Hassan Saoud, chercheur associé à l’Institut royal des études stratégiques (IRES) © DR
LeBrief : Lundi, le Maroc a tristement commémoré les 19 ans des attentats terroristes du 16 mai 2003 à Casablanca. Depuis ce drame, le Maroc a franchi bien des étapes dans sa lutte contre le terrorisme. Est-ce que les attentats du 16 mai 2003 ont introduit des changements dans la stratégie sécuritaire du Royaume ?
H.S : Je pense qu’il ne faudrait pas oublier un marqueur historique important dans ce domaine. Je pense au 11 septembre 2001 à New York quand le terrorisme a frappé de plein fouet les USA dans les symboles de sa puissance économique que représentait le World Trade Center. La nébuleuse a « touché l’intouchable » et une prise de conscience de la nouvelle menace mondiale dans sa géographie et son aspect multiforme et polymorphe pour aboutir à ce qu’on appelle aujourd’hui le « nouveau concept de la sécurité globale » que tous les pays ont adopté.
Pour le Maroc, les événements de triste mémoire du 16 mai 2003 ont été un déclencheur d’une nouvelle pensée stratégique avec une prise en mains au plus haut sommet de l’État pour une approche globale, anticipative, multidimensionnelle, multiacteurs dans un cadre de complémentarité des compétences et une synergie des moyens. 19 ans après, notre pays a pu créer une « gouvernance sécuritaire » efficace, efficiente et assez résiliente au regard des résultats et de la place qu’il occupe dans l’échiquier de la lutte antiterroriste mondiale, dont plusieurs pays amis s’en sont inspirés.
LeBrief : Pouvez-vous nous éclairer sur les actions tangibles menées dans le cadre de cette approche ?
H.S : Elle a débuté par la signature et la ratification de toutes les conventions des Nations Unies y afférentes et la mise en conformité de l’arsenal juridique nationale. La constitution de 2011 restera le point d’orgue de la réforme, notamment le caractère inclusif des acteurs de la sécurité, où en plus de l’État dans ses missions régaliennes, la société civile et le citoyen y figurent comme coproducteurs de la sécurité. « Touche pas à mon pays » restera dans les annales comme un booster patriotique inédit. Aussi, la commanderie des Croyants, avec sa légitimité historique et constitutionnelle, est venue concrétiser l’Islam du milieu, basé sur la concorde, le dialogue ainsi que la tolérance et le rejet de toute dérive radicaliste.
Une approche intégrée englobant, outre l’aspect sécuritaire, le volet économique, social et cultuel, dont la lutte contre la précarité dans les viviers terroristes et la réduction des disparités spatiales et sociales. Dans cette optique, les sciences humaines et sociales (Anthropologie, sociologie, criminologie, psychologie et science pénitentiaire) ont été associées dans cette stratégie globale inédite.
Le Maroc a aussi institué une chaine de sécurité regroupant en amont plusieurs acteurs. Il s’agit des autorités locales, de toutes les composantes de la sécurité (Police, FAR, GR, FA, PC, Douanes, etc.), de la communauté du renseignement civile et militaire. Il s’agit aussi de l’institution judiciaire et pénitentiaire dans un cadre transversal, décloisonné, cohérent et fluide sur le plan du fonctionnement. Par ailleurs, cette structure stratégique nationale a été déclinée sur le plan territorial dans les régions et les provinces sous la coordination des walis et des gouverneurs aux fins d’opérationnalisation.
LeBrief : Afin de piloter cette nouvelle stratégie, plusieurs entités ont vu le jour, dont le célèbre Bureau central d’investigations judiciaires (BCIJ). Quel a été l’apport de ces nouvelles structures ?
H.S : Sur le plan judiciaire, ces structures ont permis la mise en place de la Chambre antiterroriste à compétence nationale auprès de la Cour d’appel de Rabat. Cette approche a également permis la création du BCIJ et l’octroi de la qualité d’officier de police judiciaire aux agents de la DGST. Grâce à ce statut, ce dernier a vu ses prérogatives se renforcer pour se saisir du trafic des armes, de la drogue, entre autres, pour l’assèchement des avoirs criminels dont se nourrit la nébuleuse dans son activité hybride.
