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« Ce n’est psychologiquement pas en phase avec mon tempérament ». Cette déclaration vient tout droit d’un jeune diplômé, sans grande expérience notable, en recherche, pas si active que ça, d’un emploi. Les jeunes diplômés, à les entendre, savent ce qu’ils veulent, et refusent, contrairement à leurs aînés, de se soumettre aux moindres envies d’un patron.
Dès son premier stage, ce jeune réfute une grande partie des ordres de son supérieur hiérarchique, estimant que cela ne fait en rien partie des tâches qui doivent lui être attribuées. Pis encore, ce dernier parle même d’être payé sur ses heures « supplémentaires », après avoir passé une journée à se tourner les pouces.
Pourtant, loin de nous l’idée de mettre tous les faluchards dans le même panier ! Le chômage des diplômés au Maroc n’est pas un problème qui date d’hier. Depuis que le monde est monde, avons-nous, maladroitement, envie de dire !
C’est un dossier très complexe pour chaque ministre qui en hérite. C’est un phénomène alarmant, mais pouvons-nous encore parler de phénomène, vu que cela dure dans le temps. Ils sont nombreux à avoir suivi des études supérieures, parfois dans le privé à prix onéreux, avec l’espoir d’une insertion rapide et stable sur le marché du travail. Mais, pour bon nombre d’entre eux, cet espoir se transforme en désillusion !
Il faut dire que les routes du marché du travail ne sont pas pavées d’or au Maroc. Aujourd’hui, le chômage des jeunes diplômés est l’un des plus gros défis du marché du travail marocain. Selon une étude du Haut-Commissariat au Plan (HCP) : Profils et déterminants des jeunes NEETS au Maroc : Un éclairage à partir de l’enquête nationale sur l’emploi 2022, le taux de chômage chez les NEET (Not in Education, Employment or Training – à traduire par ni emploi, ni diplôme, ni en formation), est à hauteur de 25,2%. « Des jeunes âgés de 15 à 24 ans, (qui) présentent une forte corrélation avec le chômage de longue durée », détaille l’étude, tandis que pour les diplômés de l’enseignement supérieur, il atteint des sommets inquiétants. Cette situation semble paradoxale dans un contexte où l’on annonce une reprise de contrôle du taux de chômage, faible, mais reprise tout de même selon la communication gouvernementale.
À ce propos, Abdellatif Jouahri, wali de Bank Al-Maghrib, a expliqué lors d’une conférence de presse mardi 24 septembre à Rabat, que le marché du travail marocain, particulièrement en milieu rural, est marqué par la perte de milliers d’emplois, notamment dans l’agriculture et les BTP, alors que des secteurs comme l’industrie et les services enregistrent des créations limitées. Le taux de chômage, en hausse, touche surtout les jeunes, avec un pourcentage alarmant dans la tranche 15-24 ans, dont le taux de chômage est passé au cours du deuxième trimestre de 46,1% à 48,8% en milieu rural et de 33,6% à 36,1% en milieu urbain. Jouahri insiste sur l’urgence de réformes profondes en matière d’éducation et de formation professionnelle pour aligner les compétences sur les besoins actuels et futurs du marché, notamment face aux défis posés par le numérique et l’intelligence artificielle. Des programmes comme Intelaka et Forsa sont évoqués, bien que leurs effets ne se feront sentir qu’à long terme.
Évoluer, s’adapter, ou subir le chômage
Vous l’aurez compris, tous les secteurs ne sont évidemment pas touchés de la même manière. Certains offrent davantage d’opportunités que d’autres, en fonction de leur capacité à innover ou à s’adapter à la mondialisation. Les secteurs liés aux nouvelles technologies, à la finance, au commerce international et aux services numériques apparaissent comme des niches dynamiques pour les jeunes diplômés. À l’inverse, les secteurs traditionnels, comme l’agriculture ou l’industrie textile, connaissent des difficultés, ce qui réduit les perspectives d’embauche dans ces domaines.
Les grandes entreprises sont actuellement un peu contre l’idée de recruter des jeunes sans expérience. Pourtant, elles n’ont pas le choixYoussef El Hammal, fondateur de Stagiaires.ma
Cependant, même dans les secteurs porteurs, le problème persiste. La question de la qualification et de l’expérience professionnelle joue un rôle important dans la sélection des candidats. De nombreux diplômés, bien qu’ayant acquis une formation universitaire ou technique, peinent à trouver un emploi en raison d’un manque de stages ou de premières expériences. « Malheureusement, ce ne sont pas les grandes entreprises qui vont pouvoir, aujourd’hui, aider à réduire le chômage. Les grandes entreprises sont actuellement un peu contre l’idée de recruter des jeunes sans expérience. Pourtant, elles n’ont pas le choix. Je travaille beaucoup avec de grandes entreprises, et je peux dire qu’aujourd’hui, malgré le fait que les profils ne soient pas qualifiés (pas d’autre expérience que leur formation), ces entreprises acceptent de les recruter et de leur donner l’opportunité de travailler. Parce qu’aujourd’hui, elles n’ont plus le choix », explique Youssef El Hammal, fondateur de Stagiaires.ma.
