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C’est la France, le 27 novembre, qui a souligné pour la première fois l’immunité de Benjamin Netanyahu, en raison du statut d’Israël, non partie au Statut de Rome, ce qui a ouvert un débat complexe sur la portée de l’immunité des chefs d’État. Si cette position met en avant les principes du droit international, elle révèle aussi les tensions avec les impératifs géopolitiques et diplomatiques, notamment face à une CPI dont les décisions sont souvent soumises à des réalités politiques. Alors que certains États, comme le Royaume-Uni ou l’Italie, expriment leur soutien total à la CPI, d’autres, comme la France, appellent à un équilibre entre justice et diplomatie. Cette affaire soulève également des questions sur l’efficacité de la CPI, le rôle du Conseil de sécurité de l’ONU et les implications de cette situation pour la coopération internationale.
Pour mieux comprendre les enjeux sous-jacents à cette situation, nous avons interviewé Cherkaoui Roudani, Docteur en relations internationales, conférencier et expert en géopolitique et sécurité de défense. Il nous livre son analyse sur six points essentiels.
Sur les principes juridiques :
LeBrief.ma : L’article 27 du Statut de Rome affirme que les fonctions officielles n’offrent aucune immunité face aux poursuites de la CPI. En quoi cet article est-il contredit ou limité par d’autres dispositions, comme l’article 98, lorsqu’il s’agit d’États non parties, comme Israël ?
Cherkaoui Roudani : Pour bien comprendre, on doit souligner que l’article 27 du Statut de Rome établit que les fonctions officielles, telles que celles des chefs d’État, ne confèrent aucune immunité devant la Cour pénale internationale (CPI). Cependant, cette disposition entre en tension avec l’article 98, qui limite la capacité de la CPI à poursuivre des officiels de certains États, notamment des États non parties comme Israël. L’article 98 impose à la CPI de respecter les obligations internationales des États parties, notamment en matière d’immunités diplomatiques. Ainsi, un État partie ne peut coopérer à l’arrestation d’un officiel d’un État non partie si cela viole des obligations internationales, à moins que cet État tiers n’y consente. Israël, n’étant pas partie au Statut de Rome, conserve les protections liées à son statut sous le droit international coutumier. Cette situation crée une tension entre le principe d’absence d’immunité (article 27) et les contraintes de coopération internationale (article 98), limitant la capacité de la CPI à exercer sa juridiction dans de tels cas. En pratique, cela illustre les difficultés de la CPI face aux États non parties, où les immunités et l’absence de consentement entravent son action, malgré les principes de justice internationale qu’elle défend.
Sur les dynamiques politiques :
La France a adopté une position prudente, insistant sur les obligations internationales concernant les immunités tout en coopérant avec Israël sur le plan diplomatique. Pensez-vous que cette approche reflète un équilibre nécessaire ou une certaine complaisance vis-à-vis de dirigeants accusés de crimes graves ?
Le calcul diplomatico-politique est à l’œuvre dans ce genre de situation. De fait, la France a adopté une position prudente concernant les obligations internationales sur les immunités tout en maintenant une coopération diplomatique avec Israël. Cette stratégie peut être perçue comme un équilibre pragmatique ou comme une forme de complaisance face à des dirigeants potentiellement accusés de crimes graves. D’un côté, cette approche reflète un respect pour le droit international, notamment les règles coutumières sur l’immunité des chefs d’État et diplomates. En insistant sur ces principes, la France évite de créer des précédents juridiques risqués qui pourraient fragiliser les relations internationales ou lui être défavorables à l’avenir. En parallèle, elle préserve ses intérêts bilatéraux avec Israël, un partenaire stratégique dans les domaines économique, sécuritaire et politique. D’un autre côté, cette prudence pourrait être perçue comme une complaisance affaiblissant la justice internationale. En ne soutenant pas fermement les mécanismes judiciaires comme la CPI, la France risque de compromettre son image de défenseur des droits humains et d’universalité du droit. Certains y voient un double standard, la France adoptant une position plus stricte envers d’autres États moins influents.
En définitive, cette approche pragmatique peut préserver des intérêts diplomatiques, mais elle soulève des questions sur l’engagement de la France envers la justice internationale. D’ailleurs, les cas du Soudan et de la Russie illustrent les tensions récurrentes entre les principes de justice internationale promus par la CPI et les contraintes liées aux immunités des dirigeants d’États non parties au Statut de Rome.
