Dialogue social : accord sur les salaires et la fiscalité pour une meilleure justice sociale
Dialogue social. © DR
Dans un contexte de négociations intensives et d’attentes fortes, les partenaires sociaux ont franchi une étape importante avec la signature d’un accord sur la hausse des salaires et l’amélioration des revenus. Conclu juste avant la date symbolique du 1er mai, cet accord représente une avancée pour les travailleurs des secteurs public et privé. Au cœur des discussions qui ont débuté il y a quelques semaines, le gouvernement, le patronat et les centrales syndicales ont finalement abouti à un consensus le lundi 29 avril 2024, mettant en place une série de mesures destinées à revaloriser les rémunérations à travers le pays.
Cet accord prévoit notamment une augmentation de 10% du salaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG) dans le secteur privé, effective en deux phases en janvier 2025 et janvier 2026, permettant ainsi au SMIG d’atteindre 3.422 DH. Parallèlement, le salaire minimum dans le secteur agricole (SMAG) bénéficiera d’une hausse similaire. Pour les fonctionnaires, une augmentation de 1.000 DH est programmée, également en deux étapes, tout en intégrant des ajustements fiscaux majeurs, comme l’exonération des salaires jusqu’à 6.000 DH et la réduction du taux d’imposition maximum.
Pour décrypter les implications et les perspectives de cet accord, le professeur Mohamed Rahj, fiscaliste et analyste reconnu des questions sociales et économiques, contacté par LeBrief, explore les dimensions pratiques, économiques et sociales de cette avancée, offrant une analyse éclairée des changements à venir pour les travailleurs et l’économie marocaine.
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Quels sont les impacts attendus de cette hausse du SMIG dans le secteur privé sur l’économie nationale et sur le pouvoir d’achat des travailleurs les plus bas rémunérés ?
Mohamed Rahj considère cette mesure comme bénéfique, tant pour les travailleurs que pour l’économie en général, malgré les inquiétudes concernant la compétitivité des entreprises locales.
«Sur le plan social, cette revalorisation représente une amélioration du pouvoir d’achat des salariés rémunérés au SMIC», affirme Rahj. Du point de vue économique, il admet l’existence d’un «léger risque», mais insiste sur le fait que la compétitivité ne repose pas exclusivement sur les salaires. Selon lui, elle est également influencée par d’autres facteurs tels que la valeur ajoutée, la productivité et la numérisation.
Rahj réfute l’idée que des salaires inférieurs favorisent directement la compétitivité. «Je préfère un employé qualifié et bien rémunéré plutôt qu’un travailleur moins bien payé dont la qualité du travail est moindre», argumente-t-il, pointant du doigt le secteur informel où les conditions sont nettement moins favorables.
Il a affirmé également que l’acceptation de cette augmentation par les patronats, tant dans l’industrie que dans les services ou l’agriculture, était bénéfique. «Cela profite non seulement sur le plan social mais renforce également la compétitivité économique des entreprises en améliorant le facteur humain», a conclu Rahj, soulignant les défis persistants tels que l’inflation et la spéculation qui affectent encore le coût de la vie.
Comment évaluez-vous la répartition des augmentations salariales entre le secteur privé et le secteur public ? Est-ce équilibré selon vous, et quelles pourraient être les implications à long terme sur la stabilité économique et sociale du pays ?
Mohamed Rahj a expliqué que l’État, en tant qu’employeur, a choisi d’augmenter les salaires des fonctionnaires en deux tranches de 500 DH, totalisant 1.000 DH, mais cette mesure exclut certains professionnels comme ceux de la santé et de l’éducation, qui ont déjà bénéficié d’augmentations ces dernières années.
Rahj a mis en lumière la différence de traitement entre les secteurs public et privé, où dans ce dernier, les salaires sont fixés librement par les employeurs selon la valeur apportée par chaque employé. «Le secteur privé bénéficie d’une liberté complète pour fixer les salaires, ce qui lui permet de réagir de manière flexible et adaptée aux réalités du marché», a-t-il déclaré. Selon lui, cette flexibilité est essentielle pour maintenir la compétitivité et l’innovation.
Cependant, Rahj a exprimé des préoccupations concernant l’équilibre à long terme entre les deux secteurs. «Bien que l’autonomie du secteur privé dans la fixation des salaires soit essentielle, il est important que l’État assure une certaine équité pour éviter une disparité trop grande entre les fonctionnaires et les employés du secteur privé, ce qui pourrait entraîner des tensions sociales», a-t-il expliqué.
Il a également souligné que ces augmentations dans le secteur public pourraient avoir des implications financières, impactant les finances publiques et nécessitant potentiellement une augmentation des ressources, notamment par le biais des impôts. «À long terme, ces différences dans la gestion des augmentations salariales pourraient poser des défis en termes de stabilité économique et sociale si elles ne sont pas gérées prudemment», a conclu Rahj.
Quelle est votre opinion sur les mesures fiscales annoncées, notamment l’exonération des salaires jusqu’à 6000 dirhams et la réduction du taux d’imposition maximum sur le revenu ? Comment ces changements pourraient-ils influencer la perception des travailleurs et leur comportement économique ?
Mohamed Rahj a exprimé une opinion favorable concernant les nouvelles mesures fiscales, notamment l’exonération des salaires jusqu’à 6.000 DH et la baisse du taux d’imposition maximum de 38% à 37%.