Le système éducatif joue également un rôle dans ce phénomène. Les universités et grandes écoles, souvent accusées d’être déconnectées du monde professionnel, forment des jeunes à des métiers qui évoluent rapidement. Ainsi, des diplômés se retrouvent avec des compétences peu adaptées aux besoins actuels du marché. « Aujourd’hui, en termes de formation, il y a un grand décalage qui est moins présent dans le privé. À ce niveau, il y a une obligation de former et surtout d’employer ces jeunes qui ont été formés, ce qui n’est pas le cas dans le public. L’on se retrouve donc avec des formations qui ne sont pas régulées à l’entrée, ce qu’on appelle les formations sans régulation, il n’y a pas de concours, pas d’examen pour pouvoir participer à des formations. Ce sont des formations qui, réellement, sont là juste pour, en quelque sorte, occuper ces jeunes-là. Cette inadéquation entre la formation et le besoin d’emploi participe au phénomène de jeunes diplômés sans travail, qui choisissent parfois l’inactivité ou des projets alternatifs en attendant de trouver un poste qui corresponde à leurs aspirations», détaille l’expert.
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Améliorer et mieux cibler la formation
Aujourd’hui, les grandes entreprises ont des difficultés à recruter de manière qualitative. Il faut dire que la formation de base, offerte au Maroc, ne correspond pas forcément aux besoins du marché. « La formation n’est pas en adéquation avec ce qu’attend le marché. Le gouvernement marocain a pris conscience du problème du chômage des diplômés depuis plusieurs années et a mis en place diverses politiques publiques pour tenter de le résorber. Parmi les mesures adoptées figurent les programmes de formation professionnelle, les incitations fiscales pour l’embauche des jeunes, ainsi que les initiatives de promotion de l’entrepreneuriat », explique le spécialiste de l’emploi. Cette situation complique l’accès des jeunes au marché du travail et crée une sorte de cercle vicieux : sans expérience, ils ne trouvent pas d’emploi, et sans emploi, ils ne peuvent pas acquérir d’expérience. Pour briser cette dynamique, il faut aussi que les entreprises prennent conscience de l’importance d’intégrer des jeunes dans leurs équipes, même si cela nécessite un investissement initial en termes de formation et de temps.
L’expert estime que ce ne sont pas les grandes structures qui vont pouvoir absorber tous ces jeunes chômeurs qui sont sur le marché de l’emploi. Ce sont les petites structures, les TPE, qui pourraient le faire. Et pour cela, il faut que ces entreprises puissent accéder à la commande publique, à ce qu’elles soient payées dans les temps et qu’elles puissent accéder à des investissements, des moyens de financement…
Malgré ces efforts, les résultats restent en deçà des attentes. Les programmes mis en place ne parviennent pas toujours à atteindre les jeunes diplômés les plus vulnérables ou ceux issus de régions éloignées des centres urbains. Les réformes entreprises pour rendre le marché du travail plus accessible peinent à produire des effets concrets. La rigidité administrative et le manque de coordination entre les différents acteurs du marché de l’emploi ralentissent parfois les progrès attendus. Aussi, une meilleure coordination entre les universités et les entreprises pour adapter les programmes de formation aux réalités économiques du pays, serait souhaitable. En outre, des politiques plus inclusives et régionales devraient être mises en œuvre pour permettre aux jeunes diplômés des régions rurales d’accéder à des opportunités d’emploi.
Génération chômage ou génération décalée ?
Travaille chez Facebook, myself, CEO, freelance… Des termes de ce type sur les profils LinkedIn, il y en a, à la pelle. Ça décroche un sourire, puis un soupir. Habitués aux applications, aux logiciels en ligne… cette nouvelle génération ne saurait, ou mal, s’adapter à un travail de bureau. Si la société continue de percevoir le travail comme la norme, la nouvelle génération semble, quant à elle, vouloir redéfinir ce concept. Nombreux sont ceux qui refusent l’idée traditionnelle d’un emploi stable, derrière un bureau, de 9h à 18h, et préfèrent l’indépendance, le télétravail ou même une forme d’entrepreneuriat à petite échelle. Mais d’où vient ce décalage entre les attentes du marché et les aspirations de ces jeunes diplômés ?