Lire aussi : Le G7 s’engage à respecter les obligations liées au mandat de la CPI contre Netanyahu
A titre d’exemple, en 2009, la CPI a inculpé le président soudanais Omar Al-Bashir pour génocide et crimes de guerre au Darfour. Bien que le Soudan ne fasse pas partie au Statut de Rome, la CPI a exercé sa juridiction en vertu d’une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU. Cependant, Al-Bashir a voyagé dans plusieurs États parties, dont l’Afrique du Sud, qui n’ont pas exécuté le mandat d’arrêt, invoquant les immunités coutumières et leurs obligations diplomatiques selon l’article 98. Ce cas a révélé les limites de la CPI lorsque des États parties privilégient leurs relations diplomatiques aux obligations internationales.
C’est le cas en 2023, la CPI a émis un mandat d’arrêt contre Vladimir Poutine pour crimes de guerre en Ukraine. Comme la Russie n’adhère pas au Statut de Rome, elle a rejeté la juridiction de la Cour. Des États parties, comme l’Afrique du Sud, ont fait face à un dilemme similaire lors du sommet des BRICS, invoquant également les immunités pour éviter d’arrêter Poutine.
Sur le rôle du Conseil de sécurité de l’ONU :
Dans ces affaires citées précédemment, comme celles du Darfour ou de la Libye, des résolutions du Conseil de sécurité ont permis d’obliger des États non parties à coopérer avec la CPI. Pourquoi une telle initiative semble-t-elle improbable dans le cas d’Israël ?
Chaque cas a un sens et essence ainsi que des ramifications géopolitiques. Ainsi, il semble fort qu’une résolution du Conseil de sécurité obligeant Israël à coopérer avec la CPI, comme dans les affaires du Darfour ou de la Libye, semble improbable en raison de plusieurs facteurs géopolitiques et juridiques. D’abord, le soutien des grandes puissances. Israël bénéficie d’un soutien diplomatique fort, notamment des États-Unis, membre permanent du Conseil de sécurité disposant d’un droit de veto. Les États-Unis, non parties au Statut de Rome, s’opposent à la CPI et protègent systématiquement Israël sur les questions internationales, rendant impossible l’adoption d’une résolution contraignante. Par contraste, les affaires du Darfour et de la Libye ont été examinées dans des contextes où les grandes puissances étaient plus alignées sur la nécessité d’une intervention internationale.
Deuxièmement, c’est l’aspect politique du dossier israélo-palestinien. Dans ce sens, les conflits israélo-palestiniens sont au cœur de tensions géopolitiques, et toute tentative visant à soumettre Israël à la CPI est perçue comme une politisation de la justice internationale. Cela complique la construction d’un consensus au Conseil de sécurité et renforce les divisions entre ses membres. De plus, la contestation de la compétence de la CPI Israël et ses alliés remettent en question la compétence de la CPI sur les territoires palestiniens, arguant que la Palestine n’a pas le statut d’État selon le droit international. Cela distingue Israël des cas du Darfour et de la Libye, où la compétence de la CPI n’a pas été fondamentalement remise en cause.
De ce fait, la combinaison de ces facteurs – soutien des grandes puissances, politisation du conflit, et contestation juridique – rendent improbable une résolution du Conseil de sécurité visant à obliger Israël à coopérer avec la CPI, malgré les précédents des résolutions sur le Darfour et la Libye.
Sur l’efficacité de la CPI :
Certains critiquent la CPI comme étant inefficace face aux États puissants ou non coopérants. Quels mécanismes ou réformes pourraient renforcer son rôle face à des cas comme celui de Benjamin Netanyahu ?
Sans aucun doute, la CPI fait face à des critiques concernant son inefficacité contre les dirigeants d’États puissants ou non coopérants, comme dans le cas de Benjamin Netanyahu, Poutine ou d’autres cas bien sûr. Néanmoins, il me semble que plusieurs mécanismes et réformes pourraient renforcer son rôle dans ces contextes.
Il y a le volet du renforcement de la coopération internationale. La communauté internationale doit inciter les grandes puissances comme les États-Unis, la Chine et la Russie à rejoindre le Statut de Rome. Cette voie améliorerait la légitimité et l’efficacité de la CPI. Aussi, des sanctions, même si difficiles dans le schéma actuel, ou incitations économiques et diplomatiques pourraient encourager les États à coopérer avec la Cour.
Dans un autre registre, la communauté internationale doit repenser le rôle du Conseil de sécurité. Dans ce sens, limiter l’usage du veto par les membres permanents dans les cas de crimes graves permettrait d’éviter le blocage de résolutions cruciales. Par ailleurs, la mise en place de mécanismes automatiques obligerait le Conseil à référer certaines situations à la CPI, indépendamment des divisions politiques.