«Ce changement bénéficiera aux personnes gagnant un revenu brut d’environ 6.000 DH par mois, ce qui, après déduction des charges et frais professionnels, correspond à un revenu annuel de 40.000 DH. Ces personnes seront exemptées d’impôt sur le revenu», a-t-il expliqué. Rahj a ajouté que bien que l’information disponible reste partielle, les ajustements annoncés incluent également des modifications des tranches d’imposition intermédiaires et de leurs taux correspondants, ainsi qu’une augmentation des déductions pour charges de famille de 370 à 500 DH par an.
Sur la question de l’impact de ces mesures sur les travailleurs et leur comportement économique, Rahj a été optimiste. Il prévoit que l’amélioration des revenus et des salaires pourrait se traduire par une augmentation de l’épargne et de la consommation, en particulier des produits nationaux, ce qui stimulerait la demande interne et bénéficierait aux entreprises locales.
«Cette hausse de consommation devrait accroître la demande adressée aux entreprises marocaines, les incitant à accroître leur production ou à améliorer leurs services pour y répondre», a-t-il dit. Rahj a souligné l’importance de s’assurer que cette consommation accrue profite aux entreprises nationales pour maximiser l’impact économique positif.
Il a également noté que même l’État bénéficierait indirectement de ces augmentations à travers les taxes sur la consommation, comme la TVA. «Si une augmentation de 1.000 DH est entièrement dépensée sur des produits taxés à 20%, l’État récupérerait environ 200 DH en TVA», a-t-il calculé, illustrant comment l’État peut récupérer une partie des augmentations salariales par le biais de la fiscalité.
Rahj a souligné que bien que les augmentations salariales puissent initialement coûter à l’État, elles pourraient finalement stimuler l’économie en augmentant la consommation et les recettes fiscales, bouclant ainsi la boucle économique.
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Enfin, comment envisagez-vous la mise en œuvre pratique de cet accord, notamment en ce qui concerne les délais prévus pour les augmentations salariales et les mesures fiscales ? Quels sont les défis potentiels à anticiper dans ce processus ?
Mohamed Rahj a souligné l’engagement de l’État dans de grands projets, notamment la préparation du Mondial 2030, qui nécessite non seulement des financements conséquents mais également le soutien de la population.
«Pour que la population adhère à ces grands projets, il est important qu’elle soit enthousiaste et disposée à soutenir ces initiatives. L’enthousiasme sera en grande partie motivé par une amélioration des conditions de vie, ce qui passe nécessairement par une augmentation des revenus», a-t-il expliqué. Rahj voit dans ces augmentations salariales une manière de garantir que les citoyens se sentent partie prenante des ambitions nationales et soient plus enclins à supporter les efforts de l’État.
Il a également abordé la question des délais. «Les mesures annoncées suivent un calendrier étalé sur plusieurs années, avec des échéances précises en 2024, 2025 et 2026. Cela montre que l’État a un plan clair pour la mise en œuvre progressive de ces augmentations et ajustements fiscaux». Rahj a rappelé que ces mesures étaient le résultat de discussions qui avaient débuté dès le dialogue social du 30 avril 2022.
Concernant les défis à anticiper, Rahj a mis en avant la nécessité de concrétiser toutes ces mesures efficacement. «Le principal défi sera de transformer ces engagements en actions concrètes qui bénéficieront directement à la population. Il faudra veiller à ce que les augmentations et les allègements fiscaux ne soient pas seulement des promesses mais qu’ils se traduisent par des améliorations tangibles dans la vie des gens».
En résumé, Rahj a exprimé un optimisme prudent quant à la mise en œuvre de l’accord, tout en soulignant l’importance d’une exécution rigoureuse et d’un suivi régulier pour assurer que les bénéfices prévus atteignent effectivement les citoyens, renforçant ainsi leur soutien aux projets d’envergure nationale.
Comment évaluez-vous l’impact des ajustements fiscaux qui pourraient nécessiter des modifications législatives ou réglementaires, en termes de délais et de complications, sur la capacité du gouvernement à mettre en œuvre efficacement les mesures annoncées dans l’accord ?
Mohamed Rahj a exprimé sa confiance dans la capacité de l’administration fiscale à gérer ces changements sans complications. «De l’aveu même du directeur général lors d’une conférence, l’administration fiscale a déjà réalisé des simulations pour préparer ces ajustements. Donc, je ne pense pas qu’il y aura des retards ou des complications», a-t-il expliqué. Il a mentionné que le cadre idéal pour l’implémentation de ces ajustements serait le projet de loi de finances de l’année 2025.
Concernant le secteur privé, Rahj a reconnu que les entreprises pourraient rencontrer des difficultés financières pour absorber les coûts supplémentaires liés à l’augmentation des salaires. Toutefois, il a souligné que les entreprises ont les moyens de s’adapter, notamment en répercutant l’inflation sur les prix de vente.
«Les entreprises doivent également jouer un rôle social et être citoyennes», a-t-il ajouté, soulignant l’importance de la responsabilité sociale des entreprises. «Verser des salaires décents est essentiel non seulement pour le bien-être des employés mais aussi pour la productivité. Investir dans le confort des salariés est un retour sur investissement qui se manifeste par une meilleure productivité et une meilleure qualité de travail».
En résumé, Rahj voit les ajustements fiscaux et les augmentations salariales comme des mesures nécessaires et gérables, soulignant l’importance de la responsabilité sociale des entreprises dans le processus.
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