Hajj : le voyage de toute une vie
Cette année, le nombre total de pèlerins marocains pour le Hajj s’élève à 34.000 (0,1% de la population), dont 22.800 sont pris en charge par le ministère des Habous et des Affaires islamiques, tandis que les agences de voyage s’occupent de 12.200 pèlerins. 51% des pèlerins sont des femmes et 15% d’entre eux ont plus de 80 ans.
Outre la présence d’oulémas et de médecins, ces pèlerins sont accompagnés par 725 encadrants administratifs, dont 460 accompagnateurs, la plupart étant des mourchidines et des mourchidates. Quatre-vingt-un vols sont programmés dans le cadre du pèlerinage de cette année. Le dernier vol aller aura lieu le 22 juin, tandis que les vols retour débuteront le 3 juillet et prendront fin le 23 du même mois.
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Le Hajj autrefois
Avant l’existence des moyens de transport modernes, les Musulmans entreprenaient le grand voyage à La Mecque à pied ou à dos de chameau.
Des caravanes traversaient les zones désertiques pour arriver à la Mecque. Pour les fidèles de contrées éloignés comme le Maroc, le voyage s’étalait sur une année. Les dizaines de fidèles marocains devaient affronter les aléas climatiques et les dangers du chemin. Au XXᵉ siècle, les voitures et les bateaux ont quelque peu raccourci les distances et augmenté le nombre pèlerins marocains qui dépassait les 500.
Mais, le voyage durait tout de même entre 10 et 30 jours. Les premières liaisons aériennes au milieu du siècle dernier marqueront le début d’une nouvelle ère pour le Hajj. En quelques heures, les pèlerins pouvaient rallier Jeddah ou Médine. Cependant, bien après l’indépendance du Maroc, certains préféraient encore faire le voyage par voie terrestre, jugée plus méritoire. «J’ai effectué mon pèlerinage par voiture. Avec des amis, nous avons parcouru près de 20.000 km pour faire le trajet aller-retour entre Fès et La Mecque», nous racontait Haj Abdelhay.
Ainsi, il détaille : «Nous avions des bidons remplis d’essence dans le coffre, de la nourriture et de l’eau. Nous avons traversé les frontières des différents pays arabes en marquant des arrêts pour la nuit. L’hospitalité de nos frères musulmans nous a facilité les choses». À l’époque, le grand voyage au “Hijaz” ne coûtait pas plus de 1.000 DH.
Classification Vs démocratisation
Le montant fixé pour le Hajj s’élève cette année à 62.929 DH, hors argent de poche. Ce montant a été déterminé par la Commission royale en charge du pèlerinage pour les pèlerins inscrits avec le ministère des Habous et des Affaires islamiques. Ceux qui ont opté pour une agence de voyages, ont dû débourser bien plus que cela.
Tout dépend de la gamme et des prestations choisies. Hôtel 4 ou 5 étoiles, chambre single, double ou quadruple, proximité des Lieux Saints, conditions de transport… autant de critères qui peuvent gonfler la facture. Selon trois agences casablancaises consultées par LeBrief, comptez de 72.000 à 160.000 DH. Les voyagistes assurent que ce sont les effets de l’inflation et surtout du renchérissement des prix de l’aérien.
«Ça dépend. C’est une question de chance. On peut avoir de bonnes prestations avec une agence de voyages par rapport à l’offre étatique ou le contraire. Il y a des gens qui sont partis avec les Habous et qui sont revenus satisfaits et d’autres personnes qui ont choisi l’offre d’une agence de voyages et qui ont souffert le martyre avec, par exemple, l’absence de transport sur place, une restauration de mauvaise qualité…», témoigne Amina Z, fonctionnaire retraitée en partance pour le pèlerinage avec une agence meknassie. «Avec mon époux, nous n’avons pas pu prendre une chambre double, c’est trop cher. Il faut débourser 100.000 DH chacun pour avoir ce privilège. Nous avons donc opté pour l’offre chambre quadruple à 74.000 DH par personne. Mon mari partagera sa chambre avec trois hommes et je serai pour ma part avec trois femmes», regrette notre interlocutrice.
166 agences ont été labellisées et autorisées à commercialiser les produits du Hajj 1444. Les agences avancent qu’au moins trois personnes dont un alem encadrent un groupe de 50 fidèles, ce qui permet de garantir une conformité aux rites et une assistance permanente des pèlerins.
Quoi qu’il en soit, le nombre de pèlerins optant pour le service public garanti par l’État, dont le prix est réglementé, témoigne de la méfiance portée à l’égard des agences de voyages et des prix excessifs qu’elles appliquent. Malgré les appels de nombreux acteurs en faveur d’un désengagement du ministère des Habous de l’organisation du Hajj au profit d’agences spécialisées, de nombreuses personnes considèrent que le service public est à même de préserver une certaine démocratisation du pèlerinage.
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Problèmes dépassés ?
