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«La petite fille au napalm»

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Un enfant devant la dépouille d'un membre de sa famille à Gaza © X (Twitter)

Le cliché avait fait le tour du monde et fait basculer le cours de la guerre du Vietnam. Une petite fille de neuf ans, brûlée au 3ᵉ degré par le napalm des bombes américaines qui venaient de tomber sur son village, courait en hurlant sa douleur face à l’objectif d’un jeune photographe de l’Associated Press. 51 ans après, les images, moins esthétiques, d’enfants de Gaza brûlés enflamme la toile. Elles, dans un an, n’auront probablement pas le prix Pulitzer, mais méritent d’arrêter le monde le temps d’une question : l’État hébreu utiliserait-il des « armes sales » dans cette guerre contre le Hamas ?

À Gaza, une situation alarmante se développe. Les hôpitaux, déjà saturés, sont témoins d’un nouveau type d’horreur : plusieurs médecins ont rapporté à que les civils blessés présentaient de graves brûlures (de l’ordre du quatrième degré) jamais observées auparavant. Un constat qui suggère l’utilisation d’armements atypiques dans le conflit qui a fait à date 16.297 blessés.

Le porte-parole du ministère gazaoui de la Santé, Ashraf al-Qudra, a déclaré dimanche dans un communiqué que «le personnel médical a surveillé l’utilisation d’armes inhabituelles qui ont causé de graves brûlures aux corps des martyrs et des blessés». Israël n’a, pour l’heure, pas encore commenté ces déclarations.

Comme si les défis posés par ces nouvelles blessures n’étaient pas suffisants, le système de santé de Gaza est au bord de l’effondrement. Le chirurgien Ghassan Abu Sitta, via un message affligeant sur X (anciennement)Twitter, a révélé : «Nous n’avons plus de pansements pour brûlures. Nous avons plus de 70 blessés dont les brûlures couvrent plus de 40 % de la surface de leur corps. 80 % sont des enfants».

Alors que Gaza déplore le décès de 5.791, dont 2.360 sont des enfants, ce n’est pas la première fois que ces allégations concernant des armes non conventionnelles surviennent. Et le ministère gazaoui de la Santé appelle les institutions internationales à révéler la nature de l’arme utilisée par Israël.

Des armes sales

Dès le début de la guerre, des rapports, notamment émanant de l’organisation Human Rights Watch, alertaient sur une possible utilisation de roquettes ou de bombes incendiaires lors des attaques israéliennes contre Gaza. «L’utilisation d’armes dans les conflits armés relève du droit international humanitaire, lequel interdit le ciblage direct des civils et interdit les attaques aveugles et disproportionnées», avait déclaré, en 2016, Hannah Bryce, directrice adjointe des questions de sécurité internationale au think tank Chatham House.

Les bombes incendiaires commencent à être utilisées massivement durant la Première Guerre mondiale, parallèlement à la naissance de l’aviation militaire. Le 31 mai 1915, pour la toute première fois, une attaque aérienne utilisant des bombes incendiaires est menée sur Londres avec un dirigeable allemand Zeppelin. Et les guerres contemporaines ne sont pas en reste.

Si pour l’heure, nous ne savons pas précisément quelles armes déployées ont pu provoquer de telles lésions, les observateurs et autres analystes avancent plusieurs pistes. Phosphore blanc, forme évoluée du napalm, uranium appauvri … voici les principales armes qu’Israël pourrait utiliser dans sa guerre contre le Hamas.

Phosphore blanc

Human Rights Watch a, dès le 12 octobre, émis un rapport dans lequel l’organisation a vérifié des vidéos prises au Liban et à Gaza respectivement les 10 et 11 octobre 2023, montrant de multiples explosions de phosphore blanc tirées par l’artillerie au-dessus du port de la ville de Gaza et de deux zones rurales le long de la frontière israélo-libanaise.

Dans une autre analyse, France Info a conclu que ces allégations étaient vérifiées.

Le phosphore blanc «n’est pas classé comme une arme chimique», dont l’usage est interdit par la Convention sur l’interdiction des armes chimiques (CIAC) entrée en vigueur en 1997. Les bombes au phosphore blanc entrent dans la catégorie des armes incendiaires dont l’utilisation est codifiée par le protocole III de la Convention sur certaines armes classiques (CCAC) entrée en vigueur en décembre 1983, qui restreint leur emploi, mais sans les interdire totalement.

