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Guerre en Ukraine : avec la livraison de chars lourds, le début de l’escalade ?

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Un char Abrams M1, de fabrication américaine, en Roumanie, en 2017. © Daniel MIHAILESCU / AFP

Kiev a dû attendre, mais recevra bien plusieurs livraisons de chars lourds de la part des Occidentaux après les annonces, ce mercredi 25 janvier, de l’Allemagne et des États-Unis.

L’envoi de ces chars lourds cristallisait les tensions depuis plusieurs jours en Europe. Si la Russie assure que l’envoi de tels engins ne changerait rien à la situation sur le terrain, de nombreux experts estimaient que des chars lourds modernes représenteraient un avantage de taille pour l’Ukraine.

La clé maintenant est la vitesse et le volume des livraisons, affirme Volodymyr Zelensky

Le président ukrainien Volodymyr Zelensky, qui réclamait depuis plusieurs mois ces chars, a salué «une étape importante pour la victoire finale». «Une journée historique. Un de ces jours qui sera déterminant pour notre future victoire», s’est félicité sur le réseau social Telegram Andriï Iermak, le chef de l’administration présidentielle. «L’essentiel est que ce ne soit que le début. Nous avons besoin de centaines de chars», a-t-il martelé.

Berlin donne son accord pour l’envoi de Leopard 2

Plusieurs pays, dont la Pologne et la Finlande, avaient proposé l’envoi des chars Leopard 2 à leur disposition. Or, ces appareils sont de fabrication allemande, et tout armement de cette provenance doit recevoir le feu vert de Berlin pour être transféré à un pays tiers.

L’Allemagne et son chancelier Olaf Scholz avaient toutefois affiché leur réticence, notamment en raison d’une crainte d’une escalade de la Russie sur fond de divisions au sein de la coalition social-démocrate.

Olaf Scholz a fait savoir que son pays voulait faire le «nécessaire» pour soutenir l’Ukraine mais voulait «empêcher une escalade» entre la Russie et OTAN. «Nous faisons ce qui est nécessaire et possible pour soutenir l’Ukraine, mais nous empêchons en même temps une escalade de la guerre, vers une guerre entre la Russie et l’OTAN», a affirmé le dirigeant allemand.

Berlin a fini par donner son feu vert à la livraison de ces chars par d’autres pays. Elle a dans le même temps annoncé l’envoi pour sa part de 14 chars Leopard 2A6, puisés dans les stocks de la Bundeswehr. Le résultat «d’intenses consultations qui ont eu lieu avec les partenaires européens et internationaux les plus proches de l’Allemagne», a fait savoir le porte-parole du gouvernement.

Le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, a salué la décision de l’Allemagne de fournir des chars Leopard 2 à l’Ukraine, assurant qu’ils aideront Kiev à l’emporter face aux envahisseurs russes. «À un moment critique de la guerre lancée par la Russie, ils peuvent aider l’Ukraine à se défendre, à vaincre et à l’emporter en tant que nation indépendante», a-t-il ajouté sur Twitter.

Les alliés se joignent à Berlin

Avec ce feu vert, plusieurs pays vont pouvoir livrer les chars Leopard 2 qu’ils avaient déjà proposés. Parmi eux, la Pologne, dont le Premier ministre Mateusz Morawiecki a salué la décision de l’Allemagne, «un grand pas vers l’arrêt de la Russie». Varsovie a précédemment annoncé être prêt à en fournir 14.

En plus de la Finlande, qui s’était déjà prononcée, la coalition de pays prêts à fournir de tels blindés comprend aussi le Danemark et les Pays-Bas, selon plusieurs médias.

Sans préciser le nombre de chars potentiellement concernés, l’Espagne a confirmé mercredi être «disposée» à envoyer des Leopard à Kiev. La ministre espagnole de la Défense, Margarita Robles, a de plus annoncé que le pays est prêt à former les soldats ukrainiens à l’utilisation des engins.

https://youtu.be/plig-9dBb3Q

Mercredi soir, la Norvège a également fait savoir son intention d’envoyer des chars lourds Leopard 2 en service dans son armée, sans donner le nombre de tanks concernés. L’entraînement de troupes ukrainiennes est également prévu, selon un ministre.

L’Ukraine a demandé 300 chars aux pays de l’OTAN, et le Leopard semble être le seul modèle en quantité suffisante. À court terme, Kiev ne pourrait en recevoir que quelques dizaines, mais au total 80 chars seront livrés.

