Élus : le défi de la bonne gouvernance
Vendredi 13 octobre 2023, 15h50. Le Roi prononçait son discours devant les deux chambres du Parlement à l’occasion de l’ouverture de la première session de la troisième année législative de la 11ᵉ législature. 395 députés membres de la Chambre des représentants (chambre basse) et 120 élus membres de la Chambre des conseillers (chambre haute) étaient censés répondre présent. Mais voilà, il était prévu que 17 parlementaires devaient se voir interdire l’accès à l’hémicycle. En cause, leur implication dans des procédures judiciaires. Cela aurait été une première !
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La veille, le Parlement est revenu sur son initiative d’exclusion, fortement critiquée en raison de ses problèmes de légitimité. Elle incluait notamment des parlementaires qui étaient encore en procès pour ces affaires et qui n’avaient pas encore été condamnés, ou qui n’avaient reçu que des jugements préliminaires.
Le bureau de la chambre des représentants, présidée par Rachid Talbi Alami, qui «n’était pas heureux de revenir sur la décision d’interdiction», a décidé tout de même de suspendre les indemnités des députés placés en détention préventive ainsi qu’à ceux poursuivis en état de liberté provisoire dans des affaires liées à des crimes financiers. Le bureau de la chambre des conseillers n’avait, en revanche, pas pris de décision similaire. En revanche, il avait décidé d’adopter une mesure d’interdiction. L’élaboration d’une liste des parlementaires soupçonnés de corruption et faisant l’objet de poursuites judiciaires pour des affaires criminelles ou délictuelles était, au mois d’octobre dernier, en cours.
Bientôt, la Cour constitutionnelle pourrait bien se prononcer en faveur de la destitution de ceux qui ne seront pas entièrement blanchis par la justice. En attendant, ils risquent d’être interdits d’exercer ou de participer aux activités du Parlement.
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Mais si, en effet, le bureau de la chambre basse est encore en discussion autour de la nouvelle mouture du règlement intérieur qui devrait resserrer l’étau autour des parlementaires, les élus ne sont pas les seuls qui devraient craindre de perdre leur mandat. Encore faudrait-il que le secrétaire général du Parti authenticité et modernité (PAM) et ministre de la Justice, Abdellatif Ouahbi, réussisse à faire adhérer les membres aux amendements proposés relatifs aux députés poursuivis en justice. Élus régionaux, communaux, voire présidents de régions sont donc aussi dans la tourmente.
Une vingtaine d’élus poursuivis, près de la moitié déjà condamnée ou en détention provisoire
Détournements ou dilapidation de deniers publics, malversation, ou certains chefs d’accusation plus graves comme trafic d’êtres humains, viol sur mineure ou encore trafic international de drogue, les élus, issus de différents bords politiques, sont moins souvent poursuivis pour des délits de droit commun. Et leur déchéance ne peut avoir lieu sans qu’une décision de justice définitive ait été rendue en ce sens, ce qui peut prendre plusieurs années en cas de recours en cours de cassation. Seuls les partis peuvent prendre des mesures contre leurs élus mis en cause. Cela peut être l’exclusion du groupe parlementaire, permettant de supprimer le temps de parole des suspects. Cette disposition n’est pourtant pas systématiquement appliquée. Mais qui sont-ils ?
Derniers en date : le député du PAM et patron du WAC, Saïd Naciri, et le président du Conseil régional de l’Oriental, Abdenbi Biioui, lui aussi affilié au PAM. Tous deux sont poursuivis en état d’arrestation pour multiples chefs d’accusation, notamment pour «trafic international de drogue», «spoliation», «blanchiment d’argent» et «faux et usage de faux», «recel» et «abus de pouvoir». Le bureau politique du PAM a très tôt informé du gel de l’affiliation partisane des deux accusés. Une décision qui permet de maintenir le parti et ses institutions à distance des comportements personnels de certains de ses membres, qui ne sont pas liés à leur statut partisan ou électoral.
Et dans cette affaire dite du «Malien», ou encore de «l’Escobar du désert», une vingtaine d’autres personnes sont poursuivies, placées en détention provisoire. Récemment, 28 autres seraient également accusées, mais le Ministère public reste prudent quant à la diffusion des noms des personnes impliquées.
