La guerre dans la bande de Gaza est entrée dans son troisième mois. Le Conseil de sécurité réuni vendredi a appelé à mettre fin à «l’hécatombe» dans ce territoire palestinien. Washington, principal allié d’Israël, est opposée à tout cessez-le-feu. Ceux qui ont survécu aux bombardements israéliens courent désormais un risque imminent de famine et de maladie. Les images qui nous parviennent de Gaza rendent la société civile impuissante face à l’impasse diplomatique. Car si l’État hébreu a «le droit de se défendre», rien, absolument rien, ne justifie le meurtre de 17.117 civils dont 7.112 enfants.

Au 64ème jour de la guerre menée par l’État sioniste contre le Hamas, aucun signe d’apaisement ne se profile à l’horizon. D’après Matt Gutman, grand reporter pour le compte de la chaîne américaine ABC News, «l’opération militaire israélienne continuera sur la même intensité pour encore au moins deux mois». Citant le ministre israélien de la Défense, «toutes les négociations seront interrompues dans un proche avenir».

Les principales opérations de combat se termineront au plus tard à la fin janvier, voire à la fin de cette année, soutient l’analyste géopolitique Ryan Bohl. L’idée étant de «couper Khan Younis (dans le sud) et de créer trois zones distinctes à Gaza sous contrôle militaire israélien», commente l’analyste de la sécurité Zoran Kusovac. L’avenir politique du territoire palestinien reste lui incertain.

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Abdaljawad Omar, professeur à l’Université de Birzeit en Cisjordanie occupée, avance, lui, trois scénarii : «En supposant une défaite presque complète de la résistance palestinienne, l’une des options serait une présence israélienne à long terme à Gaza où l’État hébreu gère à la fois la gouvernance et la sécurité, et Israël serait le seul parti dans la bande de Gaza. La seconde serait la prise de contrôle de la bande de Gaza par l’Autorité palestinienne (AP), selon un arrangement similaire à celui de la Cisjordanie, avec Israël s’occupant de la sécurité et l’AP s’occupant des affaires civiles», a-t-il ajouté.

Troisième piste évoquée : celle d’une coalition qui prendrait le relais, avec «un partenaire arabe ou palestinien». «Les Israéliens sont ici dans une impasse. La présence de l’Autorité palestinienne signifierait que davantage de pression serait exercée sur la création de deux États puisque Gaza et la Cisjordanie sont désormais gouvernées par le même parti politique», a déclaré l’universitaire.

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Entre temps, les habitants de Gaza meurent de faim : le prix d’un sac de farine coûte environ 500 shekels (150 dollars) et des personnes ont témoigné avoir passé jusqu’à trois jours sans nourriture.

Comme au premier jour, ou presque

Mais à mesure que l’opération militaire israélienne se poursuit dans la bande de Gaza, la sympathie éprouvée pour Tel Aviv à l’aube du 7 octobre dernier semble s’effriter. Car après deux mois de guerre, les images quotidiennes des enfants, des femmes et de tous les civils tués dans les bombardements israéliens discréditent l’argument du gouvernement de Netanyahu : celui d’arriver à bout du Hamas. Les Forces de défense israélienne même ont avoué courant de semaine que «pour chaque combattant du Hamas mort, deux civils sont tués». Un ratio qui, pour le porte-parole de l’armée, est «extrêmement positif».

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Si nombreux sont ceux qui considèrent encore «justifié» l’objectif d’Israël d’éliminer le Hamas, le revirement de position commence à se faire ressentir. En témoignent les efforts sans relâche de la rhétorique israélienne visant à faire accepter au monde ses actions : 40 bébés décapités, femmes éventrées, viols en masse, … Cette image du combattant du Hamas «barbare» est pourtant mise à l’épreuve d’une réalité documentée : les images de la libération des otages aux mains du mouvement de résistance palestinien laissent perplexes même les plus sceptiques.

«… La sympathie de beaucoup de gens dans le monde s’est éloignée des Israéliens», a déclaré à ABC News Max Boot, historien militaire et analyste de la politique étrangère, ajoutant que tenir des conférences de presse par Tsahal est très différent de voir les conséquences des attaques à Gaza. «Il est plus viscéral de montrer sa souffrance et d’exprimer son indignation face à la souffrance plutôt que d’écouter quelqu’un lors d’une conférence de presse», a déclaré Boot à propos de la disparité sur les réseaux sociaux. «Israël peut simplement dire ce qu’il veut lors d’une conférence de presse, mais au fond, si vous expliquez, vous perdez. En ligne, ce qui parle puissamment, ce sont les images.»

