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«Il est facile de déclencher une guerre, mais très difficile de l’arrêter, puisque son début et sa fin ne sont pas sous le contrôle du même homme. N’importe qui, même un lâche, peut déclencher une guerre, mais quiconque veut y mettre fin doit le faire avec le consentement des vainqueurs». Cette analyse de Gaius Sallustius Crispus, historien et homme politique de la Rome antique (86 Av. J-C – 34 Av. J-C) ne semble pas s’éloigner de la réalité plus de 2.000 ans plus tard.
Alors que la guerre entre Israël et le Hamas est entré dans son second mois, nul n’en entrevoit la fin. Avec 1.400 morts côté israélien et plus de 11.000 côté palestinien, le nombre cumulé de victimes n’est-il pas un indicateur significatif pour mettre fin à la guerre ? La durée de la guerre est indépendante de ses pertes, disait d’un ton ferme Rudolph Joseph Rummel dans son ouvrage en cinq volumes «Comprendre les conflits et la guerre».
En général, explique Rummel, le comportement conflictuel prend fin lorsqu’un nouvel équilibre des pouvoirs a été déterminé. Selon l’expert, l’opposition intérieure, les attentes cohérentes quant au résultat, le changement de puissance militaire ou encore la dévaluation idéologique, sont autant de conditions qui facilitent, voire accélèrent la fin de la guerre.
Les guerres sont parfois des épreuves de force entre des formules politiques et des religions : «communisme contre monde libre», «démocratie contre fascisme», «christianisme contre islam», «racisme contre antiracisme», «colonialisme contre anticolonialisme». Car, l’idéologie donne à la guerre une signification qui va au-delà de la question immédiate et objective du statu quo. Cela devient une question de vérité et de justice universelles.
Force est de constater qu’entre Israël et le Hamas, le conflit n’échappe pas à ces notions, à presque toutes ces notions.
Une fois qu’un conflit international est déclenché, qu’est-ce qui y met fin ? Et surtout qui peut-il y mettre fin ?
Les Nations unies : maintenir la paix et la sécurité internationales ?
Après quatre tentatives infructueuses, le Conseil de sécurité de l’ONU a tenté cette semaine pour la cinquième fois de parvenir à une résolution de cessez-le-feu. La plus haute instance des Nations unies a réussi à adopter le texte. Ou pour être plus explicite, aucun des cinq membres permanents n’a mis de veto au moment du vote.
Le Conseil chargé de maintenir la paix et la sécurité internationales et qui compte 15 membres, est paralysé depuis le 7 octobre dernier en raison de ses divisions internes. C’est particulièrement le cas entre la Chine et la Russie, qui souhaitent un cessez-le-feu immédiat, et les États-Unis, le plus proche allié d’Israël. Ce dernier, tout en mettant son veto aux textes qui ne mentionnent pas le «droit d’Israël à se défendre», a appelé à des pauses humanitaires, mais s’oppose à toute mention d’un cessez-le-feu.
Les divisions sérieuses entre les membres du Conseil de sécurité ont finalement pu être surmontées, dans la nuit du mercredi 15 au jeudi 16 novembre, pour arriver à un consensus sur la formulation.
Du droit de veto
Il est intéressant de noter qu’en 2013, sur proposition du président français alors, François Hollande, l’Hexagone avait incité à l’encadrement du recours au veto. L’idée consistait à ce que les cinq membres permanents du Conseil de sécurité, à savoir la Chine, les États-Unis, la France, le Royaume-Uni et la Russie, s’engagent volontairement et collectivement à ne pas recourir à ce droit «lorsqu’une situation d’atrocité de masse est constatée, c’est-à-dire les crimes de génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre sur une grande échelle».
Du droit de veto
Et, pour la première fois en plus d’un mois de guerre, le Conseil de sécurité a appelé à des «pauses et couloirs humanitaires» de quelques jours dans la bande de Gaza. Ce texte, qui a recueilli 12 voix pour et 3 abstentions (États-Unis, Royaume-Uni et Russie), est la première résolution adoptée par le Conseil depuis fin 2016 sur le dossier israélo-palestinien qui divise l’instance.
Cette formulation soulève toutefois la question du nombre de jours qui serait «suffisant». Une précédente version du texte réclamait une pause de cinq jours consécutifs dans les 24 heures suivant l’adoption de la résolution. «Il faut que ce soit suffisamment long pour nous permettre de mobiliser les ressources, une fois que nous aurons suffisamment de carburant, pour apporter à la population ce dont elle a besoin», a commenté mercredi Stéphane Dujarric, porte-parole du secrétaire général de l’ONU.
C’est un progrès certes minime, mais un progrès quand même.
Du droit d’Israël à se défendre
Le mantra du «droit d’Israël à se défendre» est, depuis le 7 octobre, répété sans cesse et rarement remis en question. Dès lors, l’État hébreu, en première ligne, s’est prévalu de son droit à la «légitime défense» en représailles à l’attaque du Hamas. Ses alliés les plus proches l’ont répété à leur tour.