Washington promet des chars Abrams

L’annonce de l’Allemagne mercredi a été suivie dans la soirée par celle de Washington, qui a confirmé l’envoi de 31 chars Abrams à l’Ukraine, soit l’équivalent d’un bataillon, revenant ainsi sur sa doctrine. Cette décision n’est pas une «menace offensive contre la Russie», a cependant voulu assuré le président américain Joe Biden.

Les chars américains ne devraient toutefois pas être livrés tout de suite : «Nous parlons de mois, pas de semaines», selon une haute responsable américaine. Il restait notamment à éclaircir la question de savoir s’il s’agissait d’une commande de nouveaux chars, de l’envoi de chars rénovés ou provenant de pays tiers.

Ce mercredi, de hauts responsables américains ont indiqué, sous couvert de l’anonymat, que les États-Unis allaient former, «en dehors de l’Ukraine», les Ukrainiens au maniement du char.

«Merci à Joe Biden pour une nouvelle décision puissante de fournir des [chars] Abrams à l’Ukraine. Reconnaissant envers les Américains pour leur soutien», a-t-il affirmé sur Twitter. «Aujourd’hui, le monde libre est uni comme jamais auparavant avec un objectif commun : la libération de l’Ukraine», a-t-il ajouté.

Le Royaume-Uni, premier pays à envoyer les Challenger 2

Rishi Sunak, le Premier ministre britannique, a réagi sur Twitter à «la bonne décision prise par nos alliés et amis de l’OTAN d’envoyer des chars de combat en Ukraine», ajoutant : «Aux côtés des Challenger 2 (les tanks promis récemment par Londres), ils renforceront la capacité défensive de l’Ukraine.»

Et Londres appelle les Occidentaux à «intensifier» encore leur soutien à l’Ukraine. Lors d’un appel téléphonique avec les dirigeants américain, français, allemand et italienne, le Premier ministre Rishi Sunak «a déclaré qu’il était désormais clair que la Russie était sur la défensive et que les partenaires internationaux disposaient d’une fenêtre pour accélérer les efforts visant à garantir une paix durable en Ukraine», indique Downing Street dans un communiqué.

Le Royaume-Uni est devenu le premier pays à s’engager dans ces livraisons, le 15 janvier dernier, avec l’annonce de l’envoi, «dans les prochaines semaines», de 14 Challenger 2.

https://youtu.be/dNbn9MhFe6c

Et des chars Leclerc français ?

Qu’en est-il de l’Hexagone ? Le gouvernement français n’a de son côté pas encore pris de décision au sujet de l’envoi de ses propres chars lourds Leclerc, mais ne l’exclut pas, comme l’a répété ce mercredi la Première ministre Elisabeth Borne. «Rien n’est exclu et nous sommes mobilisés pour les soutenir dans la durée, a-t-elle affirmé. S’agissant des chars Leclerc, nous poursuivons l’analyse avec le ministre des Armées.» La décision de la France sur une livraison ou non de chars Leclerc aura lieu «dans les jours à venir».

Plus tôt en janvier, Emmanuel Macron avait toutefois annoncé que la France livrerait à l’Ukraine «des chars de combat légers AMX-10 RC» de fabrication française, alors les premiers chars de conception occidentale fournis aux forces armées ukrainiennes.

Un tournant dans la guerre ?

L’essentiel du parc de chars ukrainien est actuellement composé de T-72 dont la conception remonte à l’époque soviétique. La Russie utilise les mêmes modèles. Plus légers, moins modernes, ils ne disposent pas d’une puissance de feu similaire aux Leopard 2. Et les deux pays ont essuyé beaucoup de pertes, des centaines de véhicules blindés ayant été détruits depuis le début de l’offensive lancée par Moscou en février 2022.

Le renfort du Leopard 2 compenserait en partie la supériorité de l’artillerie russe et aiderait les forces ukrainiennes dans leurs opérations de reconquête de leur territoire. L’Ukraine a indiqué qu’elle avait besoin de 300 chars, tandis que 100 pourraient probablement modifier l’équilibre de la guerre, précisaient des analystes militaires cités par The Guardian.

Un Leopard pourrait être considéré comme équivalent à trois chars russes, Pere Ortega, expert en industrie militaire

Autre avantage : cinq semaines suffisent pour former les militaires à la manœuvre du Leopard, qui dispose par ailleurs d’un calibre similaire à celui du T-72.

