Ils sont 15,2 millions dans le monde, en grande majorité en Israël. Mais si l’attaque du 7 octobre dernier a endeuillé de nombreuses familles, les Juifs ne sont pas tous favorables à la riposte «Épées de fer» du cabinet de guerre de Netanyahu. Certains se disent même contre l’oppression israélienne continue exercée dans les territoires palestiniens occupés.

À la suite des attaques du Hamas perpétrées le 7 octobre 2023 contre l’État hébreu et de la réponse militaire israélienne qui s’ensuivi, certains Juifs d’Israël et du monde entier ont publié sur les réseaux sociaux, ou déclaré publiquement, que les personnes qui critiquent la riposte d’Israël sont, ou pourraient être, antisémites. Mais au sein des familles et des congrégations, sur les campus, lors des manifestations et en ligne, cette idée ne fait pas l’unanimité. Depuis, les fissures au sein des communautés juives se creusent.

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Si l’attaque brutale du Hamas a suscité la sympathie pour Israël, elle a également déclenché une vague de menaces en ligne contre les Juifs, des intimidations à l’encontre des institutions juives et des manifestations effrontées de symboles antisémites. «C’est une triste réalité : chaque fois qu’un conflit éclate entre Israël et les Palestiniens, les Juifs du monde entier subiront un certain niveau de violence haineuse», a déclaré Heidi Beirich, co-fondatrice du Projet mondial contre la haine et l’extrémisme.

Guerre au Proche-Orient : pour ou contre ? La diaspora juive prise en étau

Des membres de la communauté israélienne colombienne effacent des graffitis antisémites devant l’ambassade d’Israël à Bogota, en Colombie, le 9 octobre 2023, deux jours après que les combattants du Hamas ont lancé une attaque surprise meurtrière contre Israël. © DR

La récente recrudescence des attaques antisémites n’est pas un phénomène isolé, mais s’inscrit dans une tendance de longue date, a déclaré Brian Levin, chercheur sur l’extrémisme et professeur émérite à la California State University. «Je pense simplement que cela alimente l’antisémitisme qui a toujours existé aux États-Unis et dans toute l’Europe», commentait une source auprès de VOA News.

En octobre 2000, de violentes manifestations en Israël ont déclenché une hausse de 152% des crimes de haine antisémite aux États-Unis, selon les recherches de Levin. En mai 2021, les affrontements entre Israël et le Hamas ont entraîné une augmentation de 187% des crimes de haine anti-juifs à New York et une multiplication par près de quatre de la haine antisémite à Los Angeles.

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«Nous avons constaté des pics à Londres, et en effet, presque tous les grands pays européens ayant signalé des crimes de haine antisémites pour 2021 ont enregistré des augmentations», a déclaré Levin. La ligue anti-diffamation aux États-Unis (ADL) a rapporté plus tôt cette année que les incidents d’agression, de vandalisme et de harcèlement visant les Juifs aux États-Unis avaient atteint de nouveaux «niveaux historiques» en 2022.

«Pas en notre nom»

De New York à Londres, en passant par Barcelone, de nombreux manifestants juifs investissent les rues pour dénoncer l’offensive dévastatrice d’Israël sur la bande de Gaza. Ils sont des millions à exiger une action de la part de leurs propres gouvernements et de la communauté internationale. David Cannon, président du Réseau juif pour la Palestine, précise que de nombreuses organisations juives «détestent ce qui se passe et font remonter le problème à 1948, lorsque Israël a été fondé sur un vol violent et raciste».

«Des centaines de villages palestiniens ont été détruits, des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants palestiniens innocents ont été massacrés. 750.000 réfugiés palestiniens ont été créés, ils ont fui leurs terres, leurs entreprises, leurs maisons. C’est sur cela qu’Israël est fondé», a-t-il déclaré à Anadolu.

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«Et c’est le problème depuis. C’est ce qu’on appelle la Nakba, la catastrophe palestinienne, et cela dure depuis 75 ans. C’est la raison pour laquelle ce qui se passe n’est qu’un symptôme supplémentaire d’exactement la même chose, et nous devons l’arrêter et le résoudre.», a-t-il ajouté.

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Pas en notre nom : les Juifs s’opposent aux guerres d’Israël. © DR

Holly Huffnagle, directrice américaine de l’antisémitisme à l’American Jewish Committee (AJC), a déclaré que le groupe de défense juif soutient les droits des Palestiniens, mais prévient que les protestations s’étendent de la critique d’Israël à l’antisémitisme et aux complots contre les Juifs. «Il s’agit d’un soutien au Hamas en tant que groupe terroriste», a-t-elle déclaré.

Quid des Juifs Marocains

Au Maroc, qui était autrefois le cœur prospère d’une importante communauté juive, estimée à un quart de million de personnes, de nombreux Juifs disent ressentir de la «honte» et sont traumatisés par ce qu’ils décrivent comme des violences innommables commises par des Israéliens au nom de leur foi. «La violence ne conduit qu’à la violence. Il faut arrêter la guerre, et la solution passe par une décolonisation de la Palestine», a affirmé une juive sous couvert d’anonymat à The New Arab.

