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Dans un monde où les alliances et les partenariats sont aussi essentiels que fragiles, les relations franco-marocaines se distinguent par leur profondeur et leur résilience. Nous explorons les fondements historiques et politiques de cette coopération, marquée par des amitiés émotionnelles et des intérêts stratégiques. Alors que la France et le Maroc naviguent ensemble dans les tumultes de la géopolitique contemporaine, notamment face aux conflits en cours au Proche-Orient et en Europe de l’Est, leur partenariat est non seulement une question de voisinage, mais aussi un modèle d’union face à des défis globaux.
Pour aller chercher les réponses dans l’Histoire, dans la photo en temps réel de la situation ainsi que dans le futur, nous avons fait appel au Pr Issa Babana El Alaoui, enseignant-chercheur, politologue, historien et Docteur d’Etat.
LeBrief : Quelles sont les principales collaborations économiques entre le Maroc et la France, celles qu’il faudrait mettre le plus en avant?
Pr Issa Babana El Alaoui : Je pense que le premier domaine de coopération économique que le Maroc et la France devraient développer davantage en termes commercial comme en matière technico-scientifique, c’est bien l’agriculture et l’agro-alimentaire associés, en vue de mieux assurer la sécurité alimentaire des marocains et des français, pour un futur incertain plus que qu’un présent pressant. Car les grands enjeux et défis de l’avenir pour la planète sont la nourriture et l’eau, non pas le gaz et le pétrole, devant le spectre de la famine dont l’ONU nous met déjà en garde. D’ailleurs, ce n’est pas avec la visite du président Macron que la France et le Maroc entameront une coopération agricole exemplaire, en prêchant d’exemple aux autres nations. Je rappelle que les deux pays ont déjà fait preuve d’une solidarité réciproque sans faille en la matière, dans les pires moments de leur histoire. Rappelons que le Sultan Moulay Slimane (1760-1822) avait aidé la France à surmonter les deux pénibles périodes qu’elle a connues dans la crise de subsistances au 19e siècle, qualifiées de famine par certains historiens : celle de l’automne 1816 et du commencement de l’hiver 1816-1817 et celle du printemps de 1817. Le Souverain marocain avait envoyé une quantité considérable de farine à Paris. En fait, il avait suivi l’exemple de son ancêtre, fondateur de la dynastie régnante, Moulay Ismaïl (1672-1727) qui s’était solidarisé avec les Français, à travers leur prestigieux Louis XIV (Roi-Soleil), durant la grande famine en France, en 1709. De la même façon, la France a également aidé le Maroc lors de la grande famine des années 1940 qui l’a frappé. Surtout que ce fléau était imputé à l’effort de guerre consenti par les Marocains à l’expédition des récoltes marocaines vers la métropole. Aujourd’hui, les défis de la démographie en Afrique, l’émigration vers la France et l’Europe ainsi que les conflits armés sur la planète, face aux périls grandissants du dérèglement climatique (la sècheresse, le stress hydrique, le déficit hydraulique des stocks de barrages jusqu’aux phénomènes de désertification et des lacs asséchés…etc.), sont autant de facteurs qui dictent plus que jamais une étroite coopération agricole multisectorielle entre Paris et Rabat, avec des mesures palliatives proactives. Encore que les conditions et les opportunités conjointes favorisent cette option prioritaire, car la France – faut-il le souligner – demeure la première puissance agricole de l’Union Européenne et le Maroc représente un pays agricole incontournable du continent.
Comment les investissements français au Maroc ont-ils évolué ces dernières années ?
Les investissements français au Maroc ont considérablement évolué ces dernières années. Une progression sans précédent en Afrique et dans le monde arabe. Pour nous fixer les idées à ce propos, donnons quelques indices éloquents – même si comparaison n’est pas raison – en rappelant que le nombre d’entreprises françaises implantées au Maroc s’élève à plus de 900, contre à peine 400 en Algérie, par exemple, soit quasiment deux fois et demi. En termes de stock des investissements, le Maroc a enregistré presque 9 milliards et demi d’euros d’investissements français au titre de l’année 2022, contre 2 milliards et demi d’euros pour l’Algérie au titre de la même période. Autrement dit, il y a 4 fois plus d’investissements français au Maroc qu’il n’y en a en Algérie. Il est significatif de souligner que le Maroc est le premier récipiendaire des investissements français au niveau de la région de l’Afrique du Nord et du Moyen Orient, selon le dernier classement officiel en date.
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Quels secteurs économiques sont prioritaires pour renforcer les échanges bilatéraux ?