Israël a ratifié la convention sans se déclarer lié par le protocole III.

«La petite fille au napalm»

Des bombes au phosphore, laissant des traînées blanches dans le ciel, s’abattent sur le port de la ville de Gaza, le 11 octobre 2023. © Mohammed Adeb / AFP

«On parle d’un équipement qui est à la disposition de beaucoup d’armées dans le monde», selon Olivier Lepick, chercheur associé à la Fondation pour la recherche stratégique. Son utilisation peut servir d’écran de fumée pour masquer des mouvements de troupes, éclairer le champ de bataille ou encore ravager par l’incendie des infrastructures.

Le phosphore blanc s’enflamme au contact de l’air et continue de brûler jusqu’à ce qu’il soit privé d’oxygène ou épuisé. Sa réaction chimique peut créer une chaleur intense (environ 815°C), de la lumière et de la fumée. Le protocole CCAC stipule que ce type d’armes «est interdit en toutes circonstances» contre les populations civiles.

Il est connu pour «provoquer des dégâts absolument effroyables, des brûlures extrêmement importantes», et ses effets sont exacerbés dans les régions densément peuplées comme Gaza. «Chaque fois que du phosphore blanc est utilisé dans des zones peuplées de civils, cela présente un risque élevé de brûlures atroces et de souffrances permanentes», a déclaré Lama Fakih, directeur de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch.

«Il n’y a aucune raison tactique et militaire pouvant justifier de l’usage de cette munition dans un environnement urbain. On pourrait suggérer que cette arme est juste utilisée à des fins de destruction et de terreur», estime Chris Cobb-Smith, expert en balistique et directeur du Chiron Resources, une société britannique de conseil en sécurité à destination des médias. Après avoir pris connaissance des contenus vérifiés par France Info, ce spécialiste confirme avoir reconnu du phosphore blanc.

https://twitter.com/DrHamzaAlkinani/status/1715823325392634262?s=20

Si médias et ONG ont documenté l’utilisation par l’armée israélienne de munitions au phosphore blanc dans le cadre des bombardements qui visent Gaza, Israël continue de nier et dénonce une «distraction des horreurs commises par le Hamas». Et ce ne sera pas la première fois qu’Israël utilise ce type d’armes dans la bande côtière.

Amnesty International comme Human Rights Watch avaient pu fournir la preuve de cette utilisation en 2009. L’armée israélienne a été de plus accusée d’utiliser des bombes au phosphore à Gaza par le directeur de l’agence de l’ONU pour l’aide aux réfugiés palestiniens (Unrwa) John Ging. Quelques mois plus tard, Israël avait fini par admettre s’être servi de telles munitions puis en 2013 Tsahal s’était engagé à ne plus de phosphore blanc dans les zones peuplées, sauf dans deux situations précises qu’elle a révélées uniquement aux juges.

Forme avancée de napalm

«Nous nions ces allégations, nous n’avons pas utilisé de phosphore blanc, ni à Gaza ni au Liban», a déclaré un porte-parole de l’armée israélienne. Les bombes au napalm alors ?

Cet autre type de munition incendiaire célèbre inventée en 1942, à base d’essence gélifiée, fait l’objet de doute. Surtout connu pour avoir été utilisé par l’armée américaine au Vietnam, le napalm brûle à des températures allant de 800 à 1.200 °C. Il brûle plus longtemps que l’essence, se disperse plus facilement et adhère à ses cibles. Il est illusoire de vouloir refroidir les plaies avec de l’eau.

De plus, il est souvent combiné au phosphore blanc qui amplifie ses effets. Celui-ci permet d’enflammer le napalm et sert de détonateur dans ce type de bombe incendiaire. Lorsqu’une bombe au napalm explose au sol, le phosphore s’enflamme en premier à haute température, en laissant une traînée blanche caractéristique, puis le napalm s’enflamme. Il en résulte une grande boule de feu qui progresse rapidement et qui atteint la taille d’un immeuble de plusieurs étages pour les plus grosses munitions incendiaires.

