Davos : un forum pour redessiner le monde
Du 16 au 20 janvier 2023, près de 3.000 personnes ont pris part au Forum économique mondial (FEM) à Davos. Cinq jours ouvrables ont permis aux décideurs des quatre coins de la planète de refaire le monde, faire du networking et conclure des affaires. C’est l’événement le plus convoité par ceux qui veulent percer et avoir une place de choix parmi l’élite politico-économique. Les débats de cette édition 2023, marquée par un retour à la normale (100% présentielle), étaient placés sous le thème « la coopération dans un monde fragmenté ». On y a parlé d’inflation, des dangers de la récession, de la transition énergétique, des enjeux climatiques et de l’avenir des économies en développement.
Sur place, les participants ont croisé des chefs d’État, des ministres, des présidents de banques centrales, des grands patrons comme Wael Sawan (Shell) et Andy Jassy (Amazon), des personnalités fortunées, des lauréats du Prix Nobel… Si les décideurs politiques et économiques les plus influents reçoivent des invitations pour aller à Davos, la participation à ce forum est loin d’être à la portée de tous. Une multinationale doit débourser entre 100.000 et 600.000 dollars pour y envoyer son CEO. Une réduction est appliquée quand il s’agit d’une startup et dans certains cas les organisateurs accordent même une exemption. Pour qu’un participant lambda accède au FEM, il doit débourser 30.000 dollars de frais de participation, sans compter le logement dont le prix est exorbitant et le transport de Genève ou de Zurich vers Davos.
Rien à voir avec la gratuité du séjour assurée pour le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, le patron de la FIFA, Gianni Infantino, ou encore la directrice générale du FMI, Kristalina Georgieva. Certains gouvernements sont par contre obligés de payer pour établir des contacts avec les politiciens étrangers et investisseurs.nLes jeunes ne sont pas en marge. Le « Young Global Leaders » (YGL) permet de repérer des perles rares de moins de 40 ans. Historiquement, c’est ce club qui a permis à une certaine Angela Merkel d’être présente au forum.
Ces dernières années, pour boucler la boucle, les initiateurs de cet événement, et à leur tête son fondateur l’économiste Klaus Schwab, ont diversifié les panels en conviant des militants associatifs et des acteurs culturels. C’est histoire de ne pas dire que le FEM est un club fermé pour les businessmen. Enfin, il faut noter que l’accès au forum est très limité pour les médias. Cette année, la presse marocaine n’a eu droit qu’à trois accréditations.
https://www.youtube.com/watch?v=p0E1ZFYf0Wk
Lire aussi : Géopolitique : la fin du panarabisme
Pourquoi les décideurs se bousculent pour être à Davos ?
Au-delà des plénières et des conférences thématiques retransmises en live, des sessions fermées et très secrètes se tiennent en marge du FEM. Dans ce genre de rencontres, pas de place aux débats philosophiques. Les panélistes sont triés sur le volet et sont à la recherche de résultats concrets. «En plus de sessions à huis clos qui sont très prisées, Davos permet de discuter directement et sans protocole avec des leaders qui ont le pouvoir de prendre des décisions et de débloquer des dossiers ou des fonds très rapidement», nous confie un ex-ministre ayant assisté à l’une des éditions du FEM au début des années 2000. «Le soft power marocain s’opère aussi dans ce forum. Nous avons pu convaincre de grands investisseurs de faire des affaires au Maroc et nous avons même passé des messages clés concernant notre cause nationale», ajoute notre interlocuteur.
Cette année, la délégation marocaine était composée du chef du gouvernement, Aziz Akhannouch, du ministre de l’Industrie et du Commerce, Ryad Mezzour, de la ministre de la Transition énergétique et du Développement durable, Leila Benali, ainsi que du ministre délégué chargé de l’Investissement, de la Convergence et de l’Evaluation des politiques publiques, Mohcine Jazouli et du directeur général de l’Agence marocaine de développement des investissements et des exportations (AMDIE), Ali Seddiki.
Ont fait également le voyage à Davos depuis le Maroc : un haut cadre de l’Office chérifien des phosphates (OCP), un magnat de l’immobilier et deux YGL (le patron d’un cabinet de conseil en stratégie et une représentante d’une organisation onusienne).
Akhannouch endosse sa tenue de VRP
Mercredi, Aziz Akhannouch a passé son grand oral à Davos devant un parterre de personnalités et sous le regard attentif et bienveillant de Klaus Schwab. Il a tout d’abord mis en exergue la nouvelle phase du développement du royaume caractérisée par l’édification d’un État social avec la généralisation de la protection sociale.
Lire aussi : Couverture sanitaire universelle : on y est !
Puis, il a versé dans l’autocongratulation soulignant que son équipe a pu affronter les multiples crises de l’année 2022 à travers des mesures d’accompagnement, de soutien budgétaire et de maintien des équilibres macroéconomiques et des réformes prioritaires. Akhannouch a également mis en avant la nécessité de ‘’donner du futur au présent » en permettant à la jeunesse marocaine de multiplier les opportunités pour intégrer le marché formel de l’emploi et pour libérer son énergie créatrice. Tout ceci se fera grâce à une liaison plus forte entre l’économie et le social, tout en consolidant le fil rouge de la transition écologique, a-t-il rassuré.
