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Journée mondiale des pharmaciens : état des lieux d’un secteur en quête de renouveau

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Oualid Amri, vice-président du Syndicat des pharmaciens du Grand Casablanca © DR

La Journée mondiale des pharmaciens est célébrée ce mercredi. C’est l’occasion, une fois de plus, de donner à cette profession l’attention qu’elle mérite. Pour cela, nous avons interviewé le vice-président du Syndicat des pharmaciens du Grand Casablanca. Avec Pr. Oualid Amri, nous avons abordé plusieurs enjeux cruciaux pour la profession, notamment les défis liés à la régulation, la viabilité économique des officines, ainsi que la question des charges fiscales pesant sur le secteur.

LeBrief : Pourriez-vous nous expliquer les principaux défis auxquels les pharmaciens d’officine sont confrontés aujourd’hui, en particulier en ce qui concerne la régulation, la viabilité économique et les charges fiscales ?

Oualid Amri : les défis sont énormes pour les pharmaciens d’officine au Maroc. Actuellement, nous attendons la mise en place de la loi 1898, et les élections qui tardent. La régionalisation doit être effective, car il y a un vide. Nous avions un conseil nord et sud qui ne gérait que les affaires courantes, ce qui rendait la régulation difficile. Les pharmaciens ont d’énormes attentes, notamment pour le respect de l’éthique, la déontologie, et la formation continue. Beaucoup de dossiers dépendent de la mise en place des conseils de l’Ordre. La régulation est essentielle, surtout dans une profession organisée comme la pharmacie.

Par ailleurs, la viabilité des pharmacies est en difficulté. Le pouvoir d’achat des pharmaciens a diminué à cause de l’inflation et de la cherté de la vie. Les prix ont augmenté dans presque tous les secteurs, sauf dans celui des médicaments, où ils ont baissé. Le pharmacien ne vit que de la marge sur les boîtes de médicaments, et avec un pouvoir d’achat qui n’a presque pas évolué, les pharmaciens s’appauvrissent. Si cette situation continue, ils risquent de ne plus appartenir à la classe moyenne et de voir leur statut social se détériorer. Dans d’autres pays, les pharmaciens bénéficient de ressources supplémentaires, comme le dossier pharmaceutique, le suivi thérapeutique et la vaccination en pharmacie, ce qui permet de mieux compenser les baisses de prix des médicaments

LeBrief : ⁠Les pharmaciens réclament l’annulation des taxes communales. Quel est aujourd’hui l’impact des taxes communales sur les pharmacies d’officine et quelles seraient les conséquences positives d’une éventuelle annulation de ces taxes ?

Oualid Amri : La charge fiscale est un autre défi majeur pour les pharmacies. Beaucoup de pharmacies sont en difficulté, et pour celles qui souhaitent vendre, elles sont confrontées à une plus-value de 38%, ce qui empêche les pharmaciens de se permettre de vendre sans s’appauvrir encore plus. Les charges fiscales, combinées à la baisse des prix des médicaments, ont fait baisser le chiffre d’affaires des pharmacies. Il ne s’agit pas de s’opposer à la baisse des prix, mais il faut que l’État et le gouvernement accompagnent ce secteur en difficulté.

Il n’y a pas de raison que les pharmaciens continuent à payer des taxes communales alors qu’ils jouent un rôle central dans le secteur de la santé. La pharmacie est un espace de proximité et de santé, pas un commerce comme les autres. La loi 1704 est claire : les pharmacies doivent être visibles pour les patients, et il n’est pas logique de les taxer pour cela. Les autres secteurs peuvent payer ces taxes, mais pas les pharmaciens. Supprimer ces taxes permettrait de rendre justice à notre profession et d’éviter que les pharmaciens ne soient encore plus pénalisés par des charges fiscales excessives.

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LeBrief : L’évolution réglementaire semble être une urgence. Selon vous, quelles réformes sont nécessaires pour assurer une meilleure régulation du secteur pharmaceutique au Maroc ? Comment ces évolutions pourraient-elles améliorer la situation des pharmaciens et des patients ?

