Le 27 novembre 1912, Madrid devient la scène d’un accord qui redéfinit le destin du Maroc. Dans le salon feutré d’une Europe impériale, deux puissances étrangères – la France et l’Espagne – apposent leurs signatures sur un document, scellant un partage déchirant : la Convention franco-espagnole. Ce texte, qui parachève le traité de Fès signé quelques mois plus tôt, établit la carte du protectorat franco-espagnol, un régime d’occupation destiné à s’imposer sur un Maroc ébranlé, mais jamais soumis.

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Depuis la fin du XIXe siècle, le Maroc, traversé par ses propres tensions internes, attise les convoitises des grandes puissances. Sa position stratégique, aux portes de l’Atlantique et de la Méditerranée, en fait un point névralgique pour les ambitions coloniales. La France, déjà maîtresse de l’Algérie et d’une partie de l’Afrique de l’Ouest, voit dans le Maroc une extension « naturelle » de son influence. L’Espagne, quant à elle, portée par un passé de domination andalouse, entend maintenir son rôle en Afrique du Nord, bien que diminué depuis des siècles.

Après des décennies de pressions, de traités inégaux et de manœuvres diplomatiques, le traité de Fès du 30 mars 1912 place officiellement le Maroc sous protectorat français. Mais ce statut est loin de faire l’unanimité parmi les puissances rivales. L’Espagne, forte de son implantation historique dans le nord du Maroc, exige sa part du gâteau. Ainsi, la Convention de Madrid consacre cette dualité, découpant le territoire en zones d’influence : la France contrôle l’essentiel du pays, tandis que l’Espagne se voit confier le Rif et une partie du sud saharien.

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Une géographie imposée

L’acte du 27 novembre dessine une carte artificielle, étrangère à la réalité marocaine. Au nord, la zone espagnole, englobant Tanger et le Rif, symbolise un Maroc sous tension constante. À l’extrême sud, une enclave désertique, le Tarfaya, également sous contrôle espagnol, reste isolée et peu exploitée. Le cœur du pays, autour de Rabat, Fès, Marrakech et Casablanca, devient le domaine réservé de la France, qui impose rapidement ses structures administratives, militaires et économiques.

Cette division, loin des besoins réels du peuple marocain, n’est que la scène de la rivalité européenne.

Si la France et l’Espagne affirment vouloir « moderniser » le Maroc et préserver son intégrité, leurs actions trahissent une toute autre ambition : exploiter les richesses du pays et contrôler ses routes stratégiques. Cette coexistence forcée donne lieu à des tensions diplomatiques entre les deux puissances coloniales. Tandis que la France s’active à bâtir des infrastructures modernes et à structurer l’économie marocaine à son profit, l’Espagne peine à asseoir son autorité sur un Rif fier et insoumis.

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Si la Convention de 1912 a temporairement mis le Maroc sous tutelle étrangère, elle a aussi planté les germes de la résistance. Au fil des décennies, les Marocains ont pris conscience de leur destinée commune, transcendant les lignes tracées par la France et l’Espagne. Les soulèvements populaires, les mouvements nationalistes et les négociations diplomatiques ont permis de mettre fin au protectorat en 1956, inaugurant une ère d’indépendance et de reconstruction.

La Convention a façonné des imaginaires, encore très présents aujourd’hui ! La zone espagnole, notamment dans le nord, a vu naître une culture hispanophone marquée par des échanges avec l’Andalousie, tandis que la zone française a produit une élite francophone tournée vers l’Europe. Cette division culturelle, fruit du protectorat, a longtemps alimenté des tensions internes sur la question de l’identité nationale ou encore de la langue secondaire à adopter de manière officielle. Encore aujourd’hui, des centres culturels des deux pays sont très présents aux quatre coins du Maroc.

4 juillet 1956 : 5.000 hommes de l’Armée de libération à disposition du Sultan

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