Au lendemain du confinement de la Covid-19, les jeunes ont adopté le monde digitalisé, où les frontières entre vie personnelle et professionnelle se sont estompées. Le rêve de l’entrepreneuriat, l’attrait pour les métiers technologiques ou créatifs, l’idée de ne plus être enfermé dans une routine imposée par une hiérarchie rigide séduisent de plus en plus. Le travail salarié, traditionnellement perçu comme un gage de sécurité, perd de son attrait. Cette génération est influencée par des modèles de réussite que nous rabachent les réseaux sociaux, qui valorisent l’indépendance et la flexibilité.
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Mais derrière cette quête d’autonomie se cache une réalité plus complexe. Pour certains, le refus du travail de bureau n’est pas seulement une question de choix, mais une réponse à un marché de l’emploi jugé insatisfaisant ou inadapté. Les offres d’emploi ne répondent souvent pas aux qualifications des jeunes diplômés, ou ne proposent pas les conditions salariales et d’épanouissement recherchées. « À mon avis, les principales explications résident dans la relation actuelle entre les jeunes et le marché de l’emploi. À cela s’ajoute l’impact de la pandémie de Covid-19. Aujourd’hui, les jeunes sont de plus en plus informés et conscients des opportunités professionnelles qui leur sont proposées. Ils font preuve d’une plus grande exigence dans le choix de leur employeur et des métiers qu’ils souhaitent exercer », déclare El Hammal. Le coût de la vie augmente, les loyers flambent, et les contrats précaires sont monnaie courante. Face à cela, beaucoup choisissent de prendre du recul, espérant une meilleure opportunité, ou de créer leur propre emploi.
Quand j’entends dire que les jeunes ne veulent pas forcément travailler, j’ai envie de répondre : oui, certains ne le souhaitent pas. Cependant, il faut aussi reconnaître qu’ils ont de nouvelles exigences. Les jeunes sont désormais plus attentifs à la qualité de vie au travail et à leur santé mentale, des préoccupations qui reviennent fréquemment. En réalité, plusieurs facteurs contribuent à ce décalage croissant entre les jeunes et le marché du travail.Youssef El Hammal
Le freelancing et l’entrepreneuriat peuvent aussi sembler idéaux, mais ils viennent aussi avec leur lot de difficultés. L’instabilité des revenus, l’isolement, la gestion administrative ou encore l’absence de protections sociales sont autant de défis que ces jeunes doivent surmonter. Beaucoup se lancent dans l’aventure sans réellement connaître les réalités du terrain, afin d’éviter le chômage, poussés par l’illusion d’un parcours sans contraintes, mais se heurtent rapidement à des difficultés financières ou à la fatigue mentale.
Certains, déçus par ces expériences, finissent par retourner vers le marché de l’emploi traditionnel, tout en conservant un sentiment d’inadaptation. D’autres, au contraire, persistent et tentent de se réinventer dans des secteurs émergents, tels que la tech, l’innovation, ou l’économie créative. « Je pense qu’il faut regarder plus du côté des créations d’opportunités ou bien des dispositifs qui sont mis en place pour encourager les jeunes, il faut plus regarder du côté de la création d’entreprises. Pas en termes auto-entrepreneur, mais création d’entreprise. Il faut créer des entreprises. Aujourd’hui, il faut encourager les TPE, encourager les infrastructures, avec des dispositifs, des fiscalités plus allégées, avec plus de flexibilité en termes de recrutement…», poursuit El Hammal.
Pour réconcilier cette génération avec le marché du travail, il est important de repenser les conditions d’accès à l’emploi et d’adapter les modèles de travail aux réalités et aux attentes des jeunes diplômés. Les entreprises doivent intégrer plus de flexibilité, offrir des perspectives d’évolution rapides et encourager un équilibre entre vie professionnelle et personnelle. De leur côté, les jeunes diplômés gagneraient à se former aux réalités du monde du travail afin de mieux appréhender les défis qui les attendent. Les initiatives publiques, telles que des programmes d’accompagnement pour jeunes entrepreneurs ou des formations en ligne, peuvent également jouer un rôle dans cette transition.
Le fossé qui se creuse entre le monde du travail traditionnel et les aspirations des jeunes diplômés appelle à une réflexion plus large sur la transformation du travail et sur la place que cette nouvelle génération est prête à y occuper.
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