Si vous dites un mensonge suffisamment grossier et continuez à le répéter, les gens finiront par y croire. Le mensonge ne peut être maintenu que le temps où l’État peut protéger le peuple des conséquences politiques, économiques et/ou militaires de ce mensonge. Il devient donc d’une importance vitale pour l’État d’utiliser tous ses pouvoirs pour réprimer la dissidence, car la vérité est l’ennemi mortel du mensonge, et donc par extension, la vérité est le plus grand ennemi de l’État.
–Dr. Joseph Goebbels, ministre de la propagande nazie sous Hitler

Après deux mois, le monde encore solidaire

De l’Afrique du Sud à la Norvège, les gens investissent les rues tantôt pour afficher leur soutien «inconditionnel» à Israël et tantôt pour défendre la cause palestinienne. Alors que les manifestations dans des villes comme Londres, Berlin et Washington ont retenu l’attention des médias occidentaux, la plupart des manifestations enregistrées par le Projet de données sur la localisation et les événements des conflits armés (ACLED) ont eu lieu au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, des régions à prédominance musulmane où les manifestants étaient majoritairement pro-palestiniens. Elles ont été particulièrement fréquentes au Yémen, en Iran, en Turquie et au Maroc.

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Les données de l’ACLED, qui couvrent les manifestations entre le 7 et le 27 octobre, indiquent que la plupart des manifestations ont été pacifiques, mais qu’environ 5% d’entre elles sont devenues violentes ou ont été dispersées par la police ou d’autres agences de sécurité.

Gaza : «nous n’oublierons jamais»

Les manifestations pro-palestiniennes se propagent dans le monde entier alors que la guerre d’Israël à Gaza se poursuit. © REUTERS

Le cas singulier de l’Irlande du Nord

La sympathie des Irlandais pour la cause palestinienne n’est pas contemporain de l’attaque du 7 octobre. C’est même un des soutiens des plus anciens et des plus constants d’Europe. Dès 1980, l’Irlande a été un des tout premiers pays au monde à reconnaître officiellement les aspirations palestiniennes à un État indépendant.

Gaza : «nous n’oublierons jamais»

Des manifestants manifestent à Dublin en solidarité avec les Palestiniens, novembre 2023. © Clodagh Kilcoyne / Reuters

Les Irlandais ont été la plus ancienne colonie britannique et se sont battus pour obtenir leur indépendance du Royaume-Uni. Depuis toujours, ils s’identifient à toutes les luttes anticoloniales. Une identification qui a paradoxalement d’abord profité à Israël : dans les années 40, la lutte des juifs contre le mandat britannique sur la Palestine et pour leur État a été soutenue par l’Irlande qui a envoyé des formateurs aux côtés des futurs israéliens.

Mais à partir de 1967, c’est-à-dire lorsque Israël a occupé Jérusalem, la Cisjordanie et la bande de Gaza, cette sympathie s’est vite reportée sur les Palestiniens, ces éternelles victimes de l’Histoire, un peu comme se voient les Irlandais.

Et en Irlande, cette mobilisation propalestinienne bénéficie d’un soutien politique extrêmement large. À commencer par le gouvernement irlandais lui-même : Le Taoiseach, c’est-à-dire le Premier ministre irlandais, Leo Varadkar, a très vite, après les massacres du Hamas, qualifié la réplique d’Israël sur la bande de Gaza «d’actions approchant de la vengeance».

Son ministre des Affaires étrangères a, pour sa part, parlé de «bombardements disproportionnés» et des parlementaires de l’opposition sont allés jusqu’à évoquer des «meurtres de masse» en arborant parfois le keffieh palestinien au Parlement.

Enfin, début novembre, à l’occasion de la conférence annuelle du Sinn Fein (Féin) – le parti dont les sondages prédisent la victoire aux prochaines législatives de mars 2025 – la représentante de l’Autorité palestinienne a été accueillie par une longue ovation des délégués.

Une position à part en Europe, qui s’explique par les échos de la lutte pour l’indépendance de l’île et le statut de l’Irlande du Nord.

Les médias changent de cap ?

Les médias occidentaux, la plupart réputés pour être du côté israélien, semblent également commencer à se détacher du narratif sioniste.

Le journaliste de CNN, Fareed Zakaria, a récemment admis que l’armée israélienne n’autorise actuellement l’entrée dans la bande de Gaza qu’aux journalistes étrangers qui acceptent de «soumettre tous les documents et images à l’armée israélienne pour examen avant publication». Zakaria a déclaré que CNN avait accepté ces conditions «afin de fournir une fenêtre limitée sur les opérations israéliennes».

