe de leurs dépenses à la pompe à essence.
Quels produits sont concernés par la taxe carbone ?
À ce jour, seuls les produits primaires – les émissions directes dans la fabrication des produits – sont ciblés par le MACF. Ceux-ci sont plus simples à suivre d’un point de vue carbone, contrairement au reste de la chaîne de valeur, dont la complexité de reporting augmente avec la diversité des produits.
Selon le GHG Protocol Corporate Standard, les émissions GES des entreprises sont classées en trois catégories : les émissions directes, provenant de la combustion d’énergie fossile dans la fabrication directe du produit ; les émissions indirectes liées aux consommations d’énergies nécessaires à la fabrication du produit et les autres émissions, liées aux autres étapes du cycle de vie du produit tel que l’approvisionnement, le transport ou la fin de vie.
Le déploiement prévu du mécanisme est, comme cité précédemment, progressif sur les secteurs et sur les scopes pris en compte. Les produits concernés seront de ce fait amenés à évoluer sur les prochaines années.
L’Union Européenne a en effet adopté un élargissement du champ d’application de la taxe, qui adressera dans un second temps le secteur maritime, les émissions des vols aériens intra-européens et les sites d’incinération des déchets.
Sept secteurs parmi les plus émissifs et à risque en termes de délocalisation du carbone sont pour l’heure concernés, à savoir le ciment, l’acier, le fer, l’aluminium, les engrais, la production d’énergie électrique et l’hydrogène.
Cette liste devrait s’élargir graduellement pour être identique à celle des secteurs soumis au SEQE. Celle-ci comprend la production d’énergie et de chaleur, le raffinage du pétrole, l’acier, le fer, l’aluminium, les métaux, le ciment, la chaux, le verre, la céramique, la pâte à papier, le papier, le carton, les acides et les produits chimiques organiques en vrac.
Taxer les entreprises polluantes
Le MACF vise à réduire le bilan lié aux entreprises qui exportent vers l’Union, en limitant les fuites d’émissions carbone. Concrètement, le MACF permettra d’appliquer des coûts supplémentaires selon les émissions de carbone des entreprises situées dans les pays tiers. Les biens importés sur le territoire de l’UE et dont la production n’est pas soumise à un prix du carbone (ou à un prix faible) se verront alors appliquer un surcoût en entrant sur le marché européen estimé à 87 euros par tonne de CO2.
Les entreprises exportatrices seront alors incitées à se tourner vers des technologies moins émettrices. Ce qui permet de limiter le bilan climatique «externe» de l’UE et d’inciter les pays tiers à renforcer, eux aussi, leurs politiques environnementales.
Par ailleurs, face à une réglementation environnementale de plus en plus ambitieuse, les multinationales implantées sur le vieux continent peuvent être tentées de délocaliser leurs activités pour polluer «librement» ailleurs. C’est précisément ce que souhaite éviter l’Union. «On veut à la fois décarboner l’industrie européenne tout en protégeant notre tissu industriel», argumente dans un rapport d’initiative l’eurodéputé écologiste Yannick Jadot.
Une taxe qui pourrait coûter cher à l’Afrique
En Afrique comme ailleurs, les partenaires commerciaux de l’UE qui ne seront pas en mesure de décarboner leurs industries, comme le font les Vingt-Sept, risquent de perdre l’accès au marché européen ou y seront moins compétitifs.
«Au niveau africain, d’autres pays semblent encore plus affectés par ces mesures d’ajustement carbone à la frontière. Notamment l’Afrique du Sud, la Mauritanie ou encore le Mozambique qui perdent l’opportunité d’engranger la création de la valeur ajoutée induite par la transformation de leur principal produit d’exportation», écrivait Mohamed Lamine Sidibé, fondateur de l’Observatoire guinéen des mines et métaux, en avril dernier.
Selon un rapport publié le 14 février par la Commission présidentielle sur le climat (Presidential Climate Commission) en Afrique du Sud, le MACF pourrait engendrer une baisse comprise entre 30 et 35% des exportations africaines vers le marché européen dans les sept secteurs qu’il couvre. Certains pays africains sont plus menacés que d’autres.
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L’organe indépendant, créé par le président sud-africain Cyril Ramaphosa, estime que «les exportations africaines des secteurs couverts par le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières vers le marché européen devraient s’établir à 3,9 milliards d’euros (4,1 milliards de dollars) en 2030». La Commission estime des pertes pouvant atteindre plus de 2 milliards d’euros par an.