Le chef du gouvernement a marqué sa seconde intervention par un message empreint de séduction et de confiance. Le Maroc est un partenaire idéal disposant de tous les atouts pour transformer, avec ses partenaires, les défis de la conjoncture en opportunités, a-t-il affirmé. S’adressant aux investisseurs, le chef de l’exécutif a réitéré l’engagement de son cabinet à accompagner les partenaires «dans l’acte d’investir, à travers l’accélération des réformes et l’amélioration continue des conditions d’investissement, afin de bâtir ensemble le chemin de la création de valeur commune». Les autres arguments avancés reprennent les derniers développements : le Royaume se positionne favorablement dans la réorganisation des chaînes de valeur mondiales et la nouvelle Charte de l’investissement pose un nouveau cadre attractif et incitatif qui s’adresse à tous les investissements, petits et grands. Tout est dit. Akhannouch a même vanté les mérites du continent africain contre les réflexes protectionnistes. C’est en Afrique que la ZLECAF, plus grande zone de libre-échange, a vu le jour, a conclu le chef du gouvernement.
Diabolisation de la rencontre de Davos
Qualifié de club des riches ou de salon de discussion pour la jetset, Davos a depuis des décennies été la cible de critiques acerbes. Ses détracteurs parlent d’un événement dont le seul objectif est d’enrichir les riches et de détourner l’attention des véritables questions qui intéressant l’avenir de l’humanité. Pour les anti-FEM, l’économie décarbonée est un leurre et ce n’est pas la présence de Greta Thunberg qui leur fera changer d’avis.
Lire aussi : Climat : peut-on encore sauver la planète ?
Habitué de cet événement, le journaliste et auteur américain Peter Goodman avait publié un ouvrage critiquant l’hypocrisie des participants et la complaisance qui accompagne leurs actions. ‘‘Davos Man: How the Billionaires Devoured the World’’ avait fait couler beaucoup d’encre lors de sa sortie il y a tout juste un an. Plusieurs de ses idées rejoignent les points de vue d’observateurs des pays du Sud. À leurs yeux, Davos veut imposer un nouvel ordre économique et politique.
Le continent africain est d’ailleurs peu représenté à ce forum si ce n’est par l’Afrique du Sud qui clôture le top 10 des nations comptant le plus grand nombre de participants, même si le président Cyril Ramaphosa a annulé sa participation au FEM à cause de l’aggravation de la crise de l’électricité qui affecte son pays. Le président de la République démocratique du Congo (RDC), Félix Tshisekedi et la présidente de la Tanzanie, Samia Suluhu Hassan, étaient quant à eux bien présents. Avec la cheffe du gouvernement tunisien, Najla Bouden, ils ont pris part à un débat sur la thématique : ‘’Les amis de la Zone de libre-échange continentale africaine’’. Un débat qui a été enrichi par les prises de parole du président du FEM, Borge Brende et les directeurs exécutifs de grandes multinationales, dont Novartis, Pfizer, Volkswagen et Coca-Cola.
Lire aussi : Afrique : l’esprit de la charte de Casablanca
Mais ce n’est pas l’Afrique qui a retenu l’attention des médias présents à Davos. Un appel à réduire les inégalités de richesses a fait le buzz toute cette semaine. Lancé par un millionnaire britannique, ce cri du cœur a beaucoup de sens au regard des écarts insultants entre les riches et les pauvres et qui se sont amplifiés ces dernières années. Selon Oxfam, les 1 % les plus riches ont accumulé près de deux fois plus de richesses que le reste du monde réuni au cours des deux dernières années. «Taxez-moi et taxez les gens comme moi», a dit Phil White, un ingénieur fortuné de 71 ans. Plus de 200 autres « millionnaires patriotiques » présents à Davos ont soutenu l’appel de White.
Symbole d’une mondialisation en perte de vitesse, le FEM devrait opérer sa mue. Au-delà des débats philosophiques et des affaires conclues en marge de cet événement, l’élite des milieux politique et de la finance gagnerait à donner plus de place aux altermondialistes et aux représentants des pays du Sud. Sans ça, il continuera à être perçu comme étant le rendez-vous annuel des « maîtres du monde », de ceux qui veulent imposer leur dictat et leur vision d’un futur qui servirait leurs seuls intérêts.
Bio express de Klaus Schwab
Né en 1938, l’Allemand Klaus Schwab est un ingénieur et professeur d’économie. Formé en Allemagne et en Suisse, avant de passer par la Harvard Business School, il a commencé sa carrière professionnelle comme professeur de management industriel à l’Université de Genève où il a enseigné de 1971 à 2002. Klaus Schwab est le fondateur et président exécutif du World Economic Forum (WEF) – Forum économique mondial (FEM) qu’il a imaginé en 1971. Outre sa prestigieuse carrière universitaire, ce professeur d’économie a acquis une expérience unique du monde des affaires en tant qu’ancien membre du conseil d’administration de grandes entreprises internationales.