Oualid Amri : La régulation de notre secteur, comme je l’ai mentionné, repose d’abord sur la mise en place de conseils de l’Ordre régionaux forts, ainsi qu’un conseil national solide. Il est crucial que cela se concrétise rapidement, et que notre ministère de tutelle soit plus à l’écoute, tout comme le gouvernement, afin que nous puissions pleinement jouer notre rôle. Ce rôle de proximité que nous occupons, cet espace de premier recours, est essentiel. Le pharmacien et son équipe sont là pour écouter et accompagner le patient, qui peut venir à tout moment de la journée, sans être pressé.

Nous prenons le temps nécessaire pour lui fournir les explications et conseils appropriés. Comme je l’ai déjà souligné, il vaut mieux prévenir que guérir. La régulation est donc primordiale pour faire évoluer ce secteur, rendre justice aux pharmaciens d’officine et leur permettre de jouer pleinement leur rôle. Aujourd’hui, avec une bonne régulation, une formation adéquate et des échanges avec d’autres pays via le benchmarking, nous pourrions améliorer la situation.

Cependant, lorsqu’on effectue un benchmarking sur les prix des médicaments et qu’on décide de les baisser, il ne faut pas oublier une réalité : le pouvoir d’achat en Europe, en Turquie, en Arabie Saoudite, au Portugal, en France ou en Espagne est bien supérieur à celui des Marocains, et la consommation de médicaments y est aussi plus importante. Dans ces pays, les pharmaciens bénéficient de diverses rémunérations : sur les boîtes de médicaments, les ordonnances, les gardes, etc. De plus, il existe des péréquations entre les caisses de sécurité sociale, les industriels et les pharmaciens, ce qui leur permet de compenser les baisses de prix.

Ici, au Maroc, nous ne gagnons que sur la vente de la boîte de médicaments, et après toutes les charges fiscales et sociales, il ne reste finalement qu’entre 8% et 10% de marge, même avec une excellente gestion. C’est pourquoi la régulation et l’accompagnement du gouvernement sont essentiels. Le ministère de la Santé doit être plus proche des pharmaciens pour que nous puissions trouver des solutions.

Je pense qu’il y a eu des négociations depuis plus d’un an, voire un an et demi, mais pour l’instant, nous n’avons obtenu aucun résultat concret. J’espère que cela va s’accélérer, car c’est crucial pour la viabilité de ce secteur.

LeBrief : La vente des dérivés du cannabis en pharmacie tarde à décoller. Pourquoi la mise en œuvre de cette mesure prend-elle du retard, et quelles sont les attentes des pharmaciens par rapport à cette opportunité ?

Oualid Amri : La régulation du secteur du cannabis est une bonne chose, notamment en ce qui concerne la culture du cannabis, qui représente l’avenir. De nombreux nouveaux produits émergent, comme le CBD et le THC, mais aujourd’hui je vais parler du CBD. Il existe des produits à base de cannabis qui sont délivrés sur prescription médicale et d’autres qui peuvent être conseillés en pharmacie. Oui, c’est une avancée, mais pour l’instant, en ce qui concerne les compléments alimentaires et les produits dérivés du cannabis, je pense qu’ils devraient uniquement être disponibles en pharmacie, car c’est un espace de santé important. Il ne faut pas oublier qu’il peut y avoir des interactions entre les compléments alimentaires, le CBD et d’autres médicaments, ou même en fonction de l’état de santé du patient. Seul le pharmacien, grâce à sa formation et ses connaissances scientifiques, est capable de conseiller et d’accompagner correctement les malades et les patients.

Il est vrai que le CBD a fait l’objet de discussions médiatiques, mais pour l’instant, les citoyens marocains ne semblent pas très intéressés par ces produits. Je pense qu’il y a un problème de communication, et même les pharmaciens ne sont pas suffisamment informés sur ces produits. Il serait donc nécessaire de mettre en place des formations continues à ce sujet. À ce jour, le lancement des produits à base de cannabis n’a pas rencontré le succès attendu, car ni les pharmaciens ni les patients marocains ne s’y intéressent beaucoup pour l’instant.

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LeBrief : Quelles sont les perspectives de développement pour la pharmacie d’officine au Maroc ? Comment envisagez-vous l’évolution du secteur dans les années à venir, en termes de modernisation, de services numériques et de nouvelles responsabilités pour les pharmaciens ?