Sur le plan de la cybersécurité, d’autres entités ont été créées, à savoir :
– Le comité stratégique et la Direction générale de la sécurité des systèmes d’information ;
– Le Centre de veille, de détection et de réponse aux attaques informatiques (MACERT) ;
– L’Unité du traitement du renseignement financier (UTRF), devenu depuis septembre 2021 « Autorité nation du renseignement financier (ANRF) ». Ses attributions et ses acteurs ont ainsi été élargis pour consolider la lutte contre le blanchiment des avoirs criminels et le financement du terrorisme.
Sur le plan de la déradicalisation, la Délégation générale à l’administration pénitentiaire et à la réinsertion (DGAPR) a introduit en aval le programme « Moussalaha ». Il est destiné à la déradicalisation en phase carcérale au profit des condamnées pour actes terroristes. Cette initiative vise leur réinsertion, et ce, en collaboration avec les oulémas et les experts des sciences molles, dont les anciens détenus sont un maillon important compte tenu de leur vécu. Cette expérience a donné ses fruits et a permis une réduction notable de la récidive et a poussé beaucoup de pays amis à adopter la même démarche.
LeBrief : Le Maroc est sollicité par plusieurs pays pour un partage d’expérience et de renseignements en matière de lutte antiterroriste. Que dire du travail accompli par le Maroc sur le volet de la coopération internationale dans ce domaine ?
H.S : Le Maroc est selon les observateurs un acteur majeur dans la coopération internationale. Il s’est inscrit de manière durable et déterminée dans cette coopération en fournissant des renseignements préventifs au profit des pays amis. Grâce à ce partenariat, ils ont pu déjouer des attentats et démanteler des cellules en Espagne, Belgique, France, États-Unis, Danemark et bien d’autres. De plus, le partage d’expérience et d’expertise avec les pays africains amis vise à renforcer leur capacité à faire face au défi terroriste, malheureusement très dominant, dans cette partie du monde.
LeBrief : À une échelle plus globale, quelle place occupe notre pays sur l’échiquier de la lutte antiterroriste ?
H.S : Le Maroc est activement présent dans toutes les organisations de lutte antiterroriste, à savoir :
– Le Forum global de lutte antiterroriste ;
– La convention arabe de lutte contre le terrorisme ;
– La convention de l’Union africaine sur la prévention et la lutte contre le terrorisme ;
– La Coalition mondiale anti-Daesh, qui regroupe 85 pays.
Le Royaume est aussi coprésident de l’Africa Focus Group, une déclinaison africaine de la coalition précitée. Il copréside également le Mémorandum La Hay-Marrakech avec les Pays-Bas, relatifs aux « combattants étrangers », depuis 2014.
En effet, le Maroc vient d’abriter la 9? édition de la Coalition mondiale anti-Daesh avec la participation de 80 pays. Après Paris, Rome, New York, Bruxelles et Washington, et deux sessions autres virtuelles, les travaux de ce sommet se sont déroulés à Marrakech, la semaine dernière. Une première en terre africaine, surtout quand on sait que ce continent est devenu l’épicentre du terrorisme international. Cela confirme le choix royal, son efficacité et son prolongement stratégique depuis plus de 20 ans contre ce fléau. La tenue de ces travaux au Maroc confirme aussi le leadership du Royaume sur le continent, qui est aux prises avec l’extrémisme, représenté par pas moins de 27 groupes, toutes obédiences confondues. La fragilité de certains États et la multiplication des zones grises ont fait prendre conscience de la prolifération terroriste, qui entrave le développement de l’Afrique. Le moment est venu de se pencher sur cette menace en phase de métastase chronique avant qu’il ne soit trop tard.
Le Maroc bien classé
Le classement du Maroc par le Global terrorisme index 2022 de l’institut pour la paix et l’économie au 76? rang sur 109 parmi les pays les moins impactés par le terrorisme avec un score de 1,156 (le score impact grave est de 10 et le moins impacté est de 0). Le Royaume est aussi 80? sur 163 dans l’Indice de paix positive avec un score de 3,177 (bon classement). L’Algérie est pour sa part au 40? rang avec un score de 4,432, tandis que la Tunisie est 39? avec un score de 4,447. Donc, nos deux voisins maghrébins sont fortement impactés par ce fléau.
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