Toutefois, avec chaque jour qui passe, avec chaque bébé mort dans un hôpital de Gaza, cette justification devient plus difficile à accepter. Mais ces propos relèvent de la morale et non pas de la loi. Alors que dit le droit au juste ?
«C’est une question d’une simplicité trompeuse», commente Marko Milanovic, professeur de droit international public. Selon l’expert, il existe plusieurs réponses possibles, chacune reposant sur des hypothèses différentes, et très contestées. Car le jus ad bellum [terme latin qui fait référence aux «conditions dans lesquelles les États peuvent recourir à la guerre ou au recours à la force armée en général», est, dans ce conflit, simplement un désastre. Et le droit de combattre en état de légitime défense se distingue du jus in bello, les principes et lois régissant les moyens et méthodes de guerre eux-mêmes.
Par «légitime défense», la notion dont débattent les professionnels est celle que définit l’article 51 de la Charte des Nations Unies, et non un concept politique plus ouvert. «La question, en d’autres termes, n’est pas de savoir si Israël, d’une manière générale, a le droit de défendre son propre peuple (la fonction essentielle de tout État, de toute communauté politique organisée). La question est plutôt de savoir si, en menant son opération militaire à Gaza, Israël exerce son droit inhérent à la légitime défense au sens de l’article 51», explique Milanovic.
La seule autre façon légale de déclencher une guerre, selon l’article 51, est la sanction du Conseil de sécurité, une option réservée – en principe du moins – à la défense ou au rétablissement de la paix et de la sécurité internationales. Et la nécessité et la proportionnalité sont les deux limites habituelles du droit de légitime défense. Si elles ne sont pas expressément mentionnées à l’article 51, elles sont pourtant considérées comme exigences coutumières.
Mais pour nombre d’observateurs et analystes, «Israël ne peut se prévaloir du droit à la légitime défense dans le conflit actuel, car il s’agit d’un État occupant». Selon eux, l’État hébreu ne peut pas à la fois occuper le territoire palestinien et l’attaquer en tant que menace «étrangère», ni traiter ceux qui lui résistent comme des combattants ennemis.
« En droit international, Israël ne peut pas invoquer le droit à la légitime défense contre une menace émanant d'un territoire qu'il occupe »
« Gaza n'est pas une entité autonome, elle fait partie des territoires occupés 🇵🇸 »
F. Albanese, rapporteuse spéciale de l'ONU pic.twitter.com/YjYNd0xjdY— Mr. Propagande (@MrPropagande) November 15, 2023
L’occupation militaire est un statut reconnu par le droit international et depuis 1967, la communauté internationale a désigné la Cisjordanie et la bande de Gaza comme étant militairement occupées. Une occupation qui a marqué une victoire militaire de l’État hébreu contre les belligérants arabes. Depuis, Israël a refusé l’applicabilité du droit international humanitaire au territoire palestinien occupé (TPO).
Malgré l’imposition d’un régime militaire sur la Cisjordanie et à Gaza, Israël a nié l’applicabilité de la Quatrième Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre (la pierre angulaire du droit de l’occupation). Israël a fait valoir que, parce que les territoires ne constituaient ni un État souverain ni des territoires souverains des États déplacés au moment de la conquête, il administrait simplement les territoires et ne les occupait pas au sens du droit international.
Tant que l’occupation se poursuit, Israël a le droit de se protéger et de protéger ses citoyens. Cependant, Israël a également le devoir de maintenir l’ordre public, également appelé «vie normale», sur le territoire qu’il occupe. Cette obligation implique non seulement d’assurer mais aussi de donner la priorité à la sécurité et au bien-être de la population occupée.
Mais dans le cadre d’une occupation, le peuple occupé a aussi le droit de résister, y compris par les armes, bien que cela signifie que les individus qui y participent sont des combattants et non des civils protégés.
Les alliances arabes : quels pouvoirs ?
Après l’échec de la quatrième résolution du Conseil de sécurité, les pays arabes se sont tournés vers les 193 membres de l’Assemblée générale et ont réussi, le 27 octobre, à obtenir une large approbation pour une résolution appelant à une «trêve humanitaire» à Gaza. Celle-ci est censée conduire à une cessation des hostilités entre Israël et le Hamas. 120 nations ont voté pour, 14 ont voté contre et 45 se sont abstenues. Ce fut la première réponse des Nations Unies à la guerre.
Israël avait accepté, le 9 novembre, une pause de quatre heures. Mais seule une aide très limitée a été acheminée vers la bande côtière depuis l’Égypte via le terminal de Rafah, et la catastrophe humanitaire continue. Plus de 11.000 personnes, dont près de 5.000 enfants, sont mortes dans les bombardements israéliens et plus de 29.000 autres blessées. Le reste de la population (initialement estimée à 2,4 millions de personnes) manque de tout. Car, contrairement aux résolutions du Conseil de sécurité et bien qu’elles constituent un baromètre de l’opinion mondiale, les résolutions de l’Assemblée générale ne sont pas juridiquement contraignantes. Un fait que n’a pas manqué de rappeler l’ambassadeur israélien à l’ONU, Gilad Erdan.
