Intelaka : « Dans les régions éloignées, les dossiers sont davantage rejetés », Youssef Ennaciri
Youssef Ennaciri. DR @LuxeRadio
Sur le papier, c’est du rêve ! Une chance pour les petites entreprises, un nouveau souffle. Cependant, dans la réalité, lors du lancement, les Marocains ont réussi à dévier du chemin initial et à exploiter une faille dans le système, en s’enrichissant considérablement au passage.
Le processus commence par la demande de crédit Intelaka, pour laquelle la banque exige du porteur de projet de présenter un modèle commercial. Après examen du dossier par plusieurs commissions, le porteur de projet est invité par la banque à passer à l’étape d’exécution. A ce moment, il doit fournir un contrat de bail pour certains projets, agissant comme une garantie.
C’est à ce stade que certains entrepreneurs décidaient de jouer au jeu de la fraude financière. Ils peuvent facilement surestimer les coûts des travaux en collaboration avec des fournisseurs qui émettent de fausses factures à la banque. Le chèque certifié était ensuite déposé sur le compte du fournisseur pour débloquer les fonds, générant ainsi un bénéfice substantiel.
Entre temps, de nombreuses mesures ont été mises en place pour mettre fin à ces fraudes. A commencer par une commission de suivi, des paiements directs aux fournisseurs… Youssef Ennaciri, expert en entrepreneuriat et analyste financier, nous éclaire à ce sujet.
LeBrief : A quel genre de profil les banques ne donneraient pas du tout ce genre de crédit?
Youssef Ennaciri : Déjà, même si l’entreprise obéit aux conditions d’octroi qui est la date de création moins de 5 ans, un chiffre d’affaires moins de 10 millions de dirhams, les banques regardent la posture de chaque entreprise, la posture du porteur de projet. C’est-à-dire, elles voient si cette personne a la posture d’un vrai entrepreneur, ou bien si c’est juste une personne qui s’est formée sur le tas. Ca d’une part.
D’autre part, elles regardent le potentiel de croissance de la petite entreprise. C’est-à-dire, si elles voient que l’entreprise travaille dans un secteur qui n’est plus porteur, ou bien un secteur dont le besoin en financement est important, notamment des secteurs capitalistiques, à ce moment-là, la banque s’interdit d’octroyer le crédit. Personnellement, je trouve que c’est une bonne chose parce que quand on donne de l’argent à une personne qui ne va pas bien l’utiliser, on va avoir l’effet boomerang, l’effet inverse.
LeBrief : Par le passé, il y a eu beaucoup d’arnaques…
Effectivement il y en a eu quelques-unes malheureusement et heureusement, elles sont minoritaires, des petites entreprises qui essaient d’exploiter ce crédit par le biais d’arnaques, de faux investissements, de fausses déclarations…
LeBrief : Qu’est-ce qui est actuellement mis en place pour contrer ces fraudes ?
Y.E : Aujourd’hui notamment, dans plusieurs cas, ce n’est plus l’entreprise qui paye les fournisseurs, mais c’est plutôt la banque qui fait le virement directement aux fournisseurs. Ca contourne la possibilité que l’entreprise ne paie pas ses fournisseurs, ce qui est déjà arrivé par le passé.
Une deuxième mesure a été mise en place, à savoir une vraie étude de dossier par des commissions spécialisées. Et ça, malheureusement, ce n’est pas fait par toutes les banques. Il y a des banques qui ont des structures formées pour ça et compétentes, pour juger la crédibilité du dossier et la crédibilité du porteur du dossier.
Lire aussi : Programme Intelaka : près du tiers des dossiers refusés
LeBrief : La faillite est-elle toujours imputée au porteur de projet ?
Y.E : Là aussi, il y a une commission qui est mise en place pour étudier les causes de la faillite. Si les causes sont dues juste aux problèmes de marché, d’accès au marché ou des difficultés réelles rencontrées par l’entreprise, à ce moment-là, c’est les fonds de garantie qui entrent en jeu.
Mais si la faillite est due à une mauvaise attention, à une mauvaise gestion, malgré les alertes données par la banque, par le comité de suivi de la banque, à ce moment-là, la procédure suit la procédure normale judiciaire.
LeBrief : Dans une procédure normale la personne se doit de rembourser l’emprunt ?
Y.E : Exactement. Si les causes de la faillite lui sont dues d’une manière malhonnête.
LeBrief : La commission de suivi a-t-elle pour rôle de suivre le développement de l’entreprise de A à Z ?
Y.E : Oui exactement et d’ailleurs là je lance un appel aux banques et aussi aux personnes qui demandent cet argent, de rester en contact avec la banque parce qu’aujourd’hui la banque ce n’est plus que l’octroi de l’argent, mais c’est aussi le conseil, au moment de l’octroi, et même après.
LeBrief : Jouahri a parlé d’un taux de rejet très élevé, atteignant les 40%, pourriez-vous nous expliquer ?
Y.E : C’est un taux qui est très élevé, et là, il y a plusieurs raisons. Il y a la raison de l’arnaque, mais il y a aussi malheureusement quelques banques, pas toutes, mais quelques banques, je peux dire qu’il n’y en a que trois ou quatre qui ont des structures compétentes pour juger les dossiers.
Malheureusement, d’autres banques, notamment dans les petites villes et les régions éloignées, donc des petites agences, ne sont pas assez formées pour juger les dossiers apportés par les petites entreprises. Et donc, le directeur d’agence, par souci de sécurité, va rejeter le dossier, même s’il est bon. Et ça, ce sont des cas qu’on a vécus dans plusieurs régions. Des exemples concrets sur lesquels j’ai travaillé personnellement, il y a des dossiers à Al-Hoceima, à Ouazzane, à Tinghir, Inezgane…. Et donc, quand on sort des grands centres, on revient à la mentalité bancaire d’autrefois, à savoir les garanties. Est-ce que j’ai des garanties personnelles solides? Sinon, je ne donne pas le crédit par mesure de sécurité.
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Rédaction LeBrief - 12 octobre 2022