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La même semaine, Mohamed Simo, un député portant l’étiquette politique du Rassemblement national des indépendants (RNI) et président du Conseil municipal de Ksar El Kébir, a été poursuivi en état de liberté pour «corruption», «détournement et dilapidation de deniers publics» sur décision d’un juge d’instruction de la 5ᵉ chambre chargée des crimes financiers près la Cour d’appel de Rabat.
«Le sérieux n’est pas un terme vide de sens» : l’appel à la bonne gouvernance du Souverain
Dans son discours à la Nation, le 29 juillet dernier, à l’occasion du 24ème anniversaire de l’accession au Trône de ses glorieux ancêtres, le roi Mohammed VI avait appelé parlementaires et gouvernement à redoubler de sérieux «pour franchir de nouveaux seuils sur la voie du progrès et pour échafauder des réformes, des projets de plus grande envergure, dignes des Marocains».
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Car, comme le rappelle le Souverain, ce même sérieux doit «constamment définir notre ligne de conduite, dans la vie de tous les jours comme au travail.» Et d’en donner les grandes lignes : «Dans le domaine politique, administratif et judiciaire, il importe que prévale le dévouement au service du citoyen, par l’identification de profils qualifiés, par la primauté accordée aux intérêts supérieurs de la Nation et des citoyens, loin des surenchères et des calculs étroits».
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En effet, les enjeux particuliers qui marquent le pays, notamment le séisme qui a frappé la province d’Al Haouz le 8 septembre dernier, mais aussi l’annonce de l’organisation de la Coupe d’Afrique 2025, la co-organisation de la Coupe du monde de football en 2030 ainsi que la tenue en 2025 à Marrakech de la 93e session de l’assemblée générale de l’Organisation internationale de police criminelle (INTERPOL), mettent le Royaume en avant sur la scène internationale. Une situation où celle-ci sera juge et juré.
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De plus, le Maroc entre dans une phase de développement à grande vitesse. Les grands chantiers dans lesquels le pays s’inscrit, notamment la couverture sociale généralisée ou encore la réforme du Code de la famille, doivent inciter toutes les forces vives de la Nation à augmenter le rythme de travail législatif mais aussi assurer l’implémentation dans les plus brefs délais de ceux-ci.
Majorité comme opposition, des députés de tous bords
Depuis les élections générales du 8 septembre 2021 au Maroc, plus d’une vingtaine d’élus sont tombés dans les filets de la justice. La moitié d’entre eux sont aujourd’hui en arrestation, déjà inculpés, ou en attente de leur procès.
La coalition au pouvoir dans la tourmente
Mercredi 3 janvier, la Cour constitutionnelle a décidé de déchoir de son mandat de député Saïd Zaïdi, élu à Benslimane sous les couleurs du Parti du progrès et du socialisme (PPS) et président de la commune de Cherrat, près de Bouznika. Plus d’un an auparavant (29 décembre 2022), le Tribunal administratif de Casablanca l’a déchu de son mandat d’élu local. Un verdict confirmé, le 21 mars 2023, par la Cour d’appel administrative de Rabat.
Dans une même annonce, la Cour constitutionnelle rendait publique, le 26 décembre, la décision de destituer de son siège parlementaire, le député du parti de la colombe, Mohamed El Hidaoui. Celui qui dirige également le club de football Olympique de Safi, a été condamné à 8 mois de prison pour «détournement de billets destinés aux supporters du pays lors de la Coupe du monde de football de l’année dernière au Qatar».
La formation politique emmenée par le chef du gouvernement, Aziz Akhannouch, est de plus en plus accablée par les suspicions d’implication dans des affaires judiciaires. Le jeudi 11 janvier, et sur instruction du procureur du Roi près la Cour d’appel de Fès, deux élus aux couleurs du RNI ont été interdits de quitter le territoire national pour les besoins d’une enquête sur des soupçons d’irrégularités autour du programme gouvernemental Awrach. Il s’agit du président du Conseil communal de Fès, Abdeslam Bekkali, qui a lui-même succédé à un autre élu du RNI condamné par la justice à 8 ans de prison ferme, Jawad El Fayek, et du président du Conseil préfectoral de cette ville, Hassan Tazi Chalal.