De surcroît, le renforcement des capacités d’exécution à travers la création d’une force internationale dédiée ou la collaboration avec des organisations régionales pourraient améliorer l’exécution des mandats d’arrêt. Ces mesures sont essentielles face aux refus de coopération d’États non parties. De plus, devant les défis et les enjeux il est envisageable de promouvoir des réformes juridiques et institutionnelles, en clarifiant et en donnant du sens à l’article 98 pour limiter les immunités des dirigeants non parties et élargir la juridiction universelle de la Cour permettrait de surmonter les obstacles posés par le statut d’États comme Israël. Simultanément, la CPI pourrait accélérer ses procédures et renforcer son impartialité pour gagner en crédibilité.
Lire aussi : CPI : la France évoque l’«immunité» de Netanyahu malgré le mandat d’arrêt
Sur les enjeux géopolitiques :
Le récent cessez-le-feu entre Israël et le Hezbollah, où la France a joué un rôle clé, semble avoir influencé la prudence française concernant l’affaire Netanyahu. Dans quelle mesure les considérations géopolitiques devraient-elles primer sur les impératifs de justice internationale ? Cette immunité peut-elle avoir été le prix à payer pour ce cessez-le-feu ?
Bien qu’il soit difficile de prouver que l’immunité judiciaire de facto ait été explicitement négociée, il est plausible que la prudence française résulte d’une forme de jurisprudence pragmatique, un concept où le droit international s’adapte aux réalités géopolitiques pour préserver la stabilité. Dans ce cas, la France semble privilégier la préservation des négociations avec Israël, un acteur clé dans un contexte régional particulièrement sensible, à l’application stricte des principes de justice internationale.
Il est à noter que la jurisprudence pragmatique, si je puis dire, repose sur l’idée qu’une application rigide du droit peut parfois compromettre des objectifs diplomatiques cruciaux, comme la paix et la sécurité. Cette approche, bien que critiquée, considère que des compromis temporaires sont nécessaires pour éviter l’effondrement de dialogues essentiels ou l’escalade des conflits. En privilégiant momentanément les impératifs géopolitiques, la France semble reconnaître que le droit pénal international ne peut s’exercer efficacement sans un contexte politique stable.
Cependant, ce choix soulève un paradoxe : si des États ou dirigeants puissants peuvent échapper à la justice en raison de leur poids stratégique, cela pourrait affaiblir la crédibilité des institutions internationales et nourrir un sentiment d’impunité. Pour équilibrer ces tensions, il serait essentiel que cette jurisprudence pragmatique s’accompagne d’un cadre visant à garantir que ces compromis diplomatiques ne deviennent pas une norme durable, mais une stratégie temporaire permettant à la justice de retrouver sa place une fois les enjeux géopolitiques immédiats stabilisés.
Sur les implications futures :
Si des mandats d’arrêt de la CPI contre des dirigeants d’États non parties ne peuvent être exécutés en raison des immunités, cela ne risque-t-il pas de miner la crédibilité de la Cour à long terme ? Comment éviter cet écueil ?
La non-exécution des mandats d’arrêt de la CPI contre des dirigeants d’États non parties, en raison des immunités ou du manque de coopération, menace sa crédibilité et renforce l’idée d’une justice internationale inégale.
Pour éviter cet écueil, plusieurs mesures sont envisageables. Comme je l’ai souligné le renforcement de la coopération internationale. En encourageant les États non parties à adhérer au Statut de Rome via des incitations diplomatiques ou économiques, et utiliser des sanctions pour inciter à la coopération. Aussi, des réformes juridiques à travers la clarification de l’article 98 pour limiter les immunités des dirigeants d’États non parties et créer des mécanismes permettant des poursuites sans dépendre du consentement de ces États. Après, repenser et reconfigurer le rôle des institutions internationales en limitant l’usage du veto au Conseil de sécurité dans les affaires d’actes graves et développer une unité internationale pour exécuter les mandats d’arrêt.
Eu égard à ces développements, la CPI doit incarner l’équilibre entre justice et diplomatie, en renforçant les institutions internationales pour qu’elles soient des piliers de paix et de stabilité mondiale. En mariant géopolitique et droit international, nous pouvons construire un monde où la justice n’est pas sacrifiée sur l’autel des intérêts stratégiques, mais devient un levier pour une stabilité durable et une paix équitable.
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