Les discours adressés par le Souverain à la Nation rythment la vie publique au Maroc. Les médias les décryptent et les observateurs et simples citoyens en font l’exégèse. Arrêt sur un exercice qui ne souffre d’aucune improvisation.

Ce samedi soir, le roi Mohammed VI a prononcé un discours radiotélévisé à 21 heures à l’occasion du 69e anniversaire de la Révolution du Roi et du Peuple. Cette nouvelle prise de parole royale à l’adresse des citoyens intervient une vingtaine de jours après celle de la fête du Trône (30 juillet). Depuis son premier discours prononcé pour annoncer la disparition de son défunt père, le roi Mohammed VI a habitué les Marocains à des discours clairs avec un langage de proximité.

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En plus des citoyens attentifs aux prises de parole royales, dans chaque préfecture et province, des cérémonies d’écoute du discours royal sont organisées. Sont présents, les représentants de l’administration territoriale, les élus et les hauts gradés de l’armée ainsi que les responsables judiciaires et sécuritaires, les agents des départements décentralisés et les acteurs de la société civile.

Sur le calendrier officiel, le Roi prononce trois discours à la Nation : le 30 juillet (fête du Trône), le 20 août (Révolution du Roi et du peuple) et le 6 novembre (Marche verte). Il y a le discours d’ouverture de l’année législative mais même s’il est diffusé sur les ondes de la radio et à la télévision, il n’est pas adressé directement au peuple. Pour ce qui est des trois discours coïncidant avec les trois fêtes nationales citées auparavant, ils offrent l’occasion d’aborder les questions les plus urgentes, les problèmes structurels, les difficultés conjoncturelles, les projets à venir, les défis à relever mais aussi les exigences morales et religieuses.

Mais chacun des trois discours a ses spécificités. «Il est d’usage que le Discours du Trône dresse le bilan des réalisations de l’État et esquisse les perspectives de son action à venir», disait le Monarque dans le discours du 30 juillet 2003 adressé depuis Tanger. Le discours du 20 août est quant à lui consacré à des thématiques en phase avec l’actualité ou les impératifs du moment ou à des échéances à venir. Les anomalies sont pointées du doigt et de nouveaux chantiers sont annoncés. Enfin, celui du 6 novembre aborde principalement les derniers développements de la question du Sahara.

Une machine rodée

«Citoyens, citoyennes, Sa Majesté s’adresse vous». C’est cette phrase prononcée par un journaliste de ‘‘l’équipe royale’’ au sein de la Société nationale de radiodiffusion et de télévision (SNRT) qui lance la retransmission du discours du Roi qui répond à un cérémonial bien précis. Sur les écrans de télévision, le drapeau national et les armoiries du Royaume.

Capture d’écran © SNRT

La première image diffusée est celle d’un plan large avec le Souverain qui se met debout lorsque retentit l’hymne national. L’aide de camp déplace le fauteuil royal. Le chef de l’État est généralement accompagné du prince héritier Moulay El Hassan et du prince Moulay Rachid. À la fin de l’hymne national, le Roi prend place et l’aide de camp repositionne à nouveau le fauteuil. Le réalisateur de la SNRT switche alors sur une autre caméra pour un plan serré et la prise de parole royale commence par ses mots : «Louange à Dieu, Prière et salut sur le Prophète, Sa famille et Ses compagnons. Cher peuple…». Le Souverain termine toujours ses discours avec un verset coranique traduisant une pensée par rapport à une idée développement dans le discours.

Depuis son intronisation, le roi Mohammed VI a toujours respecté les trois rendez-vous fixes d’échanges avec les citoyens. La seule fois où le discours royal n’a pas été diffusé à temps comme annoncé par le ministère de la Maison royale, du Protocole et de la Chancellerie remonte à l’année 2020. La découverte d’un cas positif à la Covid-19 dans l’équipe technique en charge de l’enregistrement du discours royal à l’occasion du 45e anniversaire de la Marche verte a contraint un report de 24 heures du discours. Il faut savoir que les trois discours adressés à la Nation sont enregistrés à l’avance.

Lors d’un discours prononcé par le Souverain en 2010 © Capture d’écran/2M

Seule exception : le 6 novembre 2015. Ce jour-là, le roi Mohammed VI rentrait d’une visite en Inde et son avion atterrissait directement à Laâyoune à l’occasion du 40e anniversaire de la Marche verte. Un déplacement mémorable avec une série d’activités programmées dont le lancement du nouveau modèle de développement des provinces du Sud. Dans la soirée du 6 novembre 2015, le roi Mohammed VI adresse son discours en direct.

Un an après, le discours du 6 novembre 2016 restera dans les annales. Pour la première fois de toute l’histoire du Maroc, le Souverain prononce son discours à la Nation en dehors du territoire national. En visite au Sénégal, accompagné du prince Moulay Rachid, le Roi adresse son discours à l’occasion du 41e anniversaire de la Marche verte avec en arrière-plan une carte de l’Afrique. Du jamais vu !

Le roi Mohammed VI et le prince Moulay Rachid, le 6 novembre 2016 à Dakar

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Allocutions et discours

«Les discours et les allocutions du roi Mohammed VI, au même titre que ceux des rois Mohammed V et Hassan II, constituent de manière pratique les fils conducteurs de toutes les stratégies de politiques publiques», nous explique, Driss Aissaoui, analyste politique et fin connaisseur des rouages de l’État. L’expert soutient que les membres du gouvernement s’attachent à mettre en œuvre les contenus des discours et autres allocutions du Roi. En se remémorant les discours phares du Souverain, Driss Aissaoui évoque des sujets aussi diverses que variés comme le nouveau concept de l’autorité, le rythme d’exercice du pouvoir, le développement agricole et rural, la réforme de l’administration, la gestion du monde carcéral, le développement des provinces du Sud et du Nord, le développement humain, la politique africaine, etc.

