Accueil / Afrique / Diplomatie

COP28 : un accord historique pour les participants, une distraction pour les ONG

Temps de lecture

«Quand devrions-nous sortir des énergies fossiles ?» – Enchères des résultats de la COP. © Gado (Kenya) / Cartooning for Peace

Après l’échec d’une première ébauche jugée beaucoup trop insuffisante par certains États et avec un jour de retard, l’accord final de la COP28 a été adopté ce mercredi 13 décembre, appelant à une «transition» hors des énergies fossiles [charbon, pétrole et gaz]. C’est la première fois que ces carburants sont mentionnés dans une décision de COP. Mais le texte est loin de convaincre ONG et société civile.

Au terme de 14 jours de négociations difficiles, les 200 pays participant à la 28ᵉ Conférence des Nations unies sur le climat à Dubaï ont adopté à l’unanimité l’accord final, déclenchant une ovation et de longs applaudissements. Les Émirats arabes unis, pays hôte du sommet, se disent «fiers» de la décision adoptée.

Car la COP28 pourrait bien marquer «le début de la fin des énergies fossiles» pour la première fois en 30 ans. En effet, pour la première fois dans l’histoire d’une conférence climatique de l’ONU, le document final traite du sort de toutes les énergies fossiles – charbon, pétrole et gaz, appelant à «transitionner hors des énergies fossiles dans les systèmes énergétiques, d’une manière juste, ordonnée et équitable, en accélérant l’action dans cette décennie cruciale, afin d’atteindre la neutralité carbone en 2050 conformément aux préconisations scientifiques». Le président de la COP28, Sultan Al-Jaber, lui, s’est félicité d’un texte capable de «changements transformateurs».

Le texte, qui doit encore passer le test du consensus et être validé par tous les pays, a été «calibré» pour tenter de réconcilier des points de vue opposés, a révélé une source proche de la présidence émiratie. L’Arabie saoudite, le Koweït ou l’Irak étaient sur une ligne dure, refusant tout accord s’attaquant aux énergies fossiles qui font leur économie. Mais ils n’ont finalement pas bloqué l’accord. Le texte laisse toutefois volontairement un peu d’ambiguïté pour que chacun y trouve son compte.

D’autres textes sur l’adoption aux conséquences du changement climatique et sur l’aide financière aux pays en développement sont également attendus, notamment pour tenter de convaincre le Sud et tendre vers un consensus.

«La COP la plus importante depuis Paris»

Alors que le sommet s’est clos hier, mardi 12 décembre, le texte finalisé dans la nuit est pour les participants une «victoire du multilatéralisme et de la diplomatie climatique». «Nous avons travaillé toute la nuit pour obtenir un consensus», a retracé le président de la COP28, Sultan al-Jaber, lors de son discours à la séance plénière.

Lire aussi : Le dilemme des énergies fossiles divise les pays arabes dans les débats sur le climat

«J’ai promis d’être à vos côtés. Vous vous êtes mobilisés, vous avez fait preuve de flexibilité, vous avez fait passer l’intérêt commun avant l’intérêt personnel. Achevons ce que nous avons commencé. Unissons-nous, agissons et agissons maintenant», a-t-il lancé. «Pour la première fois, notre accord final contient des références aux combustibles fossiles», a-t-il souligné. «Nous quittons Dubaï la tête haute.»

Jeux de mots

Si l’expression littérale utilisée «transitioning away» reste ambigüe à traduire en langue française, les observateurs s’accordent néanmoins à interpréter ces deux mots par «transitionner hors de», «transitionner vers la sortie», «s’éloigner», ou «abandonner».

Un vocabulaire qui a toute son importance dans l’appréhension de ce projet, notamment en termes de délais et d’agenda pour effectuer le basculer vers un monde décarboné.

Une formulation, qui paraît plus forte, fait aussi état d’une «transition vers l’abandon» des énergies fossiles. La version précédente du document parlait seulement de «réduction»(«reduce») de ces carburants, alors que les tout premiers brouillons appelaient à une «sortie progressive» («phase-out»).

Reste donc à voir quel sera le niveau de nuances pour justifier ce terme de «transitioning away».

«Nous faisons un pas très, très significatif» pour limiter le réchauffement à 2 °C, voire 1,5 °C, a, de son côté, estimé le commissaire européen chargé du Climat, Wopke Hoekstra. Et de nombreuses ONG ont également noté une progression dans l’ensemble et davantage de clarté.