S’agissant des secteurs privilégiés aujourd’hui, les dernières statistiques officielles (2023-2024) nous révèlent une courbe de préférence ascendante chez les investisseurs français au Maroc, dans des domaines particuliers plus économiquement rentables que d’autres à leurs yeux. A cet égard, les recettes enregistrées des investissements directs étrangers (IDE), nous apprennent ce qui suit : l’immobilier vient en tête de liste à hauteur de 27,3%, suivi par l’industrie (23,9%), le commerce (20,3%) et les activités financières (10,5%). Les autres secteurs, inférieurement à 10%, attirent moins l’intérêt des Français dans le Royaume. Mais la nouvelle couleur est déjà annoncée sur ce chapitre par le nouveau locataire du Quai d’Orsay Jean Noël Barrot (ministre français de l’Europe et des Affaires étrangères). Dans une interview avec La Tribune publiée dimanche 27 octobre, il précise les secteurs économiques prioritaires, en parlant de la relation entre Rabat et Paris, je cite : «Nous entendons – dit-il – la refonder mais aussi nous projeter dans les décennies qui viennent. Nous plaçons la barre très haut dans de nombreux domaines : l’énergie, l’industrie, les mobilités et les migrations, la culture».
Comment les entreprises marocaines peuvent-elles bénéficier des partenariats avec leurs homologues françaises ?
La meilleure façon de permettre aux entreprises marocaines de bénéficier des partenariats avec leurs homologues françaises c’est de mettre concrètement en œuvre le principe de «gagnant-gagnant». Pour atteindre un tel objectif quatre mesures et méthodes me semblent nécessaires, parmi d’autres à savoir :
Accorder les facilités essentielles aux exportateurs et aux investisseurs marocains en France, dans la réciprocité des avantages qu’accorde le code des investissements marocain aux étrangers et des privilèges consentis aux Français dans le cadre des accords de coopération idoines en cours ou ceux qui seront signés lors de la visite du président Macron dans le cadre d’un «partenariat stratégique et exceptionnel» pour les dix ou vingt prochaines années à venir. Lles ministres français des Affaires étrangères Catherine Colona et Stéphane Séjourné en parlaient déjà lors de leurs visites respectives au Maroc, en 2022 et 2024.
Ensuite, que les entreprises, hommes d’affaires marocains fassent preuve de compétitivité tant par la productivité que la qualité des produits exportables, après avoir défini les secteurs économiques rentables en France.
Puis, encourager la formation technique et professionnelle de cadres marocains dont les profils répondent aux besoins français prioritaires en matière d’investissements marocains.
Enfin, une mise à jour des conditions administratives, consulaires (problème des visas), financières et douanières à la hauteur des nouvelles ambitions socio-économiques stratégiques franco-marocaines, tenant compte du cas particulier marocain, en vue d’une compétitivité plus loyale par rapport aux investisseurs étrangers, voire européens en France.
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Comment les deux pays collaborent-ils sur des questions de sécurité, notamment face au terrorisme et à la criminalité transnationale ?
La France, l’une des cinq premières puissances militaires en Europe, possède certainement une expérience pratique en matière sécuritaire contre le terrorisme, surtout après les engagements des forces armées françaises au Sahel dans le cadre des opérations Serval (2013-2014) et Barkhane (2014-2022). On connaît, aujourd’hui, «la collusion entre les <éléments> du « polisario » et les groupes terroristes opérant dans la région du Sahel et du Sahara, et la menace criminelle qu’elle représente pour l’ensemble de la région et pour le continent africain» et dont les cinq camps de Tindouf constituent un terreau fertile. Des défis non seulement sur l’espace géopolitique euro-subsaharien mais aussi sur les espaces arabo-méditerranéen, euro-méditerranéen et maghrébo-atlantique réunis dont le Maroc serait un double pont (terrestre et maritime) vers les Amériques. La France est donc concernée.
Que peut-on dire de l’avenir des relations diplomatiques entre le Maroc et la France dans le contexte des enjeux géopolitiques actuels ?
L’avenir des relations diplomatiques franco-marocaines me semblent promettre des jours meilleurs, pour ne pas dire exemplaires face aux autres riverains maghrébins. La position géopolitique de la France (baignée par l’Atlantique comme par la Méditerranée) au cœur battant de l’Europe ouest-méridionale en fait un acteur géostratégique de premier ordre. Mais le Maroc possède encore plus d’atouts en la matière. Il représente d’abord la tête couchée de l’Orient vers le continent américain d’une part, soit le sommet horizontal du monde arabe sur l’Atlantique pour ainsi dire, et la tête levée de l’Afrique vers le continent européen d’autre part. Pour illustrer davantage l’importance stratégique de la situation géographique du Royaume, il suffit de rappeler – comme l’avisait Yves Lacoste – que «le littoral de cette grande région arabo-méditerranéenne s’étend sur 24.300 km, bordé par l’océan atlantique, la mer Méditerranée, la mer d’Arabie, la mer rouge et les golfes d’Aden et d’Oman». Autant de facteurs concrets qui favoriseraient la «maritimisation du monde et l’espace atlantique africain» en y remorquant le monde arabe, de l’Atlantique aux pays du Golfe. Et dans cette association d’enjeux inappréciables, le Maroc et la France sont effectivement condamnés à l’entente diplomatique permanente, dans le cadre d’un «partenariat stratégique et exceptionnel» décidé par les deux chefs d’Etat. Les défis et les menaces sont si nombreux et complexes qu’aucune des deux parties ne saurait à elle seule les affronter unilatéralement.
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