«Honte à vous !», a lancé Erdan, qualifiant cette résolution d’«infamie». «C’est un jour sombre pour l’ONU et pour l’humanité», a-t-il ajouté, promettant qu’Israël continuerait à utiliser «tous les moyens» à sa disposition pour «débarrasser le monde du mal que représente le Hamas».
Le 11 novembre, s’était ouvert à Ryad, un sommet d’urgence lors duquel les dirigeants de 22 pays arabes et 57 musulmans ont rejeté clairement les arguments d’Israël selon lesquels ce pays agit en état de «légitime défense». Ils ont exigé que le Conseil de sécurité de l’ONU adopte une résolution «contraignante» pour mettre fin à «l’agression» israélienne.
L’émir du Qatar, le cheick Tamim Al Thani, dont le pays est impliqué dans les efforts visant à obtenir la libération des otages israéliens et étrangers retenus à Gaza, s’était par exemple demandé «combien de temps la communauté internationale traitera Israël comme si ce pays était au-dessus du droit international». «Nous observons cette politique de deux poids, deux mesures […]. Je parle des pays qui […] ferment les yeux sur le non-respect par Israël des bases du droit international», avait déclaré pour sa part le ministre saoudien des Affaires étrangères, Fayçal ben Farhane.
De son côté, le Jihad islamique, allié du Hamas à Gaza, avait dit ne «rien» attendre de cette réunion. «Nous ne plaçons pas nos espoirs dans de telles réunions» qui n’ont jamais donné de résultats, a déclaré vendredi Mohammad al-Hindi, secrétaire général adjoint du groupe. «Le fait que cette conférence se tienne après 35 jours (de guerre)» est une indication claire, avait-il ajouté.
Le président syrien Bachar al-Assad avait, lui, estimé que l’absence de mesures punitives contre Israël rendrait le sommet «insignifiant» et prôné de ne pas engager de processus politique avec Israël jusqu’à l’obtention d’un cessez-le-feu à Gaza. Il faut des «mesures de persuasion pour stopper les crimes de guerre» avait déclaré l’émir du Qatar.
Certains pays, notamment l’Algérie et le Liban, avaient proposé de rompre les liens économiques et diplomatiques avec Israël et de cesser d’approvisionner en pétrole Israël et ses alliés. Le président iranien, Ebrahim Raïssi, avait auparavant exhorté les pays islamiques à imposer des sanctions sur le pétrole et les biens à Israël.
Toutefois, quatre pays parmi lesquels les Émirats arabes unis et Bahreïn, les plus influents dans la Ligue et qui ont normalisé leurs relations avec Israël en 2020, ont rejeté cette proposition. Le président turc, Recep Tayyip Erdogan a précédemment refusé les demandes iraniennes visant à bloquer les exportations de pétrole vers Israël, qui reçoit 40 % de son pétrole de l’Azerbaïdjan, un proche allié de la Turquie.
Le constat est clair : les pays étaient divisés sur les «clauses importantes» qui n’ont pas pu être adoptées dans leur réponse commune à l’attaque israélienne contre Gaza.
L’Europe : la clé ?
Il y a un temps pour la diplomatie et un temps pour l’action concrète. «Il est temps de tourner le dos à la politique étrangère américaine à l’égard d’Israël, qui est essentiellement une carte blanche pour poursuivre l’offensive militaire qui a fait un nombre disproportionné de victimes, pour la plupart des enfants palestiniens», écrit Iveta Cherneva, auteure et analyste politique.
Et dans ce registre, l’Union européenne (UE) peut considérablement changer la donne : l’Union est en effet le plus grand partenaire commercial d’Israël, représentant 28,8 % de ses échanges de marchandises en 2022. 31,9 % des importations israéliennes provenaient de l’UE et 25,6 % des exportations du pays étaient destinées à l’UE. A l’opposé, Israël est le 25e partenaire commercial de l’UE, représentant 0,8 % du commerce total de marchandises de l’UE en 2022. En d’autres termes, l’UE peut nuire considérablement à l’économie israélienne, alors qu’Israël n’a pas cet effet de levier sur l’UE.
La Belgique a, en ce sens, été le premier pays à tenter de franchir le pas. Le 8 novembre, le vice-Premier ministre belge a appelé le gouvernement à adopter des sanctions contre l’État hébreu et à enquêter sur les bombardements d’hôpitaux et de camps de réfugiés à Gaza. «Il est temps d’imposer des sanctions contre Israël. La pluie de bombes est inhumaine», a déclaré la vice-Première ministre Petra De Sutter au journal Nieuwsblad. Car, «il est clair qu’Israël ne se soucie pas des demandes internationales de cessez-le-feu», a-t-elle déclaré.
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