Une convention des Nations unies de 1980 l’interdit contre les populations civiles. Les États-Unis ne signent cette convention qu’en 2009, mais affirment avoir détruit leur arsenal en 2001. Lors de l’invasion de l’Irak en 2003 les États-Unis utilisent des bombes incendiaires de type 77, dont le contenu n’est pas techniquement du napalm B, mais qui est similaire en composition avec du kérosène et moins de benzène.

Une utilisation massive du napalm a été attestée par le passé dans plusieurs guerres notamment, par la France durant la Guerre d’Indochine, en particulier durant la Bataille de Vinh Yen en 1951, ou encore pendant la guerre d’Algérie (1954-1962).

Thermite

Un expert occidental en armement, qui publie anonymement sur X sous le pseudo Caliber Obscura, a déclaré à l’AFP après avoir visionné des photos que si la traînée blanche pouvait indiquer du phosphore blanc, il pourrait aussi s’agir de thermite. «Ce sont techniquement des coquilles d’écran de fumée, même si je ne peux pas nécessairement vous dire ce qui est utilisé pour fabriquer l’écran de fumée. La thermite et le phosphore blanc se ressemblent en fait», a déclaré l’expert.

Mélange d’oxydes d’aluminium et d’un autre métal, généralement le fer, la thermite brûle à des températures pouvant atteindre 2.500 degrés C. Ce n’est pas un explosif au sens strict d’une réaction explosive, elle agit en exposant une petite partie d’un métal à de très hautes températures, permettant ainsi des usages comme la découpe de métal, ou bien la soudure, par exemple pour souder des rails de chemin de fer.

L’utilisation militaire à des fins de destruction de matériel sensible ou pris à l’ennemi a démarré lors de la Seconde Guerre mondiale et se maintient. Un de ses dérivés est utilisé dans les grenades incendiaires comme les AN-M14 qui permettent aux soldats de détruire complètement des hélicoptères perdus au combat comme ce fut le cas au cours de la bataille de Mogadiscio, ou pour la mort d’Oussama ben Laden.

Les mélanges donnant de la thermite étant capables de faire fondre du métal, leur effet sur les corps est facile à imaginer. L’utilisation de ces projectiles ravageurs sur les troupes militaires comme sur les civils qui pourraient se trouver à proximité avait déjà été notée dans l’est de l’Ukraine lors du début de la guerre de 2014. Comme d’autres armes incendiaires, leur utilisation est légale sur des cibles militaires. Elles font également office de fusées éclairantes pour illuminer une zone.

Arme thermobarique

Pour d’autres observateurs, l’arme qui aurait infligé ces brûlures est presque certainement thermobarique, appelées également bombes à vide, bombes aérosol ou «explosifs combustible-air». Celles-ci aspirent l’oxygène de l’air ambiant pour générer une explosion à haute température.

«L’onde de choc se propage dans des espaces confinés, elle est donc particulièrement mortelle pour les personnes se trouvant dans des positions creusées comme des caves ou des cavernes. Elles créent également des températures extrêmement élevées de plusieurs milliers de degrés et peuvent provoquer d’horribles brûlures.», expliquait en 2022, Justin Bronk, chargé de recherche au Royal United Services Institute.

L’histoire des munitions thermobariques remonte à la Seconde Guerre mondiale, avec leur première utilisation par l’armée allemande. Néanmoins, leur développement à grande échelle n’a eu lieu que dans les années 1960, lorsque les États-Unis les ont utilisés pendant la guerre du Vietnam. Ils les ont principalement utilisées pour frapper des complexes de grottes de Tora Bora en Afghanistan où Al-Qaida était censée se cacher, puis en 2017 contre Daech.

Les forces russes utilisent également ce genre de munitions depuis les années 1960. La Russie a été condamnée par Human Rights Watch en 2000 lorsqu’il a été signalé qu’elles étaient utilisées en Tchétchénie. Et plus récemment, Amnesty International a signalé que les gouvernements russe et syrien avaient tous deux utilisé des munitions thermobariques contre les insurgés en Syrie.