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De plus, dans l’affaire dite «du réseau du maire de Fès», le vice-président Abdelkader El Boussairi de l’Union socialiste des forces populaires (USFP) est, lui, déjà en détention provisoire. La demande de sa libération a été rejetée lors de l’audience du 7 novembre dernier et la Cour constitutionnelle a officiellement ordonné, en ce début du mois de janvier, sa destitution de la Chambre basse.
À ses côtés, une dizaine d’autres personnes ont été accusées en état d’arrestation. Car bien au-delà d’être soupçonnés, à l’image de Bekkali et de Tazi Chalal, d’avoir imposé des travailleurs fantômes aux associations bénéficiaires du programme dédié à la création d’emploi, les inculpés font face à des chefs d’accusation allant de la «corruption» à la «constitution d’une bande criminelle», en passant par le «faux à usage de faux» et la «dilapidation des deniers publics». L’affaire portée par la plainte déposée par la société Grands Travaux Routiers Chorouk devrait connaître une nouvelle audience le 23 janvier prochain.
Du même parti et pour la même affaire, Rachid El Fayek, autrefois l’homme fort de Fès et proche du secrétaire général du parti, est poursuivi depuis 2022 et s’est vu, à l’été 2023, durcir sa peine d’emprisonnement, passant de 6 ans à 8 ans ferme. Un an plus tôt, alors qu’il était encore aux couleurs du PAM, venu tout droit de l’Istiqlal, il était mêlé à une affaire de «traite des êtres humains et viol sur mineur handicapé mental».
En octobre 2022, c’était le député RNIste, anciennement membre du Parti de la justice et du développement (PJD), Younes Benslimane, qui a été condamné à un an de prison avec sursis, assorti d’une amende de 20.000 DH avec peine minimale obligatoire. Il avait été poursuivi pour «détournement de fonds publics», alors qu’il était adjoint du maire de Marrakech, Larbi Belcaïd, innocenté depuis par le tribunal. Avant lui, le parlementaire de la circonscription de Guéliz-Nakhil à Marrakech, Ismail El Barhoumi, a, pour sa part, été condamné, en février de la même année, à deux ans de prison, pour «détournement» et «dilapidation de deniers publics» placés sous son contrôle en raison de ses fonctions.
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L’autre allié de l’alliance gouvernementale, le PAM, compte, outre Saïd Naciri et Abdenbi Biioui, trois autres parlementaires impliqués dans des affaires douteuses. Nous citerons Ahmed Touizi, chef du groupe parlementaire de la formation à la Chambre des représentants, poursuivi pour «failles financières dans la gestion des affaires» de la commune d’Ait Ourir, dans la province d’Al Haouz. Hicham Mhajri, député de Chichaoua, est lui impliqué dans une affaire de «dilapidation de fonds publics».
Idriss Chebchali, élu dans la circonscription de Sefrou à Fès, figurait, selon une certaine presse, dans la liste transmise par le président de la chambre des représentants aux présidents des groupes parlementaires visant à interdire son entrée à l’hémicycle lors de l’ouverture de la première session de la troisième année législative de la 11ᵉ législature. Cette information a toutefois été démentie, le parlementaire n’étant, à notre connaissance, impliqué dans aucune affaire de justice.
Du parti de l’Istiqlal, également dans la coalition gouvernementale, Mohamed Krimine, alors président de la commune de Bouznika, fait l’objet d’une enquête pour «falsification des fonds» de subventions alloués à la viande rouge. La justice a décidé le 3 mai 2023 de le démettre de ses fonctions. Anticipant sa destitution du Parlement, celui que les médias appellent «l’Empereur de Bouznika» compterait démissionner de la chambre des Représentants. Le parti lui aurait proposé de prendre une telle initiative «dans le cadre d’une manœuvre politique visant à maintenir le siège parlementaire de Krimine parmi ceux de l’équipe parlementaire du parti», où Ahmed Al-Dahi, second sur la liste, lui succèderait dans le but «d’éviter d’organiser des élections partielles dans lesquelles le parti pourrait perdre».