Oualid Amri : L’évolution est très importante, surtout au XXIe siècle où le numérique représente l’avenir. Aujourd’hui, nous devons mettre en place des ordonnances sécurisées, un dossier pharmaceutique pour chaque patient, et permettre aux pharmaciens de vacciner en officine, comme c’est déjà le cas pour les vaccins contre la grippe. Dans d’autres pays, on réalise également des tests en pharmacie, et il est essentiel que nous accompagnions les malades. Nous pourrions aussi mener des campagnes de dépistage, car de nombreuses maladies, comme le diabète, l’hypertension, ou encore des cancers tels que celui de la prostate ou du côlon, sont souvent détectées tardivement.

Le pharmacien joue un rôle central, et certaines missions doivent désormais lui incomber. Avec le manque de médecins et d’infirmiers, il est possible de fournir certains soins directement en officine.

En ce qui concerne la baisse des prix des médicaments, je pense que, dans le cadre du benchmarking effectué avec d’autres pays, il est évident que le pharmacien a un rôle crucial à jouer. Il est impératif de donner davantage de moyens aux officines pour qu’elles puissent fonctionner efficacement, notamment en réduisant la charge fiscale.

Je le répète, l’avenir de la santé au Maroc passe par le développement de la pharmacie d’officine, surtout avec des événements majeurs comme la Coupe du monde 2030 à l’horizon. Les officines ont un rôle à jouer dans ce système de santé. Oui, la formation continue est primordiale, tout comme le développement de ces structures pour assurer leur viabilité.

Sans ces évolutions, je crains que le secteur ne se dirige vers un naufrage, ce qui serait regrettable. Il y a encore beaucoup à faire, notamment avec la mise en place des conseils de l’Ordre et l’aboutissement de la régionalisation, que j’espère voir concrétisée d’ici janvier.

De nombreux chantiers nous attendent, mais le plus important est que les ministères concernés, notamment celui de la Santé, soient à l’écoute. Il est également essentiel que le gouvernement, en particulier le ministère des Finances, du Budget et la DGI, prenne en compte les charges fiscales pesant sur les officines. La réforme et le soutien de ce secteur doivent être des priorités pour les défis à venir dans notre pays.

LeBrief : Quel est votre point de vue sur la formation continue des pharmaciens ? Quels efforts devraient être faits pour améliorer les compétences des pharmaciens afin qu’ils puissent répondre aux nouveaux besoins des patients et aux évolutions du secteur de la santé ?

Oualid Amri : Aujourd’hui, il est essentiel que la formation des pharmaciens soit institutionnalisée, car tout évolue. Les médicaments, la science, la médecine, et même les patients évoluent. À l’ère du numérique et d’Internet, les patients ont accès à une multitude d’informations et peuvent se renseigner sur divers sujets. Le pharmacien doit donc bénéficier d’une formation continue de qualité pour pouvoir répondre aux attentes des patients et des malades, tout en étant à la hauteur des exigences du secteur de la santé au Maroc.

LeBrief : Enfin, comment évaluez-vous la collaboration entre les pharmaciens et les autres acteurs du système de santé ?

Oualid Amri : La collaboration entre le pharmacien et les autres acteurs du système de santé, notamment les médecins, peut être améliorée. Il y a encore beaucoup à faire pour renforcer cette coopération dans l’intérêt du patient, en particulier pour la prévention et la prise en charge des maladies chroniques. Comme je l’ai déjà mentionné, détecter tôt une maladie chronique permet non seulement de gagner du temps pour le médecin, mais aussi de réaliser des économies importantes pour les caisses de sécurité sociale. C’est ce qu’on appelle une économie d’échelle.

L’intégration des dossiers pharmaceutiques et médicaux est un autre aspect important. Il serait bénéfique que le pharmacien et le médecin puissent partager les informations de manière fluide, afin de mieux suivre le patient, éviter les complications et les hospitalisations, tout en réduisant les coûts souvent exorbitants liés à l’évolution de certaines maladies. Cette approche permettrait à la fois de soulager les patients et de diminuer les dépenses de l’État.

Nous avons encore beaucoup à apprendre des expériences d’autres pays. Malheureusement, lorsque nous avons effectué un benchmarking des prix des médicaments, nous avons omis de comparer nos pratiques avec celles d’autres systèmes de santé, notamment en ce qui concerne l’exercice de la pharmacie d’officine. La pharmacie est un espace de proximité, de premier recours et de confiance. Il est donc essentiel de tirer parti de cet atout.

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