Sans ce mécanisme, les exportations de ces mêmes secteurs auraient pu atteindre 5,6 milliards d’euros (5,9 milliards de dollars) en 2030 si l’UE avait maintenu son objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre à 40 %. Elles auraient même pu atteindre 6 milliards d’euros (6,3 milliards de dollars) si les Vingt-Sept avaient adopté un objectif de réduction des émissions de 55 %, tout en supprimant les quotas d’émissions gratuits accordés aux industriels dans les secteurs soumis au SEQE pour mieux affronter la concurrence extra-européenne.
Une modélisation basée sur un prix de carbone de 75 dollars par tonne a d’ores et déjà fait ressortir une baisse des importations européennes. La commission prévoit que les exportations vers l’Union pourraient reculer de 8,7 % pour les produits chimiques, de 16 % pour l’aluminium, de 30,5 % pour le fer et l’acier et de 44,3 % pour le ciment en 2030.
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La Commission souligne également que l’impact du MACF sur les exportations africaines pourrait être plus grave si les prix du carbone poursuivent leur tendance haussière observée ces dernières années.
Si le continent a encore quelques mois pour se préparer au pire, l’avenir paraît sombre. Le rapport note cependant que la contestation juridique de la nouvelle taxe carbone européenne a peu de chances d’aboutir.
La Commission recommande aux États africains de poursuivre des voies politiques pour inciter les décideurs européens à modifier la conception du mécanisme en excluant par exemple les émissions indirectes, en adoptant une mise en œuvre plus lente ou encore à restreindre le champ d’application du nouveau mécanisme en excluant certains secteurs comme celui des industries chimiques.
Un nouveau défi pour les industriels marocains ?
Les émissions GES du Maroc restent relativement faibles. Avec 86.127,7 gigagrammes d’équivalent dioxyde de carbone (Gg éq CO2) en 2016, celles-ci représentent environ 0,2 % des émissions mondiales de GES.
Interrogé sur la capacité de l’industrie nationale à répondre aux nouvelles exigences européennes en termes de décarbonation, le ministre de l’Industrie et du Commerce, Ryad Mezzour, a assuré, lors de son passage à l’émission Grand Format-Le360, que le Maroc considère la taxe carbone comme un avantage plutôt qu’un inconvénient.
Selon le ministre, le MACF permettrait aux industriels marocains de mieux se positionner par rapport à ses concurrents. «Il ne faut pas voir ce mécanisme comme quelque chose de lourd à porter par nos industriels, il faut le voir comme un avantage pour éliminer de la concurrence», a-t-il souligné.
«L’entrée en vigueur de la Taxe Carbone de l’Union européenne peut potentiellement présenter un levier de compétitivité important pour les entreprises installées au Maroc», a de son côté relevé Mohcine Jazouli, ministre délégué chargé de l’Investissement, de la convergence et de l’évaluation des politiques publiques. Et d’ajouter que «le recours accru aux technologies digitales et la transformation numérique des acteurs économiques offrent également au Maroc la possibilité de lever les barrières logistiques et les contraintes géographiques».
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Toutefois, avec 65 % de ses exportations destinées au marché européen, le MACF pourrait fortement impacter l’industrie marocaine. Et face à la nécessité de mettre en place une stratégie d’optimisation énergétique, de nombreuses entreprises marocaines s’engagent dans des programmes de transition énergétique.
L’utilisation d’énergies propres pour la mise en place d’un marché carbone national et de mécanismes de certification de l’empreinte carbone des produits marocains, s’accélère. Le Département de l’Industrie marocain a, dans ce sens, lancé plusieurs initiatives visant à accélérer la décarbonation de l’économie nationale : le “War Room Green Economy” pour promouvoir l’émergence d’un écosystème favorable à l’économie verte ou le programme “Tawtir croissance verte” concernant le réduction de la pollution industrielle des TPME.
Taxe carbone : vers une émulation mondiale
À l’heure de «la régionalisation de la mondialisation», la taxe carbone aux frontières de l’Europe constitue une opportunité pour le vieux continent de protéger son marché à travers la définition de normes non tarifaires profitant aux industries européennes.
D’un côté la Chine et son aide massive aux entreprises avec les aides d’État et, de l’autre, les États-Unis à travers l’Inflation Reduction Act (IRA) développent le protectionnisme environnemental, l’Europe ambitionne faire de la décarbonation de l’économie une opportunité de réindustrialisation verte de son économie.
Et la mise en place du MACF par l’UE pourrait conduire à une vague d’adoption de politiques similaires dans d’autres économies développées, comme le Japon et l’Amérique du Nord, ainsi que dans les pays en développement ayant la capacité de décarboner leurs industries, comme la Chine.
Une politique semblable permettrait à ces pays d’éviter de payer une taxe carbone aux frontières lors de l’exportation de leurs biens et services vers l’UE. Cela renforcerait aussi considérablement l’exposition des pays en développement, en particulier en Afrique, en Asie et en Amérique latine.
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