Lire aussi : COP28 : stratégie intégrée du Maroc pour la gestion de la pénurie d’eau

«Même s’il ne s’agit pas de la décision historique que nous espérions, ce texte nous met sur la voie de l’élimination progressive des combustibles fossiles», a réagi Andreas Sieber, l’un des responsables de l’association 350.org.

Mais le compte est loin d’y être pour les associations

Mais si chaque terme a été négocié, l’accord reste évasif sur de nombreux points. «Le texte ne fournit pas l’équilibre nécessaire pour renforcer l’action mondiale pour corriger le cap sur le changement climatique», regrette par exemple de son côté l’alliance des petits États insulaires (Aosis), touchés de plein fouet par les effets des bouleversements actuels. D’autres ONG regrettent toutefois que le texte n’aille pas assez loin, et continue à mentionner le stockage de carbone, qu’elles qualifient de «distraction dangereuse».

L’accord met en réalité le paquet pour donner une autre ampleur aux énergies alternatives. Le nouveau texte «appelle les parties à contribuer aux efforts mondiaux suivants», et liste huit types d’action à mettre en œuvre : tripler les capacités d’énergies renouvelables, doubler le rythme d’amélioration de l’efficacité énergétique d’ici 2030, accélérer les technologies «zéro carbone» et «bas carbone» plébiscitée par les pays producteurs de pétrole sont autant d’engagements qui y sont actés.

Lire aussi : COP28 : l’urgence d’une transition énergétique

Jusqu’ici, les COP n’ont adopté que des objectifs de «réduction» des émissions de gaz à effet de serre, sans explicitement aborder le sort de toutes les énergies fossiles, responsables de deux tiers des émissions. Seule une «réduction» du charbon avait été actée à la COP 26 à Glasgow, mais aucun objectif sur le pétrole et le gaz n’a jamais été adopté.

L’objectif est entre autres d’envoyer un signal clair aux pays extracteurs d’hydrocarbures et au secteur financier et aux pays sur la fin inéluctable de l’ère des fossiles. Le pétrole, le gaz et le charbon représentent actuellement environ 80 % de l’énergie mondiale. Les scientifiques estiment que les combustibles fossiles sont de loin la principale source d’émissions de gaz à effet de serre, qui alimentent le changement climatique.

Le World Resources Institute (WRI) signale en revanche que des passages importants portant sur des conclusions du Giec ont été supprimés dans ce nouveau texte. Une disparition fâcheuse alors que la présidence émiratie tente de faire croire qu’elle «respecte la science».

L’Alliance panafricaine pour la justice climatique s’indigne

«La COP28 a raté l’occasion de mettre le monde sur la bonne voie pour réduire considérablement les émissions de gaz à effet de serre, conformément à l’objectif de l’Accord de Paris», qui affectent notamment des millions de personnes vulnérables en Afrique et dans le monde, déplore l’Alliance panafricaine pour la Justice climatique (PACJA) dans un communiqué datant du 11 décembre.

Tout en saluant la création du Fonds pour les pertes et dommages, l’organisation dit avoir beaucoup de raisons de croire que les parties ont cédé et/ou ont cédé les négociations à des profiteurs du climat, dont ferait partie le président même de la COP28, le Sultan Al-Jaber, «un exécutif pétrolier indifférent, querelleur à l’attitude indifférente», écrit l’Alliance.

Lire aussi : COP28 : l’Afrique au cœur des solutions climatiques

La PACJA déplore par ailleurs l’absence de résultat tangible sur l’objectif mondial d’adaptation et tout engagement ferme visant à «plus que doubler» les flux financiers d’adaptation vers l’Afrique. «La COP28 a généré un maigre “156 millions de dollars” en promesses de financement pour l’adaptation, comparé aux milliards de dollars promis pour les initiatives centrées sur l’atténuation. Mais cela reste en deçà des engagements pris à Glasgow de doubler le financement de l’adaptation pour le porter à 40 milliards de dollars par an», peut-on lire sur le communiqué.

L’adaptation reste la priorité la plus importante pour l’Afrique en raison des niveaux disproportionnés de vulnérabilités et des impacts négatifs sur ses populations et ses économies, poursuit l’organisation. «La pression en faveur d’un objectif mondial ambitieux en matière d’adaptation ne peut être rationalisée par une pression en faveur d’une mise en œuvre volontaire de cet objectif, en particulier avec un leadership au niveau national et sans un engagement fort en faveur du financement climatique mondial».