Depuis quelques années, et mis à part les bousculades et autres accidents qui ont coûté la vie à des pèlerins marocains, les conditions de séjour en Arabie saoudite sont maintenant qualifiées de correctes. Au fil du temps, les vidéos montrant des pèlerins marocains rencontrant des difficultés et mettant en lumière les problèmes existants sont devenues rares. Escroquerie au niveau des agences de voyages, problème de sécurité dans les tentes dressées pour accueillir les pèlerins marocains, retard des bus lors du transfert à Arafat, déjeuner inadéquat à Mina, non-respect des vols pour le voyage retour au Maroc…
Autant de défaillances qui semblent aujourd’hui dépassées, selon les témoignages des pèlerins à leur retour au Royaume. Toutefois, certains de leurs proches avouent que les nouveaux pèlerins n’osent pas exprimer leurs plaintes en public parce qu’on leur avait inculqué l’idée qu’il ne fallait jamais se plaindre, car Dieu récompenserait leur patience. Même ceux qui étaient les plus lésés hésitaient à dénoncer les abus commis sur place par les prestataires de services aux comportements peu scrupuleux. À titre d’exemple, avant la pandémie de Covid-19, certains pèlerins se sont retrouvés logés si loin du mont Arafat qu’ils ne sont pas parvenus à accomplir leur Hajj, car le rite de la lapidation de Satan est essentiel pour achever le pèlerinage.
Une manne importante
Le marché du Hajj et de la Omra offre des opportunités économiques importantes, avec des perspectives de revenus pouvant atteindre jusqu’à 25% pour les agences de voyages. Pour l’Arabie saoudite, le Hajj et la Omra constituent une source de revenus essentielle pour le pays. Les coûts du Hajj varient selon les pays, avec des tarifs allant de 63.000 DH pour les Marocains à 150.000 DH pour les ressortissants du Qatar, pays voisin. Les augmentations récentes des prix sont principalement dues à l’inflation et à l’augmentation de la TVA en Arabie saoudite. Rien que pour le Hajj, près de 12 milliards de dollars ont été engrangés par le royaume wahhabite en 2022.
Ce n’est pas pour rien que les autorités saoudiennes, qui s’attendent à ce que plus de trois millions de fidèles accomplissent le Hajj cette année, ont autorisé des pèlerinages sans ‘‘mahram’’ (membre de la famille que la femme ne peut épouser) pour les Musulmanes de tous les pays. Les autorités saoudiennes ont aussi lancé la « Route de la Mecque », l’un des programmes du ministère de l’Intérieur dans le cadre de la vision 2030 du Royaume d’Arabie saoudite, visant à fournir des services dédiés aux pèlerins. Cette initiative permet de faciliter les démarches des pèlerins depuis le pays d’origine, en leur fournissant un visa électronique et en finalisant les procédures de passeport à l’aéroport, après avoir vérifié les exigences sanitaires. Une fois les bagages triés et codés conformément aux modalités de transport et d’hébergement en Arabie saoudite, les pèlerins sont directement acheminés vers les bus qui les conduiront à leurs résidences dans les villes saintes de La Mecque et Médine. Les autorités compétentes se chargent quant à elles de livrer les bagages directement aux domiciles des pèlerins.
L’initiative de la « Route de la Mecque » est mise en œuvre dans sept pays, à savoir l’Indonésie, la Malaisie, le Pakistan, le Bangladesh, la Turquie, la Côte d’Ivoire et le Maroc. Le ministre marocain des Habous et des Affaires islamiques, Ahmed Toufiq, s’est félicité de cette initiative qui, selon lui, facilitera pour la deuxième année consécutive les procédures de voyage des pèlerins marocains se rendant à La Mecque et à Médine pour effectuer les rituels du Hajj. Toufiq a souligné que les pèlerins marocains prendront les dispositions nécessaires avant d’embarquer dans l’avion à l’aéroport Mohammed V de Casablanca, de sorte qu’une fois arrivés à destination, ils pourront sortir et monter dans les bus en quelques minutes seulement. Et, afin d’améliorer l’accomplissement du « tawaf » et des prières à la Grande Mosquée de La Mecque, le roi Salmane a lancé, en 2015, cinq grands projets destinés à permettre à la mosquée d’accueillir près de deux millions de fidèles sur un site de 1,5 million de mètres carrés. La troisième phase d’expansion s’est achevée l’année dernière et la Grande Mosquée peut depuis lors accueillir plus de 500.000 fidèles par heure.
Bien que le grand voyage vers La Mecque ait connu de nombreux changements au fil des siècles, l’essence du pèlerinage reste immuable, conformément au rite du prophète Ibrahim. Cinquième et dernier pilier de l’Islam, le Hajj est obligatoire pour tout musulman en bonne santé et financièrement capable. Il se déroule sur une période minimale de cinq jours pendant le dernier mois du calendrier lunaire (Dou Al-Hijja). Il représente aussi le point culminant de la vie d’un croyant, lui permettant de se purifier de tous ses péchés. Malgré les défis économiques actuels, de nombreux fidèles continuent de rêver de faire le voyage sacré, prêts à tout donner et à surmonter les obstacles pour vivre cette expérience spirituelle unique.