En 2003, les États-Unis ont testé une bombe de 9.800 kilogrammes surnommée «Mother of all bombs) (traduisez, la «Mère de toutes les bombes»). Quatre ans plus tard, la Russie a introduit un engin similaire connu sous le nom de «Father of all bombs» (traduisez, «Père de toutes les bombes»), déclenchant une explosion équivalente à une bombe conventionnelle de 44 tonnes, ce qui en fait le plus gros engin explosif non nucléaire au monde.

Et Israël les utilise depuis les années 1980, bien que largement condamnée par les organisations de défense des droits de l’Homme.

Ce qui est nouveau à Gaza est probablement une nouvelle formulation (et taille) qui provoque l’atteinte d’une température très élevée – moins de souffle (bien qu’encore important), plus de degrés Celsius (plus de 2.000 °C). L’équipe d’Euro-Med Monitor à Gaza a signalé l’utilisation apparente par Israël d’armes thermobariques, en particulier de bombes à vide, dans son offensive, entraînant une dévastation de grande envergure et la capacité de niveler des structures à plusieurs étages.

Arme nucléaire à rayonnement résiduel minimum

«Je vais vous dire ce qui est bien plus susceptible de provoquer des «brûlures au 4e degré» : les armes nucléaires à rayonnement résiduel minimum (MRR) de 3e génération, le genre d’armes nucléaires que j’ai montré qu’Israël a utilisées partout dans le monde dans sa « guerre de la terreur », a réagi sur X un ingénieur.

 

En 1978, le New York Times a rapporté que des scientifiques américains avaient commencé à travailler sur une bombe à «rayonnement résiduel réduit» (RRR), également appelée «bombe explosive» qui «réduit considérablement les retombées». Ce qu’Andre Gsponer de l’Institut de recherche scientifique indépendant a appelé une bombe nucléaire de 3e génération.

«La bombe exploserait au niveau du sol, envoyant d’énormes quantités de débris dans les airs. Sa mission tactique sur le champ de bataille pourrait être de creuser d’énormes cratères, de démolir des bâtiments ou d’enterrer les cols sous les débris», mais de «minimiser les rayonnements résiduels».

Après 1985, toute mention du RRR disparaît, mais curieusement en janvier 2001, le département d’énergie américain, utilisant un tout nouveau terme «Armes à rayonnement résiduel minimum (MRR)», a reconnu «le fait d’un développement réussi des dispositifs MRR» et l’intérêt continu des laboratoires d’armes pour le MRR.

Quelques experts établissent que les brûlures sur les corps des morts, la profondeur de la destruction, ainsi que la nature et l’intensité de la fumée de l’explosion témoignent de l’utilisation d’armes nucléaires tactiques et d’autres contenants de l’uranium appauvri.

L’uranium brûle dans l’air. Il peut ainsi provoquer des températures allant jusqu’à 5.000°C (contre 900°C pour le phosphore, 1.300°C pour le napalm et 2.500°C pour la thermite). L’uranium appauvri a une radioactivité qui se situe environ à 75% de celle de l’uranium naturel. Il a, en outre, la même toxicité chimique, le même effet perturbateur endocrinien et le même pouvoir mutagène que l’uranium naturel.

En 2009, et à la demande des États arabes, l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) a décidé d’ouvrir une enquête sur des soupçons selon lesquels Israël aurait utilisé des munitions à uranium appauvri durant son offensive à Gaza dénommée «Plomb durci». Au moins 1.310 Palestiniens, dont plus de 400 enfants ont alors été tués et 5.400 blessés.

En même temps, l’Action des Citoyens pour le Désarmement Nucléaire (ACDN) avait poursuivi ses investigations sur les 1.000 bombes guidées GBU-39 livrées à Israël par les États-Unis, quelques semaines avant l’opération. L’enquête de cette ONG a confirmé l’essentiel de ses découvertes initiales : Israël a bien utilisé des munitions à l’uranium appauvri, métal radioactif et poison chimique, contre la population de Gaza.

«Après plusieurs démentis, Tsahal a déjà reconnu avoir utilisé des bombes au phosphore blanc [NDLR, en 2009]; gageons qu’il en ira de même pour l’uranium appauvri, lorsque l’attention médiatique se portera sur une autre crise», concluait à l’époque un journaliste.

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