En outre, la décision de mener un programme de deux ans sur le GGA, «avec une nouvelle série d’ateliers inutiles», révèle, selon l’Alliance, un manque d’urgence inquiétant dans la réponse aux communautés qui ont cruellement besoin d’une adaptation plus rapide et d’actions locales de renforcement de la résilience. Et de conclure qu’il est devenu évident que les pays développés recourent à des tactiques dilatoires pour éviter de respecter leur engagement de fournir les fonds climatiques nécessaires à une action d’adaptation efficace.

Dernier articles
Les articles les plus lu

L’administration Trump annonce de nouvelles nominations

Monde - Le président-élu des États-Unis, Donald Trump, a annoncé cette semaine plusieurs nominations importantes pour son futur gouvernement.

Farah Nadifi - 15 novembre 2024

Visa : l’Afrique, nouvel eldorado des géants

Afrique, Diplomatie, Société - L’externalisation des services de visas augmente en Afrique où TLSContact et VFSGlobal s'implantent.

Ilyasse Rhamir - 15 novembre 2024

Élections législatives : les Sénégalais sont appelés aux urnes ce dimanche

Afrique, Politique - Les citoyens sénégalais sont appelés aux urnes, ce dimanche, pour élire les 165 députés de l’Assemblée nationale.

Mbaye Gueye - 15 novembre 2024

Référendum constitutionnel : le peuple gabonais face à son destin

Afrique, Politique - Les Gabonais sont appelés à se prononcer sur un projet de constitution élaboré à l’issue du dialogue national d’avril dernier.

Mbaye Gueye - 15 novembre 2024

Donald Trump nomme un promoteur immobilier au poste d’émissaire spécial pour le Moyen-Orient

Monde - Steven Witkoff a été nommé au poste d’envoyé spécial des États-Unis pour le Moyen-Orient par le président Donald Trump.

Mbaye Gueye - 14 novembre 2024

Près de 200 instructeurs militaires russes déployés en Guinée équatoriale

Afrique, Diplomatie - Entre 100 et 200 instructeurs militaires russes ont été déployés récemment en Guinée équatoriale pour renforcer la sécurité.

Mbaye Gueye - 14 novembre 2024

Le Sénégal revendique l’initiative de la fin de l’accord de pêche avec l’UE

Afrique, Économie - Selon Abdourahmane Diouf, le gouvernement sénégalais avait depuis longtemps décidé de ne plus signer d'accords avec l’UE.

Mbaye Gueye - 14 novembre 2024

Concurrence : l’UE inflige une amende de 798 millions d’euros à Meta

Monde - La Commission européenne a annoncé ce jeudi avoir infligé à Meta (anciennement Facebook) une amende de 798 millions d'euros.

Farah Nadifi - 14 novembre 2024
Voir plus

Chaleur extrême au Brésil : jusqu’à 62,3°C ressentis, la population suffoque

Monde - Une vague de chaleur sans précédent s'abat sur l'Amérique latine depuis le début de l'année. Lundi à 09 heures 55 locales, la température ressentie a .

Rédaction LeBrief - 19 mars 2024

HCR : appel à plus de protection pour les victimes de la traite humaine en Afrique

Afrique, Société - Les services de protection font cruellement défaut aux réfugiés et aux migrants effectuant des voyages périlleux le long des itinéraires de la Corne de l'Afrique et du Sahel vers l'Afrique du Nord, y compris les survivants de la traite des êtres humains.

Manal Ben El Hantati - 2 août 2022

Sierra Leone : le kush, cette drogue mortelle

Afrique, Société - Une nouvelle drogue apparue il y a environ cinq ans fait des ravages parmi les jeunes en Sierra Leone. Il s'agit du Kush.

Nora Jaafar - 9 novembre 2023

Syrie : les statues des Assad renversées dans un élan populaire historique

Monde - Des statues de de la famille Al-Assad sont déboulonnées et piétinées après l’annonce par une coalition de groupes rebelles de la fuite de Bachar al-Assad.

Mbaye Gueye - 8 décembre 2024

Guinée Conakry : le gouvernement annonce la dissolution du FNDC

Afrique, Politique - Le gouvernement guinéen a annoncé, mardi 9 août, la dissolution du Front national pour la défense de la Constitution (FNDC), une coalition de partis, syndicats et organisations de la société civile.

Manal Ben El Hantati - 10 août 2022

Sahara : la Gambie réaffirme son soutien fort au plan marocain d’autonomie

Afrique, Diplomatie, Politique - Le président de la Gambie, Adama Barrow, a réaffirmé le fort soutien de son pays à l’initiative marocaine d’autonomie.

Hajar Toufik - 23 septembre 2022

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée Champs requis marqués avec *

Poster commentaire