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«Bien que les petits juifs marocains adoptent la même position pro-palestinienne que moi, je n’ai jamais rencontré quelqu’un qui soit d’accord avec ce que fait Israël actuellement», a-t-elle ajouté. Et de préciser que ses positions anti-israéliennes lui ont valu des critiques de la part de certains membres de la communauté juive et ont conduit à des débats houleux dans la synagogue de son quartier.

Au fil des années, la majeure partie de la communauté basée au Maroc, qui compte aujourd’hui environ 2.000 personnes, a davantage penché vers une position apolitique. «Je suis juif marocain et non israélien. Alors pourquoi suis-je censé faire une déclaration officielle sur Israël ?» a commenté pour sa part un juif marocain basé à Marrakech.

Mais, à chaque fois qu’Israël lance une nouvelle attaque contre les Palestiniens, ce qui arrive souvent, les Juifs marocains se retrouvent pris entre deux feux.

Alors que la majorité des Juifs marocains préfèrent maintenir un profil politique discret, Rabat abrite certains militants pro-palestiniens renommés d’origine juive comme Sione Asidon, chef du mouvement de boycott BDS Maroc. Au fil des années, ce militant des droits de l’Homme et défenseur de la démocratie est devenu une figure de proue de l’anti-normalisation – bien avant l’établissement de liens officiels entre Rabat et Tel Aviv.

«La normalisation mène tout droit à une impasse. Les expériences précédentes de l’Égypte et de la Jordanie montrent qu’il n’y a rien à attendre d’une collaboration avec un État colonial», a déclaré le militant. Aujourd’hui, l’homme de soixante-quatorze ans continue son combat contre la normalisation, menant la plupart des manifestations réclamant la fermeture du bureau israélien à Rabat.

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Entre 1940 et 1960, plus de 300.000 Juifs marocains sont partis pour Israël. Aujourd’hui, environ un million de Juifs d’origine marocaine vivent en Israël. À ce propos, Dan Poraz, ambassadeur adjoint d’Israël à Madrid écrit : «Parlez-moi davantage du nettoyage ethnique au Moyen-Orient». Dimanche 26 novembre, l’envoyé d’Israël en Espagne a accusé, en partageant une image intitulée « Population juive dans les pays arabes », le Maroc et plusieurs États arabes de commettre un «nettoyage ethnique» contre les communautés juives de leur pays, entraînant une diminution drastique de leur nombre depuis 1948.

«Bibi démission»

Pour les Israéliens, le premier ministre, Benyamin Netanyahu et son exécutif sont imputés de la responsabilité de l’attaque du Hamas qui a fait 1.200 morts israéliens et en a blessé 5.431 autres. Alors que la guerre reprend après une semaine de trêve, nombreux sont ceux qui appellent «Bibi» à la démission. Dans l’Israeli Voice Index réalisé les 5 et 6 novembre, les Israéliens ont exprimé leur mécontentement à l’égard de l’administration Netanyau, avec 61,4% donnant une note négative à la performance du premier ministre israélien pendant cette guerre.

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Dans le sondage Peace Index, Netanyahu a fait encore pire, avec 75,8% des Israéliens jugeant la performance du premier ministre comme «pas si bonne» ou «mauvaise» en ce qui concerne la guerre. Néanmoins, malgré la méfiance à l’égard de Netanyahu, la confiance dans Tsahal reste élevée. Dans les sondages Israel Voice Index menés entre le 24 et le 26 octobre, 49,5 % des personnes interrogées ont déclaré qu’elles faisaient plus confiance à Tsahal qu’au Premier ministre Netanyahu, tandis que seulement 7,3 % ont déclaré qu’elles faisaient plus confiance à Netanyahu qu’à Tsahal.

Guerre au Proche-Orient : pour ou contre ? La diaspora juive prise en étau

Les Israéliens brandissent des affiches et scandent « Coupable » lors d’une manifestation appelant à la démission du premier ministre israélien Benjamin Netanyahu devant sa résidence à Jérusalem le samedi 25 novembre 2023. © Debbie Hill / UPI

De nouveaux sondages d’opinion récemment publiés par l’Institut israélien de la démocratie et le Peace Index de l’Université de Tel Aviv indiquent que l’attitude israélienne à l’égard du conflit israélo-palestinien est plus belliciste qu’à aucun autre moment de mémoire récente. Le soutien aux négociations de paix avec l’Autorité palestinienne parmi les Juifs israéliens est passé de 47,6 % en faveur en septembre à seulement 24,5 % en faveur dans l’enquête menée entre le 23 et le 28 octobre.

«Depuis 2001, c’est le pourcentage le plus bas que nous ayons jamais obtenu. Et cela inclut la deuxième Intifada palestinienne, au cours de laquelle il y a eu de vastes attaques terroristes contre Israël, ainsi que d’autres guerres survenues avec Gaza et le Liban», commente Nimrod Rosler, directeur académique du programme international de résolution des conflits et de médiation de l’Université de Tel Aviv, qui mène l’enquête Peace Index.

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Même avant le 7 octobre, le soutien à Israël parmi les Juifs américains – qui constituent la deuxième plus grande population juive au monde après Israël – était en train de changer. Un sondage a montré que si la plupart des Juifs considèrent que se soucier d’Israël est important pour leur identité juive, plus de la moitié désapprouvent le gouvernement «le plus à droite de l’histoire» du pays.

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