… et l’opposition n’est pas en reste
Du côté des partis de l’opposition marocaine, l’on peut citer le parlementaire et ancien ministre issu du Mouvement populaire (MP), Mohamed Moubdiî, incarcéré pour dilapidation de deniers publics. Au sein du parti emmenée par Mohamed Ouzzine, il n’est pas le seul. Abdenbi El Aidoudi, élu le 8 septembre 2021 à la circonscription de Sidi Kacem, a été condamné par la chambre des crimes financiers près la Cour d’appel de Rabat à deux ans de prison avec sursis, assortis d’une amende de 5.000 dirhams. Devenu inéligible suite à la confirmation de son verdict devant la Cour de cassation et en vertu du règlement intérieur de la Chambre des représentants (Article 6), il a perdu le mois dernier son siège de parlementaire.
Le parlementaire haraki, Mehdi Atmoun, 4ᵉ vice-président de la chambre des conseillers, a été condamné à trois ans de prison, assorti d’une amende de 30.000 DH pour «dilapidation» et «détournement de fonds publics» dans une affaire qui concerne la gouvernance locale (de 2003 à 2009) de la commune urbaine de Khouribga.
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Au mois de novembre, la chambre criminelle de première instance près la Cour d’appel de Rabat a condamné Yassine Radi, député de l’Union constitutionnelle (UC) et ex-maire de Sidi Slimane (Kénitra), à un an de prison ferme. Le motif, «non-dénonciation d’un crime», «non-assistance à personne en danger» et «préparation d’un lieu à des fins de prostitution». En octobre, un autre député UC de la circonscription de Larache, Abdelaziz El Ouadki, a été arrêté et incarcéré à la prison locale d’Ain Sebaa. Ses chefs d’accusantion : «constitution d’une bande criminelle», «faux et usage de faux», «participation à la dissimulation de données publiques et privées» pouvant faciliter la matérialisation de preuves de crimes, ou la révélation de ces preuves et l’identification des mis en cause, corruption et fraude délictuelle.
En mars 2023, l’ancien parlementaire UC, Babour Sghir, a été condamné à cinq ans de prison, pour «escroquerie» à une entreprise d’un montant supérieur à 600.000 DH. Hassan Arif, aussi député UC et président de la commune d’Aïn Aouda, est, lui, poursuivi pour «malversations frauduleuses dans la gestion et le recouvrement des taxes communales et outrage à agent public».
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Concernant l’USFP, outre Abdelkader El Boussairi, le parlementaire de la circonscription de Nador et chef de la commune d’Iaazanene, Mohamed Aberkane, a été traduit devant la chambre des crimes financiers. Il est impliqué dans une affaire liée à la «corruption», à la «falsification de documents officiels» et à la «mauvaise gestion» de sa commune. Nourredine Ait El Haj, lui député de la circonscription d’El Kelaâ des Sraghna, a été condamné à deux ans de prison, dont un avec sursis, dans une affaire de «détournement de fonds publics» et de «falsification» de documents officiels.
Said Zaidi, député Parti du progrès et du socialisme (PPS) dans la circonscription électorale de Benslimane, a officiellement été destitué de ses fonctions par la Cour constitutionnelle, après avoir été interpellé en flagrant délit de corruption à Rabat le 5 octobre 2021. Un entrepreneur a déposé plainte pour chantage contre lui. Il a ensuite été condamné à un an de prison ferme et une amende de 800.000 dirhams, en plus d’une autre de 500.000 dirhams pour la partie civile, par la Cour d’appel de Casablanca.
Parmi les poursuites judiciaires figurent aussi celle de Thami Mesqi, du Mouvement social-démocrate (MDS), qui a été déchu de son siège parlementaire. Deux jugements ont été rendus à son encontre : le premier prévoyant 8 mois d’emprisonnement et une amende de 10.000 DH, le privant ainsi de l’exercice des droits civils pour une durée de 5 ans. Le second prévoit un mois de prison et une amende de 10.000 DH, pour corruption au processus électoral et atteinte à l’intégrité des élections.
L’inculpation et l’incarcération de nos élus, lorsqu’elle est avérée, soulèvent dès lors la question du vide au Parlement. Le travail législatif, entravé par l’absentéisme de certains, accuse déjà d’une lenteur qui, rappelons-le, a été évoquée par le Souverain lors de son dernier discours du Trône. Si le bureau de la chambre basse a pointé ce point, en le sanctionnant dans sa dernière mouture du règlement intérieur, le «siège vacant», lui, pose quand même problème. Qui succède au parlementaire démissionnaire, devenu inéligible ou déchu ?