Notre interlocuteur s’arrête sur les discours fondateurs du Souverain. «Parmi ces discours, il est nécessaire de citer celui du 9 mars 2011 à la veille du processus d’adoption de la nouvelle Constitution», précise-t-il. Ce discours avait pris tout le monde de court dans le sillage des manifestations du Mouvement du 20 février (M20F), il sera suivi d’un autre discours le 17 juin 2011 précédant le référendum sur la nouvelle Constitution.

Le mercredi 18 mai 2005 est aussi une date importante marquant le lancement de l’Initiative nationale pour le développement humain (INDH). Dans un discours inattendu, le roi Mohammed VI aspire à bâtir l’avenir en s’attaquant aux freins du développement humain.

«Le roi Mohammed VI se distingue par son style sobre, savant et moderne. Tous ses discours répondent au même format avec une durée maximale de 15 à 20 minutes. C’est le style d’un Roi qui cherche la proximité avec les citoyens. Il pense, analyse et livre ses prédictions sur l’avenir. Il parle le style du citoyen moyen. Il est également le chef incontesté de tous», conclut Driss Aissaoui.

On notera aussi que, mis à part les discours à la Nation, le Roi prend la parole lors de sommets internationaux. On se souvient toujours du discours de 2014 à à Abidjan avec cette fameuse phrase : «L’Afrique doit faire confiance à l’Afrique». Ou encore le sommet Maroc-Pays du Golfe organisé à Riyad en 2016. «Après ce qui fut présenté comme un printemps arabe qui a occasionné tant de ravages, de désolations et de drames humains, nous voilà vivant aujourd’hui un automne calamiteux, avec le dessein de faire main basse sur les ressources des autres pays arabes et de briser les expériences réussies d’autres États, comme le Maroc, en portant atteinte à son modèle national original qui le distingue», avait noté le Monarque. Il y a aussi le discours de 2017 à Addis-Abeba lors du 28e sommet de l’Union africaine actant le retour du Maroc au sein de l’organisation panafricaine. «Il est beau, le jour où l’on rentre chez soi, après une trop longue absence ! Il est beau, le jour où l’on porte son cœur vers le foyer aimé ! L’Afrique est mon continent, et ma maison. Je rentre enfin chez moi, et vous retrouve avec bonheur. Vous m’avez tous manqué», avait dit le Roi.

Des ‘‘plumes’’ d’exception

Le Cabinet royal compte des « plumes » qui proposent des passages du discours du chef de l’État. Il s’agit de conseillers qui échangent directement avec le Souverain. C’est un secret de polichinelle, Mohamed Moatassim, ex-conseiller du Roi, a été l’un des rédacteurs des discours royaux pendant la première décennie de règne du roi Mohammed VI. Toutefois, le souci du Monarque d’informer les citoyens, en toute franchise, de la situation que traverse le pays, l’encourage à s’occuper lui-même de la majeure partie des trames de ses discours. D’ailleurs, l’usage d’expressions très personnelles et chargées d’émotions le prouve.

En 2016, à l’occasion de l’anniversaire de la Révolution du Roi et du Peuple, le roi Mohammed VI prononce un discours mémorable avec comme point focal le terrorisme. En sa qualité de commandeur des croyants, le Souverain prend une position sans ambages contre ceux qui tuent des innocents au nom de la religion. «Les terroristes qui agissent au nom de l’islam ne sont pas des Musulmans et n’ont de lien avec l’Islam que les alibis dont ils se prévalent pour justifier leurs crimes et leurs insanités. Ce sont des individus égarés, condamnés à l’enfer pour toujours», avait tranché le Monarque. « Une leçon royale contre l’obscurantisme », titrent alors les médias occidentaux. Dans l’Hexagone, les politiques ne tarissent pas d’éloges par rapport à cette prise de position contre les terroristes. En 2017, l’écrivain marocain Tahar Benjelloun, qui a assisté à un déjeuner à l’Élysée en l’honneur du Souverain, raconte qu’Elisabeth Guigou, ancienne garde des Sceaux et députée socialiste, exprime toute son admiration par rapport à la teneur de ce discours. Le roi Mohammed VI confiera à Guigou qu’il écrit lui-même ses discours et que celui qu’elle a cité lui a pris beaucoup de temps. Mais ceci n’empêche pas une révision par le Cabinet royal avec des précisions sémantiques. Idem pour les traductions de l’arabe vers les autres langues.

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Depuis l’avènement du règne du roi Mohammed VI, ses discours sont clairs, concis, simples et précis. Si les tous premiers discours étaient assez longs parce qu’il fallait présenter les grandes priorités, depuis 2011, les discours royaux sont plus courts. Allant droit au but et interpellant citoyens, élus, gestionnaires de la chose publique et acteurs économiques, les discours royaux sont un exercice qui ponctue la vie politique au Maroc. Attendus par certains, redoutés par d’autres, les discours du Roi à la Nation font l’objet de larges commentaires et souvent paraphrasés notamment quand il y a admonestation royale.

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