Lorsqu’il s’agit d’Israël et de la Palestine, les médias occidentaux sont souvent accusés de «péché d’omission», c’est-à-dire de laisser de côté des informations essentielles à une compréhension globale du conflit. Ceci est bien illustré dans le roman « 1984 » de George Orwell, où un parti, afin d’établir sa propagande, démarre et arrête sélectivement l’horloge des enregistrements pour manipuler, confondre et contrôler le récit. Pour de nombreux médias occidentaux, le déclenchement de l’horloge correspond à une frappe du Hamas, la présentant comme une «attaque non provoquée» sans contexte politique préalable.

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Pourtant, malgré tous ces efforts, Israël n’est plus en mesure de cacher la vérité sur sa conduite en Palestine. Le pays sioniste ne peut plus contrôler les discours et l’opinion publique. Car aujourd’hui, le paysage médiatique n’est plus dominé par les grands groupes de presse, mais bien par les médias sociaux. Alors que les grands médias perdent leur capacité à décider à eux seuls de ce que le public occidental et, dans une certaine mesure, mondial peut voir sur la situation à Gaza, la brutalité de l’occupation israélienne est exposée au grand jour, à la vue de tous.

Les utilisateurs des réseaux sociaux se moquent ouvertement des tentatives désespérées d’Israël de contrôler le récit de sa guerre contre Gaza et dénoncent rapidement les mensonges israéliens repris par la presse. «Cela a un pouvoir émotionnel énorme», a déclaré à ABC News, David Patrikarakos, correspondant de guerre et auteur du livre «La guerre en 140 personnages : comment les médias sociaux façonnent les conflits au XXIe siècle», faisant référence aux publications de journalistes gazaouis sur les réseaux sociaux. «D’un côté, vous avez cette jeune fille qui raconte une histoire profondément personnelle, et de l’autre, vous avez un homme d’âge moyen en uniforme sur un podium qui donne des statistiques, et il ne va pas rivaliser.»

«En ce qui concerne les vues, les likes, l’engagement et même la quantité de contenus diffusés, nous sommes largement dépassés en nombre», a précisé au média américain Adiel Cohen, créateur de contenu et influenceur sur les réseaux sociaux, et réserviste enrôlé dans l’armée israélienne et actuellement en première ligne à la frontière nord d’Israël, faisant référence aux contenus pro-israéliens et pro-juifs par rapport aux contenus pro-palestiniens.

Le soutien à la Palestine risqué ?

Si certains journalistes ont été écartés, des acteurs de grande renommée ont été licenciés, des universitaires contraints de se taire et des thésards appelés à changer leurs sujets pour avoir affiché leur soutien à la cause palestinienne, une question s’impose : dans les pays les plus démocratiques, ne serait-ce pas la première des censures ?

«Les gens sont pénalisés lorsqu’ils s’expriment», déclare l’actrice américaine Cynthia Nixon. «Mais il y a beaucoup d’acteurs et d’interprètes qui se rassemblent pour répondre à cela et disent : ‘Hé, ce n’est pas OK’, nous ne sommes peut-être pas d’accord sur tout – et peut-être que certains d’entre nous peuvent s’exprimer un peu plus prudemment – mais cela ne signifie pas que les gens devraient alors perdre leurs moyens de subsistance.»

Gaza : «nous n’oublierons jamais»

Cynthia Nixon avec un groupe de militants, de législateurs d’État et d’acteurs au troisième jour de la grève de la faim de cinq jours devant la Maison Blanche. © Anadolu

Que le monde condamne la riposte aveugle de l’État hébreu, ayant à date coûté la vie à 17.177 Palestiniens, dont 7.112 enfants, dès le premier jour, ou que cette position ne soit que récente, rien ne semble pouvoir arrêter Israël. «Et personne ne peut leur faire la morale».

Car si les populations manifestent en soutien à la Palestine et demande un arrêt de la guerre, les positions des gouvernements, elles, sont tout autres. Qu’elles soient pour ou contre Israël, celles-ci doivent aussi être replacées dans leur contexte. En 2024, se tiendront plus de 40 élections générales. C’est la plus grande année électorale de l’Histoire.

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Les chefs d’État qui brigueront un second mandat sont ainsi dans la tourmente. En attendant que la politique et la diplomatie tentent de mettre fin à cette guerre, Gaza est devenue le charnier de 7.112 enfants envers qui nous avons failli. Elle est devenue aussi le cimetière de l’humanité, du droit international et de tous ses principes.

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