«Les technologies qui sont incorporées dans les Leopard, comme la vision nocturne et la vision laser, ne sont pas aussi développées dans les T-72 russes. Un Leopard pourrait être considéré comme équivalent à trois chars russes, sachant que la Russie a beaucoup plus de chars que l’Allemagne», estime Pere Ortega, expert en industrie militaire au Centre d’études pour la paix, cité par Euronews.

Guerre en Ukraine : avec la livraison de chars lourds, le début de l'escalade ?

Comparatif des chars russe (à gauche) et occidentaux (à droite). © Euronews

Sur le papier, les chars occidentaux paraissent supérieurs au T-72 de conception soviétique, qui est entré en service en 1970, mais qui a depuis été modernisé. Le Abrams américains, le Challenger britannique et le Leclerc français sont de manière générale mieux équipés, plus rapides, mais disposent d’une portée opérationnelle similaire au blindé russe.

De nombreuses voix s’accordent à considérer qu’une ligne est franchie et que l’escalade n’est plus à exclure. Pour Artem Sokolov, expert de l’Institut d’études internationales, cité par Le Figaro, «?un précédent a été créé et ses conséquences seront importantes?».

L’OTAN affirme pour sa part que ces blindés vont permettre à Kiev de gagner la guerre. Quelle est réellement la force de frappe de ces chars lourds ?

Le Kremlin, en colère, menace de «brûler» les chars

Après l’annonce de l’Allemagne – mais avant celle des États-Unis –, Moscou a de son côté dénoncé une décision «extrêmement dangereuse qui va amener le conflit vers un nouveau niveau de confrontation», selon l’ambassadeur de Russie à Berlin, Sergueï Netchaev. «Cela nous persuade une fois encore que l’Allemagne, à l’instar de ses alliés les plus proches, ne veut pas d’une solution diplomatique à la crise ukrainienne et qu’elle veut une escalade permanente», a-t-il encore dit.

En visite ce mercredi à l’université d’État de Moscou, où il a rencontré des étudiants, Vladimir Poutine a préféré ne pas évoquer le sujet à ce stade. Mais le porte-parole de la présidence russe, Dmitri Peskov, a déclaré à la presse que les Occidentaux «surestiment le potentiel que [les chars] pourraient donner à l’armée ukrainienne». «Ces chars vont brûler comme tous les autres», a-t-il ajouté.

Pour Andreï Kartapolov, le chef de la commission de la défense de la Douma, «?les chars Leopard ne sont pas mauvais, je dirais même qu’ils sont plus efficaces que les Abrams. Néanmoins, si vous les comparez à nos T-90, ils sont nettement inférieurs en termes de puissance de feu et de protection blindée?».

Par ailleurs, «?ces chars lourds sont très coûteux et cela ­retombera avant tout sur les épaules des contribuables européens. Les Américains, comme toujours, ­retrouveront leur argent au minimum et probablement feront de bons bénéfices?», a aussi commenté Dmitri Peskov.

Pour autant, s’agissant de la fourniture de chars lourds, américains notamment, «il ne serait certainement pas ­possible de justifier une telle décision par des arguments relatifs aux armements défensifs?», a averti pour sa part sur Facebook Anatoly Antonov, l’ambassadeur de Russie à Washington, en dénonçant une «?nouvelle provocation flagrante?».

«?L’analyse de toute la séquence montre que les Américains relèvent constamment la “barre” de l’assistance militaire à leurs “marion­nettes”?», ajoute le diplomate. Le présentateur Vladimir Soloviev lui a fait écho : «?Il est temps d’envoyer un signal clair et décisif indiquant que nous considérons l’Allemagne comme une partie du conflit. L’envoi en Ukraine de ses chars nous ­amènera sans ambiguïté à la ­considérer comme une cible légi­time?», a lancé le propagandiste lors de son émission télévisée.

Selon l’influent Fiodor Loukianov, directeur de recherches au Cercle Valdaï, proche du pouvoir russe, des mesures de rétorsion sont à attendre, comme des «?frappes sur les routes d’approvisionnements et les entrepôts d’armes fournies?».
«?Une nouvelle étape de la confrontation est en vue?», prévoit, lui, le politologue Dmitri Driese sur Kommersant FM, a fortiori si les Occidentaux devaient consentir en février à Kiev une aide aérienne.

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